REJET des pourvois formés par :
- le procureur général près la cour d'appel de Grenoble,
- la société X..., partie civile,
contre l'arrêt n° 462 de la chambre d'accusation de ladite cour d'appel, en date du 4 août 1998, qui, dans la procédure suivie contre Y..., Z..., A..., B..., C..., D..., E..., des chefs de favoritisme, recel, complicité de favoritisme et tromperie, a annulé des actes de la procédure.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 25 janvier 1999, prescrivant l'examen immédiat des pourvois ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé pour la société X..., pris de la violation des articles 11, 81, 485 et 593 du Code de procédure pénale, 45 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 :
" en ce que la chambre d'accusation a prononcé l'annulation de la procédure à compter de la pièce D 10, c'est-à-dire de la commission rogatoire confiée à M. H..., commandant le groupement de gendarmerie des Hautes-Alpes, et à MM. F... et G..., commissaires de la Concurrence et de la Consommation ;
" aux motifs que le juge d'instruction a délégué ses pouvoirs par commission rogatoire du 1er décembre 1994 à MM. F... et G... et au commandant du groupement de gendarmerie des Hautes-Alpes ; que l'information était ouverte sur le fondement des délits commis dans le cadre de marchés publics ; que MM. F... et G... sont des agents de la direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes ; que ceux-ci étaient bien habilités à recevoir et exécuter des commissions rogatoires au vu d'un arrêté du 5 novembre 1993 ; que, toutefois, cette possibilité ne leur est offerte que pour les infractions visées par la loi du 1er décembre 1986 et non dans le cadre procédural de l'actuel article 432-14 du Code pénal ou du texte antérieur ; que, selon les dispositions de l'article 81 du Code de procédure pénale, le juge d'instruction peut donner commission rogatoire à des officiers de police judiciaire ; que, selon des textes particuliers, et pour des infractions précises, il peut également déléguer d'autres personnes spécialement habilitées ; qu'en l'espèce, aucun texte spécial n'habilite d'autres personnes que les officiers de police judiciaire à réaliser une enquête en commission rogatoire ; qu'ainsi, en confiant l'enquête nommément à des personnes non habilitées à instrumenter, le juge d'instruction a méconnu une règle essentielle du Code de procédure pénale ; que le fait de ne confier l'exécution de commission rogatoire qu'à des officiers de police judiciaire ou à des personnes assermentées spécialement est une garantie essentielle du respect de la procédure pénale et notamment de la confidentialité des enquêtes et de la réalisation de perquisitions et saisies ; qu'en confiant l'exécution d'une commission rogatoire à des personnes non qualifiées qui ont activement participé à l'exécution de celle-ci, ceci a eu obligatoirement pour effet de faire grief aux mis en examen ; qu'en effet, ces personnes ne sont pas assermentées ; qu'au surplus, il y a lieu de relever que, selon les énonciations mêmes de la commission rogatoire, c'est MM. F... et G... qui ont été chargés au premier chef de l'exécution de la commission rogatoire, la gendarmerie n'étant visée qu'en deuxième position ; qu'il n'est pas juridiquement admissible que des personnes non habilitées et non requises aient connaissance de l'ensemble d'une procédure menée sur commission rogatoire ; qu'ainsi, la nullité de la commission rogatoire du 1er décembre 1994 ainsi que de tous les actes postérieurs, qui ne sont intervenus qu'au vu des résultats de ladite commission rogatoire, notamment mises en examen et autres, doit être prononcée ; qu'ainsi, l'intégralité du dossier à compter de la cote D 10 sera annulée ;
" alors que, d'une part, une commission rogatoire peut être délivrée par le juge d'instruction, qui est saisi in rem, aux fonctionnaires de catégorie A du ministère chargé de l'économie, habilités à cet effet par le Garde des Sceaux, pour enquêter sur toute atteinte aux règles de la concurrence, qu'elles soient susceptibles d'être réprimées sur le fondement de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ou sur celui de l'article 432-14 du Code pénal ; que, pour annuler la commission rogatoire délivrée par le magistrat instructeur à MM. F... et G..., agents de la direction de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes régulièrement habilités à recevoir et exécuter des commissions rogatoires, la chambre d'accusation a décidé que cette habilitation ne concernait que les infractions visées par la loi du 1er décembre 1986 et non celles de l'article 432-14 du Code pénal ou du texte antérieur ; qu'en ajoutant ainsi à l'article 45 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 une restriction qu'il ne comporte pas, la chambre d'accusation a violé les textes visés au moyen ;
