AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-neuf janvier deux mille, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire SOULARD, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et BORE, XAVIER et BORE avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Di GUARDIA ;
Statuant sur les pourvois formés par :
- X... Michel,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de PARIS, en date du 31 octobre 1996, qui a rejeté sa demande d'annulation d'actes de la procédure, et par :
- X... Michel,
- Y... François,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 10ème chambre, en date du 22 octobre 1998, qui, pour infractions à la législation sur les stupéfiants et importations en contrebande de marchandises prohibées et, en ce qui concerne Michel X..., seul, falsification de documents administratifs et usage de documents administratifs falsifiés, les a condamnés, le premier, à 12 ans d'emprisonnement, le second à 6 ans d'emprisonnement et, les deux, au paiement solidaire d'une amende douanière de 200 000 000 francs ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
I - Sur le pourvoi formé contre l'arrêt du 31 octobre 1996 :
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 80, 173, 174, 592 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué du 31 octobre 1996 a refusé d'annuler les actes effectués sur commission rogatoire après le mois de décembre 1993 ainsi que le réquisitoire supplétif du 22 avril 1994 et toute la procédure subséquente ;
"aux motifs que le débarquement d'environ dix tonnes de haschich et leur transport dans ledit entrepôt en août et novembre 1993 n'entraient pas dans la saisine initiale du magistrat instructeur ; toutefois, ces faits matériels constituaient des éléments de preuve du délit préexistant d'association en vue du trafic de stupéfiants dont le juge d'instruction avait été régulièrement saisi et que les enquêteurs avaient pour mission de caractériser ;
"alors, d'une part, que la chambre d'accusation, qui constate expressément que les faits d'août et novembre 1993 n'entraient pas dans la saisine du juge d'instruction, ne pouvait, sans violer l'article 80, refuser d'annuler les actes d'instruction effectués sur ces faits, et notamment ceux présentant un caractère coercitif tels la garde à vue de Michel X... et tous les actes subséquents ;
"et alors, d'autre part, qu'à supposer même que les faits d'août et novembre puissent constituer des éléments de preuve du délit préexistant d'association en vue du trafic de stupéfiants, cela ne pouvait autoriser le juge d'instruction à instruire, sans en être saisi, sur ces faits spécifiques et distincts de ceux dont il était saisi" ;
Attendu qu'à la suite d'une enquête diligentée par l'office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS) concernant un trafic visant à importer, via l'Espagne, des stupéfiants en provenance du Maroc, le ministère public, par réquisitoire du 13 avril 1993, a requis l'ouverture d'une information contre personne non dénommée des chefs notamment d'association en vue d'importer, acquérir, détenir, transporter des stupéfiants ; que les investigations menées dans le cadre de la commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction ont révélé l'existence de deux opérations de débarquement, sur les plages espagnoles, en août et novembre 1993, d'une douzaine de tonnes de haschich ; qu'interpellé et placé en garde à vue le 17 avril 1994, Michel X... a été mis en examen pour trafic de stupéfiants et association en vue d'importer, exporter, acquérir, détenir, transporter ou céder des stupéfiants, après qu'un réquisitoire supplétif, en date du 22 avril 1994, eût étendu la saisine du juge d'instruction aux infractions à la législation sur les stupéfiants commises courant août et novembre 1993 ;
Attendu que, pour écarter le moyen tiré de la violation de l'article 80 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation relève que les opérations de débarquement de drogue réalisées en août et en novembre 1993 constituaient des éléments de preuve du délit d'association en vue du trafic de stupéfiants dont le juge d'instruction avait été régulièrement saisi ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la chambre d'accusation a justifié sa décision, dès lors que l'association en vue d'un trafic de stupéfiants constitue un délit distinct du trafic lui-même et que les opérations de débarquement en cause pouvaient relever de l'un et l'autre de ces délits ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
II - Sur les pourvois formés contre l'arrêt du 22 octobre 1998 :
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Sur le premier moyen de cassation présenté pour Michel X..., pris de la violation des articles 400, 512 et 592 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué du 22 octobre 1998 ne constate pas la publicité de l'audience du 2 octobre 1998 consacrée aux débats ;
"alors que la publicité des débats, principe essentiel de la procédure pénale, est une règle d'ordre public qui ne souffre d'exception que dans les cas limitativement déterminés par la loi ;
que, dès lors, l'arrêt attaqué, qui ne constate pas la publicité de l'audience consacrée aux débats, est nul" ;
