AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-neuf février deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ROMAN, les observations de Me X..., Me LE PRADO, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LAUNAY ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- Y... Monique, épouse Z..., partie civile,
- LA MUTUELLE ASSURANCE ARTISANALE DE FRANCE (MAAF), partie intervenante,
la première, contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 7 mai 1998, qui, dans la procédure suivie contre André A... du chef de blessures involontaires, a statué sur les intérêts civils ;
la seconde, contre l'arrêt de la même cour d'appel, en date du 24 septembre 1998, qui, dans la même procédure, a prononcé sur une requête en rectification d'erreur matérielle ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation de l'arrêt du 7 mai 1998 proposé pour Monique Z..., pris de la violation des articles 1382 du Code civil et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a réparé I' incapacité permanente partielle de Monique Z... fixée à 25% et son préjudice professionnel par une indemnité de 600 000 francs ;
"aux motifs que l'expert avait fixé le taux d'incapacité partielle permanent de Monique Z... à 25% en insistant sur son dysfonctionnement psychologique antérieur qui avait aggravé le processus dépressif post-traumatique, tenant compte du fait qu'il était possible d'envisager une reconversion ; que la situation actuelle Monique Z... ne pouvait être en totalité rattachée à l'accident et qu'elle percevait une pension de retraite anticipée ;
"alors, d'une part, que le droit à réparation de la victime ne peut être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été révélée ou provoquée que du fait de l'infraction elle-même ; que la cour d'appel ne pouvait, pour limiter la réparation, tenir compte de l'état antérieur à l'accident, l'expert ayant conclu que le dysfonctionnement psychique antérieur de Monique Z... avait été "révélé par les suites directes de l'accident" ;
"alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait se fonder sur l'opinion de l'expert, selon laquelle la reconversion de Monique Z... était envisageable, sans réfuter les motifs du jugement, selon lesquels, compte tenu de son état de santé, de son âge et du contexte économique, cette reconversion apparaissait totalement illusoire, le courrier d'un médecin d'un centre hospitalier spécialisé du 11 avril 1995 précisant, à cet égard, qu'elle était incapable d'assurer un travail régulier" ;
Vu l'article 1382 du Code civil ;
Attendu que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ;
Attendu qu'appelée à statuer sur les conséquences dommageables d'un accident de la circulation, dont André A... a été déclaré tenu à réparation intégrale, la juridiction du second degré, après avoir prononcé, par un précédent arrêt, sur le préjudice personnel de Monique Z..., fixe, par l'arrêt attaqué, à 663 903,70 francs le préjudice soumis à recours, dont 63 903,70 francs de frais de soins, et constate que, déduction faite des créances prioritaires concernant les frais de soins et la pension anticipée, aucune somme ne revient à la victime ;
Attendu que, pour limiter à 600 000 francs l'indemnisation de l'incapacité permanente partielle, fixée par expertise à 25 %, dont Monique Z... reste atteinte, l'arrêt se borne à énoncer que "l'expert insiste sur le dysfonctionnement psychologique antérieur, qui a aggravé le processus dépressif post-traumatique" ; que les juges en déduisent que la situation actuelle de la victime "ne peut être rattachée en totalité à l'accident" ;
Mais attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, alors que le droit à réparation de la victime ne peut être réduit en raison d'une prédisposition pathologique, lorsque l'affection qui en est issue n'a été révélée ou provoquée que du fait de l'infraction elle-même, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation de l'arrêt du 7 mai 1998 est encourue ; qu'elle entraînera, par voie de conséquence, celle de l'arrêt rectificatif du 24 septembre 1998 ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés,
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts susvisés de la cour d'appel de Dijon, en date du 7 mai 1998 et du 24 septembre 1998, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Besançon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon et sa mention en marge ou à la suite des arrêts annulés ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Roman conseiller rapporteur, M. Mistral conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Launay ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;