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27/05/1999 | FRANCE | N°97-16920

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 27 mai 1999, 97-16920


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Azur Assurances IARD, société anonyme, venant aux droits des Assurances mutuelles de France, dont le siège est ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 2 avril 1997 par la cour d'appel de Paris (7ème chambre), au profit :

1 / de la société Frabounel, dont le siège est ...,

2 / de Mme Monique X..., ès qualités de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire de la société à responsabilité limitée Les jardi

ns des délices, domiciliée ...,

défenderesses à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'ap...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la société Azur Assurances IARD, société anonyme, venant aux droits des Assurances mutuelles de France, dont le siège est ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 2 avril 1997 par la cour d'appel de Paris (7ème chambre), au profit :

1 / de la société Frabounel, dont le siège est ...,

2 / de Mme Monique X..., ès qualités de mandataire liquidateur de la liquidation judiciaire de la société à responsabilité limitée Les jardins des délices, domiciliée ...,

défenderesses à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 14 avril 1999, où étaient présents : M. Dumas, président, M. Guerder, conseiller rapporteur, MM. Pierre, Dorly, de Givry, conseillers, Mme Kermina, conseiller référendaire, M. Kessous, avocat général, Mme Laumône, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Guerder, conseiller, les observations de Me Parmentier, avocat de la société Assurances mutuelles de France Groupe Azur, de Me Choucroy, avocat de la société Frabounel, les conclusions de M. Kessous, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 avril 1997) et les productions, que le 4 décembre 1990, vers 2 h 30 du matin, une violente explosion suivie d'un incendie a détruit le restaurant exploité par la société Les jardins des délices (la société) dans des locaux dont elle était locataire ; que le souffle de l'explosion a endommagé de nombreuses boutiques situées à proximité, ainsi que des bureaux et des logements ;

que M. Y..., gérant de la société, poursuivi pour destruction d'un bien appartenant à autrui par incendie, a été relaxé au bénéfice du doute ; que la société Frabounel, qui exerçait dans l'immeuble endommagé une activité commerciale qu'elle avait dû interrompre pendant 14 mois, du 4 décembre 1990 au 5 février 1992, a assigné la société et son assureur, devenu Azur Assurances, en réparation de son préjudice, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

que la société, en liquidation judiciaire, a été déclarée entièrement responsable des dommages causés à la société Frabounel, et son assureur condamné à les réparer ;

Sur la première branche du moyen :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir statué comme il l'a fait, alors, selon, le moyen, qu'aux termes de l'article 1384, alinéa 2, du Code civil, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l'immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s'il est prouvé qu'il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable ; qu'en accueillant la demande en réparation de la société Frabounel sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil quand elle constatait que les dégâts survenus aux biens de cette société du fait du souffle d'une explosion résultaient d'un foyer ayant pris naissance dans les locaux loués par la société Les jardins des délices, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil par fausse application et l'article 1384, alinéa 2, du Code civil par refus d'application ;

Mais attendu qu'il ne résulte d'aucune énonciation de l'arrêt ni d'aucunes conclusions que la société et son assureur aient invoqué l'alinéa 2 de l'article 1384 du Code civil, en réponse aux conclusions de la société Frabounel, qui avait expressément conclu à l'application de l'alinéa 1er de ce texte ;

D'où il suit que le moyen, en sa première branche, est nouveau, mélangé de fait et de droit, et irrecevable ;

Sur les deuxième, troisième et quatrième branches réunies :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré la société entièrement responsable des dommages occasionnés à la société Frabounel, alors selon le moyen que, d'une part, la responsabilité du gardien d'une chose est subordonnée à la preuve, par la victime, que la chose a été en quelque manière, l'instrument du dommage ; qu'une chose inerte ne peut être l'instrument du dommage si la preuve qu'elle occupait une position anormale ou était en mauvais état n'est pas rapportée ; que pour retenir une présomption de responsabilité à la charge de la société, la cour d'appel a énoncé que cette société était gardienne, en sa qualité de locataire, des locaux où était né le sinistre ; qu'en statuant ainsi sans caractériser le rôle actif, la position anormale ou le mauvais état de tout ou partie des locaux loués, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; que, d'autre part, seul le propriétaire de la chose en est présumé gardien ; que pour déclarer la société responsable des conséquences de l'explosion, la cour d'appel a retenu que "l'essence à l'origine de l'explosion était contenue dans des bidons identiques à ceux renfermant le produit dont la société se servait pour la vaisselle ; qu'il importe peu qu'elle n'ait pas eu l'usage d'essence pour ses activités" et en a déduit que cette société ne se déchargeait pas de la présomption de garde pesant sur elle ; qu'en statuant ainsi alors qu'il ne résultait nullement de ses constatations que la société ait été propriétaire des bidons litigieux et de l'essence qu'ils contenaient, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; qu'enfin, la responsabilité du dommage causé par une chose est liée à l'usage qui est fait de la chose ainsi qu'aux pouvoirs de surveillance et de contrôle exercés sur elle, qui caractérisent la garde ; que pour déclarer la société responsable des conséquences d'une explosion résultant de l'inflammation du contenu de deux bidons d'essence répandu sur le sol du restaurant, la cour d'appel a retenu sa qualité de gardien ;