Sur le premier moyen de cassation présenté pour François Y..., pris de la violation des articles 400, 512 et 592 du Code de procédure pénale, 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué ne constate pas la publicité de l'audience du 2 octobre 1998 consacrée aux débats" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que l'arrêt attaqué mentionne que les débats ont eu lieu à l'audience publique du 1er octobre 1998 et se sont poursuivis à l'audience du 2 octobre 1998 ;
Attendu qu'il s'en déduit, en l'absence de mentions contraires, que l'audience du 2 octobre 1998 s'est déroulée selon les mêmes modalités ;
Qu'ainsi le moyen ne peut être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation présenté pour Michel X..., pris de la violation des articles 112-1, 222-36 et 450-1 du Code pénal, 338 de la loi du 16 décembre 1992, L. 627 ancien du Code de la santé publique, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 15-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à la peine de douze ans d'emprisonnement des chefs d'exportation, importation, transport, détention, offre, cession ou acquisition de stupéfiants commis en bande organisée, faits commis toute l'année 1993 et courant 1994 jusqu'au 17 avril 1994 ;
"alors, d'une part, que la circonstance aggravante de bande organisée introduite par l'article 222-36 du Code pénal ne peut s'appliquer aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur le 1er mars 1994 ; que, dès lors, l'arrêt attaqué, qui ne constate pas la date à laquelle auraient été commis les faits caractérisant cette circonstance aggravante, et qui adopte les motifs du jugement qui ne relève aucun fait postérieur au mois de décembre 1993 à l'encontre de Michel X..., est dépourvu de toute base légale ;
"et alors, d'autre part, et au surplus, que l'article 15-1 du Pacte international prévoit que, lorsque postérieurement à l'infraction la loi fixe une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier ; que, dès lors, et nonobstant les termes de l'article 338 de la loi du 16 décembre 1992, le délit d'association de malfaiteurs, qui se substitue à celui d'association formée en vue de commettre une infraction à la législation sur les stupéfiants, étant désormais puni de dix ans d'emprisonnement par l'article 450-1 du Code pénal, la peine de douze ans d'emprisonnement prononcée est manifestement illégale" ;
Sur le deuxième moyen de cassation présenté pour François Y..., pris de la violation des articles 112-1 et suivants, 132-71 et 222-36 du Code pénal, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des principes généraux du droit, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la cour d'appel a confirmé le jugement déféré déclarant François Y... coupable d'exportation, importation, transport, détention, cession, offre et acquisition de stupéfiants avec cette circonstance que les faits avaient été commis en bande organisée ;
"alors qu'une loi pénale modifiant une incrimination ne peut s'appliquer à des faits commis avant son entrée en vigueur et non encore définitivement jugés lorsqu'elle modifie les éléments de cette incrimination dans un sens défavorable au prévenu ; que cette règle du droit interne est un élément essentiel du procès équitable ;
que l'article 222-36 du Code pénal qui prévoit que des faits d'importation ou d'exportation illicite de stupéfiants sont punis de trente ans de réclusion criminelle et de 50 millions de francs d'amende lorsqu'ils sont commis en bande organisée, modifie dans le sens d'une plus grande répression les dispositions figurant antérieurement dans le Code de la santé publique applicables aux faits commis antérieurement au 1er mars 1994, date de l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal ; qu'il s'ensuit qu'alors qu'ils ne constataient aucune participation de François Y... à un trafic illicite de stupéfiants postérieurement au 1er mars 1994, les juges du fond ne pouvaient, sans méconnaître le principe susvisé, entrer en voie de condamnation à son encontre en retenant expressément la circonstance - nouvelle - de "bande organisée" constitutive par elle-même d'une aggravation de l'incrimination" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, d'une part, la déclaration de culpabilité des prévenus, pour importations illicites de stupéfiants et entente établie en vue d'une telle importation, souverainement constatée par les juges du fond dans les conditions prévues par l'article L. 627, alinéas 1 et 2, du Code de la santé publique dans sa rédaction alors applicable, trouve son support légal, depuis l'entrée en vigueur du Code pénal, dans les articles 132-71 et 222-36 dudit Code incriminant l'importation illicite de stupéfiants commise en bande organisée, la définition de cette circonstance recouvrant celle de l'entente ;
Que, d'autre part, si le même article 222-36, en ce qu'il réprime désormais de tels faits d'une peine de 30 ans de réclusion criminelle, plus sévère dans sa nature et sa durée que celle encourue au moment des faits, est, de ce fait, inapplicable en l'espèce, les peines prononcées demeurent justifiées, nonobstant les termes de l'article 131-4 du Code pénal, par application de l'article 338 de la loi du 16 décembre 1992 ; que cette dernière disposition n'est pas contraire à l'article 15-1 du Pacte international, dès lors que la peine qui sanctionne l'infraction d'importation illicite de stupéfiants commise en bande organisée n'est pas plus légère que celle qui sanctionnait les infractions auxquelles elle s'est substituée ;
D'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis ;
