AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Fichet Bauche, société anonyme dont le siège social est ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 20 juin 1997 par la cour d'appel de Toulouse (4e Chambre sociale), au profit de M. Jean-Pierre X..., demeurant ...,
défendeur à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 15 décembre 1999, où étaient présents : M. Boubli, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président et rapporteur, M. Lanquetin, Mme Quenson, conseillers, Mmes Barberot, Andrich, conseillers référendaires, M. de Caigny, avocat général, Mme Marcadeux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Boubli, conseiller, les observations de la SCP Defrénois et Levis, avocat de la société Fichet Bauche, les conclusions de M. de Caigny, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 20 juin 1997), que M. X..., employé en qualité de VRP par la société Fichet-Bauche depuis 1979, a refusé, le 28 janvier 1994, une modification de son contrat de travail, impliquant transformation de son emploi en celui d'attaché commercial avec changement de mode de rémunération ; qu'il a été licencié pour motif économique le 24 février 1994 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société Fichet-Bauche fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au remboursement des indemnités de chômage dans la limite de six mois, alors, selon le moyen, premièrement, que l'employeur a pour seule obligation d'énoncer dans la lettre de licenciement un motif répondant à la définition légale du licenciement économique ; qu'en l'espèce, l'arrêt attaqué a constaté que la lettre de notification du licenciement faisait état, conformément aux exigences légales, d'une modification substantielle du contrat de travail consécutive à une réorganisation justifiée par des difficultés économiques (pertes de parts de marché) ; qu'ainsi, en considérant que l'employeur aurait dû, en outre, indiquer dans la lettre de licenciement "en quoi le nouvelle politique commerciale rendait indispensables les changements ainsi imposés à M. X... (ou en quoi la situation économique décrite se répercutait sur son contrat de travail), la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 122-14-2 et L. 321-1 du Code du travail ; alors, deuxièmement, que dès lors qu'elle est destinée à sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, la réorganisation décidée par l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction constitue un motif économique réel et sérieux de licenciement ; qu'en l'espèce, la société Fichet-Bauche indiquait dans la lettre de licenciement et faisait valoir dans ses conclusions que l'entreprise connaissait de graves difficultés économiques caractérisées notamment par un recul de ses parts de marché, que pour faire face à cette situation, il avait été entre autre mesure décidé de réorganiser le système de commercialisation des produits dans des
conditions ayant entraîné une modification substantielle des contrats de travail du personnel de vente ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si ces circonstances n'établissaient pas que la réorganisation du service commercial, à l'origine des modifications apportées au contrat de travail du salarié (perte du statut de VRP, changement de convention collective, modification de la rémunération), avait été décidée dans l'intérêt de l'entreprise et afin de sauvegarder la compétitivité de celle-ci, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 321-1 et L. 122-14-4 du Code du travail ; alors, troisièmement, que lorsque une réorganisation a été décidée afin de sauvegarder la compétitivité d'une entreprise dans son secteur d'activité, il n'appartient pas aux juges du contrat de travail de se faire juge des modalités de mise en oeuvre de cette réorganisation des modifications des contrats de travail qui en sont la conséquence ; qu'ainsi, en énonçant que la nouvelle organisation mise en place par la société Fichet-Bauche n'était pas incompatible avec le maintien du statut de M. X..., la cour d'appel, qui a substitué sa propre appréciation à celle de l'employeur dans un domaine relevant du pouvoir de direction de ce dernier, a violé les articles L. 321-1, L. 122-14-4 et L. 122-14-4 du Code du travail ; alors, enfin, que les difficutés économiques ou une réorganisation de l'entreprise peuvent justifier une modification de statut ou une réduction de la rémunération et constituer, en cas de refus d'acceptation du salarié, un motif économique réel et sérieux de licenciement ; qu'ainsi, à supposer même que la société Fichet-Bauche ait eu pour seule préoccupation de réduire la rémunération de M. X... et de lui supprimer les avantages qu'il tenait de la convention collective des VRP, cette circonstance ne dispensait pas pour autant la cour d'appel de rechercher si ces modifications, qui avaient, au demeurant, concerné l'ensemble du personnel de vente, ne trouvait pas sa justification dans les difficultés économiques rencontrées par l'entreprise et dans la nécessité pour celle-ci de se réorganiser afin de sauvegarder sa compétitivité ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 321-1 et L. 122-14-4 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a examiné la pertinence du motif économique énoncé dans la lettre de licenciement, a constaté que celle-ci invoquait une réorganisation qui, en fait, était semblable à celle résultant d'un courrier antérieur de 1991, et ne justifiait pas à elle seule le changement de statut de M. X... ; qu'ayant retenu, par une appréciation souveraine des preuves que la modification du contrat de M. X... avait pour seule cause la préoccupation de l'employeur de réduire son salaire et de supprimer les avantages de la convention collective des VRP, elle a décidé à bon droit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir condamné la société Fichet-Bauche au versement d'une indemnité de clientèle, alors, selon le moyen, d'une part, que la société Fichet-Bauche faisait valoir dans ses conclusions délaissées qu'il convenait de distinguer, pour l'appréciation du droit à indemnité de clientèle du salarié, entre les produits "physiques" (coffres, portes blindées), par nature non renouvelables régulièrement, secteur dans lequel M. X... réalisait l'essentiel de son chiffre d'affaires, et les produits "électroniques" (alarmes) dont le renouvellement est plus fréquent, secteur dans lequel l'intéressé n'avait pas atteint ses objectifs ; qu'ainsi, en se déterminant comme elle l'a fait, sans distinguer selon la nature des produits vendus et sans préciser les parts respectives de chiffre d'affaires réalisées par M. X... en produits "physiques" et en produits "électroniques", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 751-9 du Code du travail ; alors, d'autre part, qu'en s'abstenant de répondre sur ce point aux conclusions dont elle était saisie, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions, a constaté que le matériel était renouvelé en fonction des évolutions technologiques rapides observées dans le secteur, et que M. X... avait substantiellement développé la clientèle ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Fichet Bauche aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la société Fichet Bauche à payer à M. X... la somme de 8 000 francs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille.