AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Michel Z..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 22 mai 1997 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre B), au profit de la société X..., société anonyme, dont le siège est ...,
défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 20 octobre 1999, où étaient présents : M. Carmet, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président et rapporteur, MM. Ransac, Chagny, conseillers, M. Frouin, conseiller référendaire, M. Lyon-Caen, avocat général, Mme Ferré, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Carmet, conseiller, les observations de Me Ricard, avocat de M. Z..., les conclusions de M. Lyon-Caen, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que M. Z... a été engagé, le 1er octobre 1972, par la société X... ; qu'il a été licencié le 21 octobre 1992 pour faute grave, pour détournement au profit d'une entreprise concurrente de la clientèle de l'entreprise ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt attaqué (Versailles, 25 mai 1997) d'avoir décidé que le licenciement avait une cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; que M. Z... se prévalait, dans ses conclusions d'appel, d'une note de synthèse établie par la société X..., dans laquelle celle-ci reconnaissait avoir elle-même découvert l'une des malversations entre M. Z... et la société Mercier, avoir pris rendez-vous avec M. A..., responsable de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris, en mai 1992, pour faire la lumière sur les agissements supposés du salarié, et déclarait que l'entretien du mercredi 16 septembre 1992 avec M. Y... avait seulement "confirmé" que M. Z... avait négocié et apporté récemment à l'entreprise Mercier un contrat de travaux portant sur des immeubles de l'Assistance publique ; qu'en estimant que l'employeur n'avait été suffisamment informé de ces faits qu'au cours d'un entretien du 3 septembre 1992 avec M. Y..., sans s'expliquer sur l'existence et le contenu de cette note de synthèse de l'employeur invoquée par le salarié, et sans indiquer en quoi les informations dont l'employeur avait ainsi reconnu être en possession dès le mois de mai 1992 ne lui permettait pas d'avoir une connaissance suffisante des faits allégués à l'encontre de M. Z..., la cour d'appel a privé sa décision de motifs, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, que le juge ne peut se fonder que sur des faits qui sont dans le débat ; qu'en l'espèce, pour déclarer non prescrits les faits reprochés, la cour d'appel a retenu que l'information suffisante de l'employeur remontait au 3 septembre 1992, jour d'une réunion qui se serait tenue au siège de la société d'enquêtes privées JB Kinson, entre M.
Y..., gérant de la société Mercier, et M. et Mme X..., sans toutefois préciser de quel document elle tenait cette date du 3 septembre, que l'attestation de M. A... du 22 septembre 1992 ne mentionnait pas et qui ne résultait que du rapport du 9 septembre 1992, invoqué par l'employeur dans ses conclusions ; qu'en statuant ainsi, après avoir déclaré qu'il n'était pas nécessaire de s'appuyer sur ledit rapport de la société d'enquêtes privées, la cour d'appel s'est fondée sur un élément ne ressortant pas des débats et a ainsi entaché sa décision d'une violation des articles 4, 7 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu qu'appréciant souverainement la portée des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a retenu, sans encourir les griefs du moyen que l'employeur n'avait été suffisamment informé de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié que moins de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen :
Attendu que le salarié fait encore grief à l'arrêt d'avoir ainsi statué, alors que, selon le moyen, ne constitue pas une faute grave pour un salarié le fait d'introduire auprès d'un client de son employeur une entreprise tierce possédant les qualifications professionnelles que ne possède pas l'entreprise de son employeur ; qu'en l'espèce, il résulte d'une part, de l'attestation de M. A... du 22 septembre 1992, que l'Assistance publique des hôpitaux de Paris connaissait déjà l'entreprise Mercier avant que M. Z... ne lui en ait parlé, et, d'autre part, de l'attestation de M. Y..., du 1er janvier 1994 que la société Mercier n'avait été contactée que pour des travaux relevant de sa compétence professionnelle pour lesquels la société X... ne possédait pas les qualifications professionnelles, et finalement n'avait pas obtenu le marché ; qu'en décidant néanmoins que le seul fait d'avoir fait état de la société Mercier auprès de M. A... pour des travaux que la société X... ne pouvait pas exécuter constituait une faute grave de la part de M. Z..., la cour d'appel a violé les articles L. 122-6, L. 122-8 et L. 122-9 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, exerçant son pouvoir d'appréciation des éléments de fait et de preuve, a constaté que les sociétés X... et Mercier étaient en concurrence sur le marché de l'entretien des immeubles et que M. Z... avait favorisé cette dernière en l'introduisant auprès d'un client de la société X... son employeur, mettant ainsi en péril la poursuite et le développement des relations commerciales avec ce dernier ; qu'en l'état de ces constatations, elle a pu décider que le comportement du salarié était contraire au devoir de loyauté, qu'il rendait impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis et constituait une faute grave ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z... aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.