AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1 / Mme Madeleine Z..., épouse C..., demeurant ...,
2 / M. Louis Z..., demeurant ...,
3 / M. Daniel Z..., demeurant ...,
4 / Mme Solange A..., veuve D..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 20 février 1997 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile), au profit :
1 / de Mme Marie-Christine B..., épouse X..., demeurant ...,
2 / de M. Hervé Y..., demeurant ...,
défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 23 mars 1999, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Guérin, conseiller rapporteur, M. Renard-Payen, conseiller, M. Sainte-Rose, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Guérin, conseiller, les observations de Me Spinosi, avocat des consorts Z..., de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. Y..., de la SCP Nicolay et de Lanouvelle, avocat de Mme X..., les conclusions de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu que MM. Louis et Daniel Z... ainsi que Mmes C... et D... (ci-après les consorts Z...) sont propriétaires indivis d'un immeuble situé ..., qui bénéficiait d'une servitude de passage grevant l'immeuble contigu appartenant à Mme X... ; que, faisant état d'une transaction intervenue par l'intermédiaire de leurs conseils respectifs, Mme X... a assigné les consorts Z... afin de faire constater qu'ils avaient renoncé à leur servitude ; que l'arrêt confirmatif attaqué (Lyon, 20 février 1997) a constaté l'accord intervenu entre leurs avocats respectifs, dont la production a été autorisée par le bâtonnier ;
Attendu que les consorts Z... font grief à la cour d'appel d'avoir dit qu'ils avaient renoncé à la servitude de passage bénéficiant à leur fonds et grevant celui de Mme X..., alors que, d'une part, il résulte du dispositif de l'article 815-3 du Code civil que les actes de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires ; qu'en se bornant à considérer que les dispositions édictées n'étaient pas opposables à Mme X..., dès lors que M. Y... s'était présenté au nom de l'indivision Colliard et non seulement pour le compte de deux membres de celle-ci, sans préciser en quoi il s'évinçait de l'apparence créée par cet avocat que l'ensemble des coïndivisaires avait donné son consentement à la renonciation à la servitude litigieuse, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des dispositions du texte susvisé ; alors que, d'autre part, et à supposer que l'ensemble des coïndivisaires ait effectivement consenti à l'opération litigieuse, l'avocat ne peut engager son client en consentant à l'aliénation d'un droit réel ou à la renonciation audit droit que s'il dispose d'un mandat exprès ; que si ce client peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, c'est à la condition que la croyance du tiers aux pouvoirs de l'avocat prétendument mandataire soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les pouvoirs en question ; que, dès lors, en considérant, pour dire que les parties étaient engagées par un "accord parfait", que Mme X... était en droit de se prévaloir de l'apparence créée par M. Y... en se présentant comme mandaté par la totalité des coïndivisaires, sans énoncer de circonstances ayant autorisé celle-ci à ne pas vérifier si cet avocat disposait effectivement du pouvoir de renoncer au bénéfice d'un droit réel, pouvoir excédant l'exercice normal de ses attributions de représentation, la cour d'appel a privé sa décision de tout fondement légal au regard des articles 1995 et 1998 du Code civil ;
Mais attendu que, d'une part, avant de retenir, par motifs adoptés, que la circonstance que la renonciation à une servitude de passage, équivalant à un acte de disposition, suppose l'accord écrit de chaque coïndivisaire, n'était pas opposable à Mme X..., dès lors que l'avocat adverse se présentait au nom de l'indivision, la cour d'appel a précisé que l'apparence de ce mandat résultait de ce que les lettres adressées par M. Y... à l'avocat de Mme X... étaient écrites "sous le timbre de l'indivision Colliard" ; que, d'autre part, tout en déclarant irrecevable, pour avoir été présentée pour la première fois en cause d'appel, la demande de dommages-intérêts formée par les consorts Z... contre M. Y..., auquel ils reprochaient d'avoir conduit les négociations sans mandat spécial, la cour d'appel a retenu que la prétendue contradiction d'intérêts entre les indivisaires et le défaut de mandat exprès de Mme C... pour engager l'indivision n'étaient pas opposables à Mme X... et que celle-ci était fondée à ne pas vérifier le mandat dont se prévalait M. Y... dans la correspondance échangée avec son propre avocat ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision et que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et attendu que la mise en cause de M. Y... était justifiée pour lui permettre de présenter ses observations ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne les consorts Z... à payer à Mme X... la somme de 12 000 francs ; rejette la demande de M. Y... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.