AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / Mlle Edith E..., demeurant ...,
2 / M. Bruno E..., demeurant ...,
3 / Mme Bénédicte F..., demeurant .... 43, 47600 Nerac,
en cassation d'un arrêt rendu le 8 avril 1997 par la cour d'appel de Caen (1ère chambre, section civile), au profit :
1 / de G...
I... Lorin, épouse Y..., demeurant ...,
2 / de Mme Roselyne Y..., veuve X..., demeurant ...,
3 / de M. Alain Y..., demeurant Lech'Turquey, 22260 Ploezal,
4 / de M. Hervé Y..., demeurant ...,
5 / de Mme Brigitte E..., épouse Z..., demeurant ...,
6 / de M. Henri A..., demeurant ...,
7 / de Mme Marie B..., épouse A..., demeurant ...,
8 / de Mlle Agnès C..., demeurant ...,
9 / de Mlle Annick D..., demeurant ..., prise en la personne de son curateur, M. Jean-Claude K...,
10 / de M. Dominique E..., demeurant ...,
11 / de M. Jean-Philippe E..., demeurant ...,
12 / de Mlle Véronique E..., demeurant ...,
13 / de Mme Isabelle E..., épouse J..., demeurant ...,
14 / de Mme Catherine E..., épouse L..., demeurant ...,
15 / de M. Jean-François Y..., demeurant ...,
16 / de M. Patrick E..., demeurant ...,
défendeurs à la cassation ;
en présence de :
M. Yves E..., demeurant ... "Le Roitelet", 44500 La Baule,
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 26 octobre 1999, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Guérin, conseiller rapporteur, M. Renard-Payen, conseiller, M. Gaunet, avocat général, Mme Aydalot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Guérin, conseiller, les observations de Me Choucroy, avocat de Mme Edith E..., M. Bruno E... et de Mme F..., de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat des consorts Y..., des époux A..., de Mlle C..., de Mlle D..., de M. Dominique E..., de M. Jean-Philippe E..., de Mlle Véronique E..., de Mme J... et de Mme L..., les conclusions de M. Gaunet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que Virginie E..., veuve Jan, est décédée le 4 mars 1993 en laissant un testament daté du 24 mai 1988, aux termes duquel elle instituait comme légataires universels ses frères et soeur ainsi que les enfants de son frère Yves prédécédé, au nombre desquels se trouvent les trois demandeurs au pourvoi, à charge pour eux d'acquitter divers legs particuliers, nets de tous frais et droits, consentis notamment au profit de cinq filleuls et de huit autres neveux ; que les charges imposées aux légataires universels étant d'un montant supérieur aux avoirs bancaires de la défunte, les enfants d'Yves E... ont refusé de participer à la délivrance des legs particuliers; que l'arrêt attaqué (Caen, 8 avril 1997) a fait droit à la demande de délivrance formée à leur encontre ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que Mlle Edith E..., M. Bruno E... et Mme Bénédicte F... font grief à la cour d'appel d'avoir ainsi statué, alors que, selon le moyen, d'une part, elle n'a pas pris en compte le moyen d'appel des requérants, tiré de ce que les soi-disants legs à titre particulier consentis aux cinq filleuls et à huit neveux de la testatrice devaient être en réalité qualifiés de legs à titre universel, dans la mesure où, sous déduction de deux petits legs à titre particulier, la testatrice leur léguait la quasi-totalité de ses avoirs bancaires constituant une même masse répartie à égalité ; qu'en effet, il s'agissait d'une quote-part déterminée de ses biens, dont la loi permettait à la testatrice de disposer et donnait aux légataires vocation à la recevoir, les avoirs bancaires constituant du reste l'essentiel des biens de la testatrice ; que l'arrêt est donc entaché d'un défaut de base légale au regard de l'article 1010 du Code civil ; alors, d'autre part, que l'arrêt a méconnu la loi du testament, en présumant que Mme C... aurait entendu écarter les légataires universels, ses frères et soeur de sa succession, bien qu'elle ait clairement manifesté sa volonté de leur léguer indivisément tous ses biens mobiliers et immobiliers, y compris en cas de prédécès de ceux-ci, et qu'elle ait précisé in fine qu'il devait y avoir partage de toutes "ses affaires en bonne intelligence", lequel devait également inclure des immeubles ; que l'arrêt a donc violé l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir exactement relevé, par motifs adoptés, que les legs des avoirs bancaires de Mme C... à ses filleuls et neveux par parts égales devaient être analysés comme des legs particuliers, suivant la distinction prévue à l'article 1010 du Code civil, puisqu'il ne s'agissait pas d'un legs d'une quotité de tous ses immeubles ou de tout son mobilier, mais simplement d'une partie de ses meubles regroupés en raison de leur nature économique, la cour d'appel n'a fait que constater, sans dénaturation, que l'obligation imposée aux légataires universels de délivrer les legs particuliers conformément à la volonté de la testatrice avait pour résultat de les exclure en fait de la succession ;
d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen :
Attendu que les trois requérants font encore grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leur demande de réduction des legs par application de l'article 926 du Code civil, alors que, selon le moyen, la réduction proportionnelle de legs, prévue par ce texte, est une règle d'ordre général prétorienne applicable, même en l'absence d'héritiers réservataires, lorsque les legs excèdent l'actif successoral, le légataire universel ne pouvant être traité différemment dans ce cas selon qu'il est ou non en concours avec des héritiers réservataires, sous peine de le priver anormalement et injustement de ses droits dans la succession ;
Mais attendu qu'après avoir exactement énoncé que l'action en réduction n'a pour objet que la protection de la réserve héréditaire, la cour d'appel en a, à bon droit, déduit qu'en l'absence d'héritiers réservataires, l'article 926 du Code civil ne pouvait s'appliquer en la cause ; que la circonstance que les légataires universels seraient ainsi exclus en fait de la succession est sans incidence ; que le moyen n'est donc pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mlle Edith H..., M. Bruno E..., Mme Bénédicte F... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des défendeurs ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.