" alors que, d'autre part, toute personne qui concourt à la procédure au cours de l'enquête est tenue au secret professionnel, dans les conditions et sous les sanctions prévues par le Code pénal ; qu'ainsi, un fonctionnaire du ministère de l'Economie qui a reçu une commission rogatoire doit impérativement respecter le secret professionnel, tout comme un officier de police judiciaire ; que, pour annuler la commission rogatoire délivrée par le magistrat instructeur à MM. F... et G..., la chambre d'accusation a considéré que le fait de ne confier l'exécution de commissions rogatoires qu'à des officiers de police judiciaire ou à des personnes assermentées était une garantie essentielle de la confidentialité des enquêtes ; qu'en se déterminant par ce motif, la chambre d'accusation a méconnu les textes rappelés au moyen ;
" alors qu'en troisième lieu, les actes d'information effectués par une personne valablement désignée pour exécuter une commission rogatoire sont réguliers, même si cet enquêteur a été assisté par une personne sans qualité pour mener l'enquête ; qu'en l'espèce, le juge d'instruction avait donné une commission rogatoire à des agents de la direction de la Concurrence mais aussi au commandant de groupement de gendarmerie des Hautes-Alpes ; qu'à supposer même que la commission rogatoire soit nulle en ce qui concerne la désignation des agents de la direction de la Concurrence, elle ne l'était pas vis-à-vis du commandant du groupement de gendarmerie des Hautes-Alpes, de sorte que les actes d'information de ce dernier étaient réguliers même si les agents de la direction de la Concurrence y avaient participé ; qu'en annulant l'intégralité de la procédure à partir de la commission rogatoire, c'est-à-dire en incluant dans sa décision les actes d'information effectués par l'officier de police judiciaire régulièrement désigné, la chambre d'accusation a violé les dispositions susvisées ;
" alors qu'enfin, la nullité d'un acte d'instruction n'entraîne la nullité d'actes de la procédure ultérieure que si ces derniers découlent des actes viciés ; que la nullité d'une commission rogatoire désignant une personne qui n'a pas le pouvoir d'enquêter n'est pas une cause de nullité des actes d'enquête effectués exclusivement par une autre personne régulièrement désignée ; qu'en l'espèce, la commission rogatoire avait valablement désigné le commandant du groupement de gendarmerie des Hautes-Alpes ; qu'en annulant l'intégralité de la procédure à partir de ladite commission rogatoire sans limiter cette nullité aux seuls actes d'information auxquels avaient participé les personnes n'ayant pas qualité pour exécuter la commission rogatoire, la chambre d'accusation a violé les textes mentionnés au moyen " ;
Sur le moyen unique de cassation, proposé par le procureur général près la cour d'appel de Grenoble, pris de la violation des articles 11, 81, 151 et 152 du Code de procédure pénale, et 45 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 :
Les moyens étant réunis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, suite à une plainte avec constitution de partie civile du 17 août 1994 de la société X..., une information a été ouverte contre personne non dénommée pour des faits de favoritisme, délit prévu et réprimé par l'article 432-14 du Code pénal, et que le juge d'instruction a délégué ses pouvoirs, par commission rogatoire du 1er décembre 1994, à 2 agents de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), habilités, en application de l'article 45, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986, par arrêté du 5 novembre 1993, et au commandant du groupement de gendarmerie des Hautes-Alpes, pour procéder à une enquête complète sur ces faits ;
Attendu que, pour prononcer la nullité de la commission rogatoire précitée et de tous les actes postérieurs, les juges énoncent que les agents désignés par le magistrat instructeur étaient habilités à recevoir et exécuter des commissions rogatoires, mais seulement pour les infractions visées par l'ordonnance du 1er décembre 1986 et non dans le cadre de l'article 432-14 du Code pénal, délit pour lequel aucun texte spécial n'habilite d'autres personnes que les officiers de police judiciaire à réaliser une enquête sur commission rogatoire et qu'ainsi, le juge d'instruction a méconnu une règle essentielle du Code de procédure pénale ;
Qu'ils ajoutent que " ces personnes ne sont pas assermentées ", et " qu'il n'est pas juridiquement admissible que des personnes non habilitées et non requises aient connaissance de l'ensemble d'une procédure menée sur commission rogatoire " ;
Qu'ils concluent que la commission rogatoire doit être annulée ainsi que tous les actes postérieurs, qui ne sont intervenus qu'au vu des résultats de celle-ci ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, et dès lors que le juge d'instruction ne pouvait avoir recours aux agents de la DGCCRF qu'en leur qualité de personnes qualifiées et après leur avoir fait prêter le serment indiqué à l'article 60 du Code de procédure pénale, la chambre d'accusation a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Que les moyens ne peuvent qu'être écartés ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.