AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
I - Sur le pourvoi n° Q 98-11.836 formé par la société Colas Est, dont le siège est 6, rue André Kéner, 68014 Colmar Cedex,
II - Sur le pourvoi n° Q 98-12.227 formé par la société Cochery Bourdin Chausse (CBC), société en nom collectif, dont le siège est 18, Place de l'Europe, 92565 Rueil Malmaison Cedex, aux droits de laquelle vient la société Eurovia,
en cassation d'un même arrêt rendu entre elles le 19 novembre 1997 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), et :
1 / la société Comptoir des calcaires et matériaux (CCM), dont le siège est rue Moulin, 59132 Wallers Trelon,
2 / la société AXA Assurances, dont le siège est La Grande Arche, Paroi Nord, 92800 Paris La Défense-Puteaux,
défenderesses à la cassation ;
Les demanderesses invoquent chacune, à l'appui de leurs pourvois, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 7 décembre 1999, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Renard-Payen, conseiller rapporteur, MM. Ancel, Durieux, Mme Bénas, MM. Guérin, Sempère, Bargue, conseillers, Mmes Catry, Cassuto-Teytaud, conseillers référendaires, M. Sainte-Rose, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Renard-Payen, conseiller, les observations de Me Le Prado, avocat de la société Colas Est, de la SCP Vier et Barthélémy, avocat de la société Cochery Bourdin Chausse, devenue Euravia, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société Comptoir des calcaires et matériaux, de la SCP Rouvière et Boutet, avocat de la société AXA Assurances, les conclusions de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu la connexité, joint les pourvois n° Q 98-11.836 et Q 98-12.227 ;
Attendu que les sociétés Colas Est et Cochery Bourdin Chausse (CBC), aux droits de laquelle vient la société Eurovia, étaient titulaires d'un marché de travaux publics conclu le 24 juillet 1991 avec la Direction départementale de l'équipement des Ardennes (DDE) en vue de la réalisation d'un revêtement routier ; que la société Comptoir des calcaires et matériaux (CCM), agréée par la DDE, a reçu commande, à cette fin, en octobre 1991, d'une certaine quantité de grave traitée ; que la DDE ayant, par ordre de service du 17 décembre 1991, fait connaître aux sociétés cocontractantes que ses constatations laissaient présumer un vice de construction, ces dernières ont assigné, le 10 mars 1992, en référé la société CCM, aux fins d'expertise ; que l'expert ayant déposé son rapport le 19 octobre 1993, les sociétés ont assigné, le 20 septembre 1994, la société CCM devant le tribunal de commerce de Reims, aux fins d'indemnisation de leur préjudice ;
Sur le premier moyen des pourvois n° Q 98-11.836 et Q 98-12.227, pris en leurs deux branches :
Attendu que les sociétés Colas Est et Eurovia font grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables les actions dirigées par elles à l'encontre de la société CCM pour manquement à leur obligation de délivrance conforme au matériau commandé, alors, d'une part, que dans ses conclusions d'appel, la société Colas Est avait fait valoir, s'appuyant sur le rapport d'expertise, que la grave laitier livrée par la société CCM n'était pas conforme à la norme AFNOR NFP 98-106 et à la directive "pour la réalisation des assises de chaussée en graves traitées aux liants hydrauliques", document réalisé par le Laboratoire central des Ponts et chaussées pour définir les caractéristiques de ce genre de matériau ;
qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions invoquant une non-conformité de la chose livrée aux stipulations contractuelles, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, de seconde part, que s'appuyant sur les énonciations du rapport d'expertise, la société Cochery Bourdin Chausse faisait valoir dans ses conclusions que la "grave laitier" livrée n'était pas conforme à la norme AFNOR caractérisant le produit ; qu'en affirmant cependant qu'aucun défaut de conformité à la commande n'était allégué, la cour d'appel a dénaturé lesdites conclusions ; alors, enfin, que, si le vice caché prévu à l'article 1641 du Code civil s'analyse en une non-conformité de la chose livrée à son usage normal, le défaut de conformité prévu à l'article 1604 du Code civil s'analyse en une non-conformité de la chose livrée aux stipulations contractuelles ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la grave laitier livrée par la société CCM correspondait aux spécifications prévues par les parties, à savoir, les spécifications de la norme AFNOR et de la directive du LCPC et si elle était apte à l'utilisation contractuellement définie par les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1604 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel, qui a répondu, sans les dénaturer, aux conclusions communes des sociétés Colas Est et CBC prétendument délaissées, a relevé que ces sociétés ne soutenaient pas que le produit livré ne fût pas du grave laitier correspondant à la commande, mais faisaient valoir son manque d'homogénéité ; qu'elle en a déduit à bon droit qu'il s'agissait, non d'un manque de conformité au type choisi, mais d'un vice caché du matériau fourni ;
Attendu, d'autre part, que les sociétés Colas Est et CBC n'ayant jamais soutenu que la norme AFNOR et la directive du laboratoire central des Ponts et chaussées étaient entrées dans le champ contractuel, les moyens, pris en leurs deuxièmes branches, sont nouveaux, mélangés de fait et, comme tels, irrecevables ;
Mais sur le second moyen des pourvois n° Q 98-11.836 et Q 98-12.227, qui n'est pas nouveau :
Vu l'article 1648 du Code civil ;
Attendu que pour déclarer irrecevable comme tardive l'action en garantie des vices cachés formée par les sociétés Colas Est et CBC, l'arrêt attaqué relève que celles-ci n'ont assigné au fond la société CCM que le 20 septembre 1994, soit onze mois après que les défauts du produit vendu aient été portés à leur connaissance par le premier rapport d'expertise ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si l'assignation en référé de la société CCM par les sociétés Colas Est et CBC, dont elle constatait qu'elle était intervenue dès le 10 mars 1992, n'avait pas été effectuée dans le bref délai édicté par l'article 1648 du Code civil, ce dont il eut résulté que ce texte, auquel il eut ainsi été satisfait, n'avait plus lieu de trouver application et que c'était la prescription de droit commun qui avait commencé à courir, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action des sociétés Colas Est et CCM en tant qu'elle était fondée sur la garantie des vices cachés, l'arrêt rendu le 19 novembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens ;
Condamne la société AXA Assurances et la société Comptoir des calcaires et matériaux aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette les demandes de la société AXA Assurances, de la société Comptoir des calcaires et matériaux et de la société Eurovia ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille.