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21/09/1999 | FRANCE | N°98-83448

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 21 septembre 1999, 98-83448


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un septembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de la société civile professionnelle MONOD et COLIN et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général de GOUTTES ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Gilles,

contre l

'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 13 mai 1998, qui, dans la ...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt et un septembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de la société civile professionnelle MONOD et COLIN et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général de GOUTTES ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Gilles,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 13 mai 1998, qui, dans la procédure suivie contre lui pour diffamation publique envers un particulier, l'a condamné à des réparations civiles ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 5 et 1351 du Code civil, 29, alinéa 1, et 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1981, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué, déclarant Gilles Ménage coupable d'imputations diffamatoires envers X..., a dit que Gilles Ménage a, sur le fondement des articles 29 et 32 susvisés, commis une faute préjudiciable à ce dernier et, en répression, l'a condamné à lui verser la somme d'un franc à titre de dommages-intérêts ;

" 1) aux motifs, en premier lieu, qu'il ressort des écritures des parties que la question préalable de l'existence d'une polémique et de son effet sur la notion de bonne foi est soulevée ;

que les déclarations des parties devant le tribunal et la Cour, ainsi que les pièces versées au dossier, font apparaître un contexte polémique plus vaste que les seules relations personnelles de Gilles Ménage et X... ; qu'il paraît s'agir du regard extrêmement critique que porte chacun des protagonistes de cette affaire sur la pratique professionnelle de l'autre ; que cet antagonisme est plus ancien que la révélation de l'affaire des écoutes de l'Elysée et que la position de Gilles Ménage ne peut être réduite à la défense de ses intérêts dans le cadre de ce dossier ;

que, cependant, bien que le climat soit polémique, il n'apparaît pas pour autant que l'on soit dans le cadre d'une polémique politique, au sens que la jurisprudence donne à ce terme, pour en tirer les conséquences juridiques ;

" alors que, d'une part, les principes de la séparation des pouvoirs et de l'autorité de la chose jugée interdisent de reconnaître toute force obligatoire au précédent judiciaire ; que, donc, si le juge est autorisé à apprécier les conditions de mise en oeuvre d'une règle de droit dans le cadre d'un litige, cette appréciation ne peut avoir de valeur normative ; qu'en se bornant, cependant, à énoncer que le débat litigieux ne constitue pas un débat politique " au sens de la jurisprudence ", la cour d'appel s'est liée par une règle générale énoncée par les tribunaux dont elle n'a, au surplus, pas précisé le contenu et a donc violé les articles susvisés ;

" alors que, d'autre part, la polémique politique est celle qui porte sur les opinions et les doctrines relatives au rôle et au fonctionnement des institutions fondamentales de l'Etat et que, dans le domaine de la polémique politique, le fait justificatif de bonne foi n'est pas nécessairement subordonné à la prudence dans l'expression de la pensée ; qu'en l'espèce, il est constant que Gilles Ménage et X... étaient respectivement mis en examen et partie civile dans la procédure d'information conduite par M. Y... tendant à instruire l'affaire dite des " écoutes téléphoniques de l'Elysée ", qui mettait directement en cause le rôle et le fonctionnement des institutions fondamentales de l'Etat à travers la personne de Gilles Ménage ; que les déclarations de Gilles Ménage, tout comme celles de X... s'inscrivaient donc dans ce contexte de polémique sur le rôle et le fonctionnement des institutions fondamentales de l'Etat ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée, si le débat, dont elle constatait qu'il s'inscrivait dans un contexte polémique plus large que les seules relations personnelles de Gilles Ménage et X... et concernait le regard que portait chacun des protagonistes de cette affaire sur la pratique professionnelle de l'autre, ne s'inscrivait pas dans le cadre plus vaste d'un débat d'opinion sur le rôle et le fonctionnement des institutions politiques fondamentales de l'Etat et en se bornant à affirmer que le débat entre Gilles Ménage et X... ne constitue pas une polémique politique au sens de la jurisprudence, la cour d'appel n'a pas caractérisé, au regard des dispositions susvisées, l'absence de polémique politique permettant le fait justificatif tiré de la bonne foi, non subordonné à la prudence dans l'expression de la pensée ;

