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08/06/1999 | FRANCE | N°98-81171

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 08 juin 1999, 98-81171


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général le FOYER de COSTIL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X..., partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS de la REUNION, en date du 18 décembre 1997,

qui, dans la procédure suivie contre B..., C... et la SA Journal de Z... du chef de di...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller SIMON, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général le FOYER de COSTIL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X..., partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS de la REUNION, en date du 18 décembre 1997, qui, dans la procédure suivie contre B..., C... et la SA Journal de Z... du chef de diffamation publique envers un particulier, l'a débouté de ses demandes après relaxe des prévenus ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 23 de la loi du 3 août 1995 portant amnistie, 29, alinéa 1, et 32, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé B... et C... des fins de la poursuite du chef de diffamation envers un particulier ;

"aux motifs que les imputations diffamatoires à l'encontre de X... sont contenues dans un article écrit à l'occasion du cinquantenaire de la mort de A... et consacré au contexte dans lequel celle-ci est survenue et à ses circonstances ; que le décès, en 1946, de A..., homme politique connu, leader du MRP, de mort violente, à l'occasion de la campagne des élections législatives du 2 juin 1946, auquel il était candidat, constitue incontestablement un événement historique ; qu'il est, dès lors, parfaitement légitime, pour un journaliste, à l'occasion du cinquantenaire de cette mort, d'écrire un article à caractère purement historique sur le contexte et les circonstances dans lesquelles elle est survenue, sauf à ce qu'il soit définitivement interdit d'évoquer cet événement ; que, dès lors qu'il narrait cet événement d'histoire, C... était nécessairement conduit à faire état de l'imputation faite à X... d'avoir été l'auteur du coup de feu ayant tué A... et des suites qui furent données à cette affaire ; qu'il se devait alors d'exposer les événements dans des conditions de prudence, d'objectivité et de réserve dans l'expression et sans intention malveillante ; que tel a été le cas en l'espèce ; que l'article incriminé contient des précisions que le devoir d'objectivité du journaliste commandait d'y insérer ;

qu'en effet, cet article non seulement ne revêt aucune connotation polémique, mais porte en marge et en gros caractères, la version de X... : "J'ai vu à ma droite une main noire avec un revolver", qui est reprise et développée dans un encadré sur deux colonnes et mentionne également "qu'il a accompli une guerre exemplaire" et qu'il "bénéficie du sursis compte tenu de son passé et du fait qu'il n'avait encore fait l'objet d'aucune condamnation lors des événements" ; qu'à cet égard, le journaliste cite, notamment, l'article écrit à l'époque dans le périodique "La Démocratie" sans qu'il soit prétendu que cette relation de la défense de X... ait été inexacte ; qu'enfin, la Cour considère, tout comme le tribunal, que celui qui relate des événements historiques conserve une liberté dans l'analyse et la présentation de ces événements, pourvu qu'il ne dénature pas la réalité et qu'à la lecture de cet article, même s'il est répété à plusieurs reprises que X... "abattait" ou "a abattu" A..., on ne peut considérer que C... ait outrepassé cette limite ;

"alors que les imputations diffamatoires impliquent l'intention coupable de leur auteur ; que cette présomption s'applique à la relation de faits historiques contemporains, que le rappel d'une condamnation amnistiée est pénalement sanctionnée par l'article 23 de la loi du 3 août 1995 portant amnistie dont les dispositions sont générales et que, dès lors, un tel rappel, dénué de toute prudence est, par là même, exclusif de la bonne foi" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé B... et C... des fins de la poursuite du chef de diffamation publique envers un particulier ;