Sur le troisième moyen de cassation présenté pour François Y..., pris de la violation des articles 132-18 et 132-24 du Code pénal, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la décision des premiers juges condamnant François Y... à six ans d'emprisonnement ;
"alors qu'en se référant, tant par motifs propres que par adoption des motifs des premiers juges, à la seule nature des faits poursuivis et aux circonstances de l'infraction sans s'expliquer spécialement sur la personnalité de François Y..., l'arrêt a méconnu les dispositions des articles 132-18 et 132-24 du Code pénal qui sont substantielles" ;
Attendu que, pour condamner le demandeur à une peine d'emprisonnement non assortie du sursis, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, relève que les faits sont graves en raison de la quantité de drogue en cause, du caractère international et très structuré du trafic et de la puissance des moyens financiers mis en oeuvre, et que François Y..., loin de se cantonner à de simples tâches d'exécution matérielle, a joué un rôle important dans la mise en place et l'extension dudit trafic ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 132-19 du Code pénal ;
Que le moyen doit donc être écarté ;
Sur le quatrième moyen de cassation présenté pour François Y..., pris de la violation des articles 406 du Code des douanes, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré François Y... coupable du délit douanier d'importation en contrebande de marchandises prohibées à titre absolu et l'a condamné, solidairement avec Michel X..., Carlo A..., Richard X..., Aldo B... et Giovanni Z..., à payer une amende douanière de 200 millions de francs ;
"alors qu'il résulte des dispositions de l'article 406 du Code des douanes que chaque infraction doit donner lieu à l'application d'une amende distincte et que les condamnations à cette amende ne sont solidaires qu'autant que les auteurs de l'infraction sont poursuivis pour un même fait de fraude ; que l'arrêt a, par adoption des motifs des premiers juges, constaté qu'il existait des opérations d'importation distinctes de produits stupéfiants, l'une située dans le temps en juillet-août 1993 et l'autre en novembre 1993 et que, dès lors, en condamnant François Y... à une amende douanière au titre de deux infractions, l'arrêt a méconnu les dispositions du texte susvisé en sorte que la cassation est encourue" ;
Attendu qu'après avoir déclaré François Y... coupable d'avoir importé en contrebande des marchandises prohibées au cours des mois d'août et novembre 1993, l'ensemble des faits constituant une seule infraction, la cour d'appel l'a condamné, solidairement avec d'autres prévenus, au paiement d'une amende douanière d'un montant égal à la valeur des marchandises importées ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application de l'article 406 du Code des douanes, dès lors que tous les prévenus avec lesquels François Y... a été condamné solidairement ont été déclarés coupables des mêmes faits ;
Que le moyen ne saurait être accueilli ;
Mais sur le troisième moyen de cassation présenté pour Michel X..., pris de la violation des articles 4 ancien et 111-3 du Code pénal ;
"en ce que l'arrêt attaqué a affecté les fonds saisis au paiement des pénalités douanières ;
"alors qu'une peine ne peut être appliquée que si elle est édictée par la loi ; que l'affectation des fonds saisis au paiement de l'amende douanière n'est prévue par aucun texte de loi" ;
Et sur le moyen de cassation complémentaire présenté pour François Y..., pris de la violation des articles 4 ancien du Code pénal et 111-3 du Code pénal ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé le jugement déféré qui, après avoir prononcé la confiscation des scellés, avait ordonné la mainlevée judiciaire, au profit de l'administration des Douanes, avec exécution provisoire, des scellés judiciaires renfermant des sommes d'argent afin que ces sommes ou leur contre-valeur en francs viennent en déduction partielle des pénalités douanières ;
"alors qu'aucun texte ne permet au juge d'affecter les fonds saisis au cours de la procédure au paiement des pénalités douanières"
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 382 du Code des douanes ;
Attendu qu'aux termes de ce texte; l'exécution des jugements et arrêts en matière de douane peut avoir lieu par toute voie de droit, notamment celles qu'il énumère ;
Attendu qu'après avoir déclaré Michel X... et François Y... coupables de contrebande, la cour d'appel a prescrit l'affectation des sommes d'argent saisies au paiement des pénalités douanières ;
Mais attendu qu'en prononçant une telle mesure, alors qu'elle n'entre pas dans les prévisions du texte susvisé, les juges en ont méconnu le sens et la portée ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs,
I - Sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, du 31 octobre 1996 :
Le REJETTE ;
II - Sur les pourvois formés contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, du 22 octobre 1998 ;
CASSE et ANNULE par voie de retranchement, ledit arrêt, en ses seules dispositions ayant déclaré que les sommes saisies seraient affectées au paiement partiel des amendes douanières ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Gomez président, M. Soulard conseiller rapporteur, MM. Schumacher, Martin, Pibouleau, Challe, Roger, Beyer, Dulin conseillers de la chambre, Mme de la Lance, M. Samuel conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Di Guardia ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;