" alors qu'enfin, le débat litigieux entre Gilles Ménage et X... portait sur l'utilisation des écoutes téléphoniques par l'Etat, à travers la personne de Gilles Ménage et posait directement la question de la légitimité de l'emploi de moyens tels que les écoutes téléphoniques, pour la défense des intérêts supérieurs de l'Etat ; qu'ainsi, à travers cette polémique s'opposaient directement deux conceptions du rôle et du fonctionnement des institutions étatiques ; qu'en décidant, cependant, que la polémique ne constituait pas une polémique politique au sens de la jurisprudence, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

" 2) et aux motifs, en second lieu, qu'il convient donc d'examiner si les éléments constitutifs de la bonne foi sont réunis ;

que traiter du sujet de la pratique professionnelle d'un journaliste et des rapports de celle-ci avec ses choix politiques est légitime notamment dans le cadre d'une émission portant sur des thèmes d'intérêt général comme celle de Jean-Pierre Elkabach, et qu'il ressort du dossier qu'existe un ensemble d'éléments qui ont pu nourrir concrètement l'opinion dont a fait part Gilles Ménage ; mais que les sujets, particulièrement importants et délicats, sur lesquels Gilles Ménage s'est exprimé, concernaient des affaires qui amenaient à s'interroger sur l'attitude des pouvoirs publics sur les questions essentielles touchant aux libertés et au respect de la vie humaine et que le débat public a été possible grâce au travail d'information dont les journalistes ont été les auteurs ; que, dès lors, imputer à X... un rôle de déstabilisateur systématique en matière politique est une expression qui manque de mesure ;

" alors que, d'une part, la cour d'appel qui a constaté que les déclarations de Gilles Ménage s'inscrivaient dans un contexte polémique et qu'il existait des éléments ayant pu nourrir l'opinion que Gilles Ménage a exprimé sur X..., c'est-à-dire un rôle de déstabilisateur politique et qui, cependant, a décidé que le fait d'imputer ce rôle à Gilles Ménage manque de mesure, n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations et a violé les articles susvisés ;

" alors que, d'autre part, en ne recherchant pas si les termes employés par Gilles Ménage à l'égard d'X... ne constituaient pas simplement une défense proportionnée aux attaques multiples et violentes dont il avait fait l'objet, la cour d'appel n'a nullement caractérisé la démesure exclusive de la bonne foi, au regard des articles susvisés " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'X... a fait citer Gilles Ménage devant le tribunal correctionnel pour diffamation envers un particulier en raison des propos suivants tenus au cours d'une émission radiophonique :

" Je ne vous dirai pas ni pourquoi ni qui a écouté X... mais je vous dirai ce que j'ai lu dans la procédure judiciaire. Et qu'est-ce que j'ai lu ? Que Monsieur X... est très actif au moment de l'affaire Green Peace, qu'il s'occupe de la Nouvelle-Calédonie, dans un sens qui est toujours le même, le sens de la déstabilisation systématique (...)

" Parce qu'il a une stratégie. On le verra le jour où cette affaire sera tirée au clair et si je suis délivré du secret défense. Parce qu'il a une stratégie de déstabilisation politique ".

Attendu que, pour infirmer, sur le seul appel de la partie civile, le jugement ayant accordé au prévenu le bénéfice de la bonne foi et condamner celui-ci à des réparations civiles, la cour d'appel retient qu'il a manqué de mesure dans l'expression de sa pensée ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, les juges ont justifié leur décision sans encourir les griefs allégués ;

Que le demandeur, qui n'a pas soutenu devant les juges du second degré que les propos incriminés s'inscrivaient dans une polémique politique, ne saurait leur reprocher de s'être insuffisamment expliqués sur ce point ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Gomez président, M. Desportes conseiller rapporteur, MM. Milleville, Pinsseau, Joly, Mmes Simon, Chanet, Anzani, MM. Arnould, Le Corroller, Mme Koering-Joulin conseillers de la chambre, Mme Karsenty conseiller référendaire ;

Avocat général : M. de Gouttes ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 98-83448
Date de la décision : 21/09/1999
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 11ème chambre, 13 mai 1998


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 21 sep. 1999, pourvoi n°98-83448


Composition du Tribunal
Président : Président : M. GOMEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1999:98.83448
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