qu'en se déterminant ainsi quand elle constatait que rien n'établissait à quel moment ces récipients avaient été introduits dans les locaux, et que la société n'utilisait pas d'essence pour ses activités, la cour d'appel n'a pas caractérisé les pouvoirs d'usage, de surveillance et de contrôle de cette société sur les bidons litigieux ou leur contenu au moment du sinistre et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que le rapport du laboratoire central de la Préfecture de Police de Paris a révélé qu'il y avait eu déversement massif d'une essence pour automobiles dans une grande partie de la salle de restaurant au moyen de deux jerricans de 25 litres ;

que compte tenu de la grande volatilité de cet hydrocarbure, une partie de l'essence s'était vaporisée ; que l'atmosphère explosible était donc constituée d'un mélange très énergétique d'air et de vapeurs d'essence ;

que la mise à feu avait pu être produite par le ou les individus ayant procédé au déversement de l'essence ; qu'elle avait pu également être induite, par le fonctionnement automatique d'un appareil électrique ; que si la société était seulement locataire, cela ne l'a pas empêchée d'acquérir la garde des lieux loués, dont elle avait non seulement l'usage, mais aussi le contrôle et la direction ; que le soulèvement du sol et des plafonds des locaux commerciaux de la société Frabounel a été la conséquence de celui de la dalle en béton armé, lui-même provoqué par la déflagration ayant eu lieu dans les locaux dont la société avait la garde ; qu'il n'est pas contesté que l'essence à l'origine de l'explosion était contenue dans des bidons identiques à ceux renfermant le produit dont la société se servait pour la vaisselle ; que rien n'établit à quel moment ces récipients ont été introduits dans ses locaux où leur contenu a été répandu ; qu'il importe peu qu'elle n'ait pas eu l'usage d'essence pour ses activités ;

Qu'en déduisant de ces constatations et énonciations que les dommages subis par la société Frabounel avaient été causés par les choses dont la société avait la garde, la cour d'appel a justifié sa décision au regard de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;

Sur la cinquième branche :

Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir estimé que le fait d'un tiers, exonératoire de responsabilité, n'était pas établi par la décision pénale de relaxe du gérant de la société, alors selon le moyen, que pour relaxer le gérant de la société du chef de dégradation volontaire de bien mobilier ou immobilier, les juges correctionnels ont relevé dans leur jugement du 26 juin 1992, confirmé par l'arrêt du 7 mai 1993 que "Y... n'a pu pénétrer dans le restaurant pour préparer l'explosion ou l'incendie ; que celle-ci est donc du fait du tiers, vraisemblablement Ben Hassen" ; qu'en retenant dès lors que ces décisions n'apportaient pas la preuve de l'intervention de tiers, la cour d'appel a méconnu l'autorité au civil de la chose jugée au pénal et a violé l'article 1351 du Code civil ;

Mais attendu que les décisions de la justice pénale n'ont au civil autorité absolue à l'égard de tous qu'en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé ; que la constatation du fait d'un tiers n'a pas le caractère de chose jugée par la juridiction pénale ;

Qu'en relevant que la société ne rapportait pas la preuve, par la décision pénale, de la cause étrangère qu'elle invoquait, constituée par le fait imprévisible et irrésistible d'un tiers, la cour d'appel n'a pas encouru le grief allégué ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Assurances mutuelles de France Groupe Azur aux dépens ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 97-16920
Date de la décision : 27/05/1999
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

(sur les 2e, 3e et 4e branches) RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI-DELICTUELLE - Choses dont on a la garde - Garde - Chose gardée - Bidons d'essence à l'origine d'une explosion.


Références :

Code civil 1384 al. 1

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris (7ème chambre), 02 avril 1997


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 27 mai. 1999, pourvoi n°97-16920


Composition du Tribunal
Président : Président : M. DUMAS

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1999:97.16920
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