"aux motifs que l'article incriminé relate un événement incontestablement important de l'histoire de la Réunion, tant en raison de la personnalité de A..., candidat aux élections législatives lorsqu'il fut abattu, que celle de X..., parlementaire de longue date ; qu'il était, dès lors, parfaitement légitime, pour un journaliste, à l'occasion du cinquantenaire de cette mort, d'écrire un article à caractère purement historique sur le contexte et les circonstances dans lesquelles elle est survenue, sauf à ce qu'il soit définitivement interdit d'évoquer cet événement ; que, dès lors qu'il narrait cet événement d'histoire, C... était nécessairement conduit à faire état de l'imputation faite à X... d'avoir été l'auteur du coup de feu ayant tué A... et des suites qui furent données à cette affaire ;

qu'il se devait alors d'exposer les événements dans les conditions de prudence, d'objectivité et de réserve dans l'expression et sans intention malveillante ; que tel a été le cas en l'espèce ; que l'article incriminé contient des précisions que le devoir d'objectivité du journaliste commandait d'y insérer ; qu'en effet, cet article non seulement ne revêt aucune connotation polémique, mais porte en marge et en gros caractères la version de X... : "J'ai vu à ma droite une main noire avec un revolver", qui est reprise et développée dans un encadré sur deux colonnes, et mentionne également "qu'il a accompli une guerre exemplaire" et qu'il "bénéficia du sursis compte tenu de son passé et du fait qu'il n'avait encore fait l'objet d'aucune condamnation lors des événements" ;

qu'à cet égard, le journaliste cite, notamment, l'article écrit à l'époque dans le périodique "La Démocratie" sans qu'il soit prétendu que cette relation de la défense de X... ait été inexacte ;

qu'enfin, la Cour considère tout comme le tribunal, que celui qui relate des événements historiques conserve une liberté dans l'analyse et la présentation de ces événements, pourvu qu'il ne dénature pas la réalité et qu'à la lecture de cet article, même s'il est répété à plusieurs reprises que X... "abattait" ou "a abattu" A..., on ne peut considéré que C... ait outrepassé cette limite ;

"alors que la bonne foi est exclusive de toute présentation tendancieuse et malveillante ; que la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que la première page du Journal de L'Ile comporte, en regard du titre "l'assassinat des moines français

- indignation", un encart annonçant l'article incriminé qui se situe en page 6 ; que cet encart est intitulé "Il y a cinquante ans, A... était assassiné" et que, dès lors, l'imputation faite à X... dans l'article incriminé d'avoir "abattu" A..., se rapporte nécessairement à un homicide avec préméditation que le lecteur rapproche inévitablement de celui des moines de Tibhrine, cependant que X..., selon les constatations de l'arrêt attaqué, n'a été déclaré coupable par la cour d'assises que de blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner et que, dès lors, en interprétant les termes de l'article incriminé, sans examiner le journal dans son ensemble, comme elle en avait l'obligation, la cour d'appel a contredit dans son analyse les termes de l'écrit qui lui était soumis ;

"alors que le terme "abattre" par deux fois employé par l'article en titre et en sous-titre est manifestement excessif en lui-même, la condamnation amnistiée concernant des coups mortels exclusifs, en tant que tels de l'intention de tuer, impliquée nécessairement par le terme "abattre" ;

"alors que l'article comporte en tête la photographie de la victime avec cette légende "A... était sans doute l'un des rares à pouvoir battre X..." ; que cette légende insinue nécessairement que X... a "abattu" A... en vue de débarrasser son père, X..., d'un adversaire politique et qu'ainsi, le terme "abattre" utilisé dans ce contexte, désigne nécessairement un assassinat" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé C... des fins de la poursuite du chef de diffamation publique envers un particulier au bénéfice de la bonne foi ;

"aux motifs que l'article incriminé, non seulement ne revêt aucune connotation polémique mais porte, en marge et en gros caractères, la version de X... "J'ai vu à ma droite une main noire avec un revolver" qui est reprise et développée dans un encadré sur deux colonnes ;

"alors que le devoir d'objectivité s'impose au journaliste ; que ce devoir implique que les thèses en présence soient exposées et que, dans l'article signé de C..., seule la thèse des partisans de A... est exposée, cependant que celle de X... ne se retrouve pas dans le texte écrit par le journaliste ;

