AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois février deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller FARGE, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général COTTE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X...,
contre l'arrêt de la cour d'assises de l'EURE, en date du 18 mai 1999, qui, pour viols aggravés, l'a condamné à quinze ans de réclusion criminelle et à sept ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la Cour a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 245 et 250 du Code de procédure pénale, L. 221-1, R. 213-2 et T. 213-6 du Code de l'organisation judiciaire, 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"en ce que l'arrêt de condamnation ainsi que l'arrêt sur les intérêts civils ont été rendus par la cour d'assises composée de M. Jean Reynaud, président, Mme Véronique Veillard et M. Patrick Picquendar, assesseurs ;
"alors qu'il résulte des dispositions des articles 245 et 250 du Code de procédure pénale que le président et les assesseurs de la cour d'assises sont désignés par le premier président de la cour d'appel ; que, si cette désignation peut être exceptionnellement faite par un président de chambre de la cour d'appel appelé à suppléer le premier président, c'est à la condition, d'une part, que ce magistrat ait été désigné à cet effet par ordonnance du premier président et, d'autre part, que le premier président soit empêché ;
qu'il résulte des énonciations du procès-verbal des débats et des ordonnances portant désignation du président de la cour d'assises et des assesseurs ainsi que de l'ordonnance déléguant M. Picquendar pour compléter le tribunal de grande instance d'Evreux à l'effet de siéger à la cour d'assises de l'Eure, que les magistrats de la cour d'assises ont été désignés par Mme Crédeville, "président de chambre faisant fonction de premier président de la cour d'appel de Rouen en application des dispositions de l'article R. 213-6 du Code de l'organisation judiciaire", et que, les pièces de la procédure n'établissant pas formellement que ce magistrat ait rempli les deux conditions précitées lui donnant compétence pour désigner, aux lieu et place du premier président, les magistrats de la cour d'assises, la Cour de Cassation n'est pas en mesure de s'assurer que la composition de la juridiction qui a jugé X... était régulière ;
"alors que la désignation par un magistrat incompétent des magistrats de la cour d'assises porte par elle-même atteinte au procès équitable au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales" ;
Attendu que l'ordonnance déléguant M. Picquendar au tribunal de grande instance d'Evreux et celles désignant le président et les assesseurs de la cour d'assises ont été prises par Mme Crédeville, "président de chambre faisant fonction de premier président de la cour d'appel de Rouen en application des dispositions de l'article R. 213-6 du Code de l'organisation judiciaire" ;
Attendu que cette mention suffit à établir la régularité de la désignation des magistrats composant la cour d'assises au regard tant des articles 243 à 245 du Code de procédure pénale que de l'article L. 621-1 du Code de l'organisation judiciaire, seuls applicables en l'espèce, les dispositions de l'article R. 213-6 de ce dernier Code, qui sont de nature réglementaire, étant étrangères à la régularité de la procédure, suivie devant une juridiction pénale et ne relevant que du domaine de la loi ;
Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 310 du Code de procédure pénale et du principe de l'oralité des débats ;
"en ce que le procès-verbal des débats mentionne (page 8) que, pendant le cours des débats, le président a, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, donné lecture de certaines pièces de la procédure ;
"alors que, devant la cour d'assises, le débat doit être oral ; que ce principe est d'ordre public et que sa violation porte par elle-même atteinte aux intérêts de la défense ; qu'il est impossible, au vu des énonciations du procès-verbal des débats, de déterminer à quel moment "la lecture de certaines pièces de la procédure" a été donnée par le président et que la seule circonstance que des procès-verbaux de déclarations au cours de l'instruction préparatoire de témoins acquis aux débats ou comparants aient pu être lus avant la déposition orale de ces témoins suffit à entraîner l'annulation des débats, et par voie de conséquence, des arrêts attaqués, pour violation du principe susvisé" ;
Attendu que le procès-verbal mentionne que, "pendant le cours des débats, le président a, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, donné lecture de certaines pièces de la procédure dont la régularité ou la validité n'a pas été contestée" ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'aucune des parties n'a élevé de contestation relative à la nature et au contenu des pièces dont le président a donné lecture, le principe de l'oralité des débats n'a pas subi d'atteinte ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 222-23 et 222-24 du Code pénal, 349, 592 et 593 du Code de procédure pénale, 6.1 et 6.3 a), de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"en ce que la Cour et le jury ont répondu affirmativement aux questions n° 1 et n° 4 ainsi libellées :
1 ) "L'accusé X... est-il coupable d'avoir, à Louviers, dans le département de l'Eure, de courant 1987 au 2 mars 1988, en tout cas depuis temps non prescrit, par violence, contrainte, menace ou surprise, commis des actes de pénétration sexuelle sur la personne de Bérénice X... ?"
4 ) "L'accusé X... est-il coupable d'avoir à Louviers, dans le département de l'Eure, du 2 mars 1988 jusqu'à avril 1996, en tout cas depuis temps non prescrit, par violence, contrainte, menace ou surprise, commis des actes de pénétration sexuelle sur la personne de Bérénice X... ?"
"alors que ces questions, qui se rapportent à des actes distincts qui sont, certes, de même nature et commis sur la même personne par le même accusé mais dans des conditions nécessairement différentes, sont entachées de complexité prohibée ;
"alors qu'il résulte des dispositions des articles 6.1 et 6.3 a), de la Convention européenne des droits de l'homme que tout accusé a droit, dès lors que la feuille des questions tient lieu de motivation à l'arrêt de condamnation, à ce que la Cour et le jury soient interrogés de manière détaillée sur la cause de l'accusation par des questions nettement distinctes et que la tolérance du droit interne qui permet d'interroger par une même question la Cour et le jury sur des faits distincts de même nature commis sur la même personne par un même accusé alors même que ces faits seraient disséminés sur une plage de temps allant de plusieurs mois à plusieurs années, en présumant arbitrairement qu'ils seraient commis "dans les mêmes conditions", est contraire aux engagements internationaux de la France résultant de ladite Convention" ;
Attendu que la Cour et le jury ont répondu affirmativement aux questions reproduites au moyen ; que ces questions ainsi posées se rapportent à des actes de même nature commis par le même accusé dans les mêmes conditions et entraînant les mêmes conséquences pénales ;
Attendu qu'en cet état, les faits, objet de l'accusation, ont pu être réunis en une seule et même question renfermant l'indication de l'époque dans les limites de laquelle ils se sont succédé, sans que soient encourus les griefs allégués ;
Qu'ainsi, le moyen ne peut être admis ;
Et attendu qu'aucun moyen n'est produit contre l'arrêt civil, que la procédure est régulière et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la Cour et le jury ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Farge conseiller rapporteur, M. Le Gall conseiller de la chambre ;
Avocat général : M. Cotte ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;