"alors que, comme le soutenait X... dans sa citation devant la cour d'appel, l'article signé par C... était tendancieux puisque tout en faisant référence à deux ouvrages, d'une part, le Mémorial de la Réunion et, d'autre part, l'ouvrage de D..., intitulé "X..., 1882-1957", C... n'exposait dans son article que la thèse des partisans de A... et qu'en ne s'expliquant pas sur cet argument péremptoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

"alors que l'article rapportant la thèse de X..., distinct de celui de C... n'a pas l'importance en longueur de l'article signé du journaliste, en sorte que la présentation de la page dans son ensemble est totalement dépourvue d'objectivité" ;

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que les imputations diffamatoires impliquent l'intention coupable de leur auteur ; que, si le prévenu peut démontrer sa bonne foi par l'existence de circonstances particulières, c'est à lui seul qu'incombe cette preuve, la critique qui se prétend historique n'échappant pas à cette exigence, et cette preuve ne pouvant résulter du rappel d'une condamnation amnistiée ; que l'exception de bonne foi ne saurait être légalement admise par les juges qu'autant qu'ils énoncent les faits sur lesquels ils se fondent et que ces faits justifient cette exception ;

Attendu qu'à l'occasion du cinquantenaire de la mort d'Alexis de A..., le périodique "Le Journal de Z..." a fait paraître dans son numéro du 25 mai 1996 une page consacrée à cet événement, ayant pour titre "Le 25 mai 1946, X... abattait A...", et comprenant un article signé C..., ainsi que des encarts non signés ; que X... a cité devant le tribunal correctionnel le journaliste signataire ainsi que le directeur de publication du journal, pour diffamation publique envers un particulier et complicité, à raison notamment de l'imputation qui lui était faite, à deux reprises, d'avoir abattu A..., et du passage de l'article suivant : "Le procès du meurtre de A... s'est tenu aux assises de Lyon. X... fut reconnu coupable d'avoir porté à Alexis de A... des blessures ayant entraîné sa mort, la préméditation ne fut pas reconnue. Condamné, X... bénéficia du sursis" ;

Attendu qu'après avoir retenu le caractère diffamatoire de l'imputation faite à X... d'avoir commis un crime de sang, les juges ont admis l'exception de bonne foi invoquée par les prévenus ;

qu'ils ont relevé que, dès lors qu'il relatait l'événement historique de la mort de A..., candidat aux élections législatives en 1946, le journaliste avait été nécessairement conduit à faire état de l'imputation faite à X... d'avoir été l'auteur du coup de feu ayant tué A..., et ont estimé qu'en répétant à plusieurs reprises que X... avait abattu A..., le journaliste n'avait pas dépassé les limites de la liberté d'analyse et de présentation des faits qui doit être reconnue à celui qui relate un événement historique, pourvu qu'il ne dénature pas la réalité ;

Mais attendu qu'en se bornant à affirmer que l'article contenait des précisions que le devoir d'objectivité du journaliste commandait d'y insérer, sans analyser les éléments prétendument contenus dans l'article et ses annexes sur lesquels ils se fondaient pour admettre l'exception de bonne foi et alors que l'article faisait référence à une condamnation amnistiée, les juges n'ont pas donné de base légale à leur décision au regard du texte susvisé ;

Que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le quatrième moyen de cassation proposé,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 18 décembre 1997,

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Gomez président, Mme Simon conseiller rapporteur, MM. Milleville, Pinsseau, Joly, Mmes Chanet, Anzani conseillers de la chambre, M. Desportes, Mme Karsenty conseillers référendaires ;

Avocat général : M. le Foyer de Costil ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 98-81171
Date de la décision : 08/06/1999
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Diffamation - Intention coupable - Preuve contraire - Bonne foi - Rappel d'une condamnation amnistiée (non).


Références :

Loi du 29 juillet 1881 art. 29

Décision attaquée : Cour d'appel de SAINT-deNIS de la REUNION, 18 décembre 1997


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 08 jui. 1999, pourvoi n°98-81171


Composition du Tribunal
Président : Président : M. GOMEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1999:98.81171
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