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13/01/1999 | FRANCE | N°97-83218

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 janvier 1999, 97-83218


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD et de la société civile professionnelle GHESTIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Z... Alain,

contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambr

e correctionnelle, en date du 5 mai 1997, qui, pour abus de biens sociaux, présentation...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD et de la société civile professionnelle GHESTIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DI GUARDIA ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Z... Alain,

contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 5 mai 1997, qui, pour abus de biens sociaux, présentation de comptes annuels infidèles, abus de confiance et escroqueries, l'a condamné à 3 ans d'emprisonnement, dont 2 ans avec sursis, 5 ans d'interdiction des droits visés à l'article 42, 1 , 2 et 3 , ancien du Code pénal et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6.1 et 6.3.a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 79, 551 et 591 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la citation ;

"aux motifs que, s'agissant des incriminations d'abus de confiance et d'escroqueries, la citation introductive d'instance énonçait le lieu et la date de commission des infractions reprochées au prévenu, le mode opératoire de manière précise et indiquait qui en étaient les victimes tout en fournissant la liste complète de ceux-ci (sic) ; que, dans la mesure où, pour chaque victime, client de la SA
X...
dont Alain Z... était le directeur, le procédé utilisé était exactement le même, il y avait lieu de constater que la citation était suffisamment complète pour que le prévenu ait une parfaite connaissance des faits qui lui étaient reprochés et sur lesquels il s'était expliqué longuement devant les services de police et sur lesquels il concluait non moins longuement ;

"alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 6.3.a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tout accusé a droit à être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; que l'article 551 du Code de procédure pénale porte que la citation délivrée doit énoncer le fait poursuivi ; qu'il s'ensuit que, lorsque les faits sont différents, même s'ils sont susceptibles d'une qualification identique, la citation ne peut se borner à les viser globalement ainsi que les victimes, mais elle doit, pour chacune des victimes, préciser les faits poursuivis, les circonstances dans lesquelles ils ont été commis, leur date et le préjudice subi par chacune d'elles ; qu'en l'espèce, la citation était, tant en ce qui concerne les abus de confiance que les escroqueries, rédigée en termes généraux qui n'individualisaient ni les infractions, ni les prétendus préjudices subis par les soi-disant victimes ; que, dès lors, le prévenu, qui n'a pu organiser efficacement sa défense, faute de connaître de manière détaillée les causes des accusations portées contre lui par ses anciens associés, a, à juste titre, soulevé la nullité de la citation ; qu'en refusant d'accueillir cette exception, la Cour a elle-même violé les droits de la défense et prononcé une déclaration de culpabilité illégale ;

"alors, d'autre part, que, dès lors que le prévenu n'a pas bénéficié d'une information ni des garanties des droits de la défense que donne la mise en examen et que ses conseils n'ont jamais eu accès à l'intégralité du dossier avant sa comparution devant le tribunal correctionnel, la citation directe dans les termes où elle lui a été délivrée ne répondait aux exigences ni de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni de l'article 551 du Code de procédure pénale ; qu'ainsi, la citation était entachée d'une nullité que la Cour devait reconnaître ;

"alors, enfin, que c'est dès la première instance, pour bénéficier de la plénitude du double degré de juridiction, que le prévenu doit être mis en mesure d'organiser efficacement sa défense ; qu'il avait été interrogé par la police judiciaire ; qu'en refusant de constater la nullité de la citation aux seuls motifs qu'il concluait longuement sur les faits qui lui étaient reprochés (arrêt, p. 12, pén. ) cependant que ses conseils n'avaient pu recevoir copie intégrale du dossier avant celle-ci, la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant qui ne donne aucune base légale à l'arrêt attaqué" ;

Attendu que, pour écarter l'exception de nullité régulièrement soulevée par le prévenu, tirée de la nullité de la citation à raison de son défaut de précision sur les faits d'abus de confiance et d'escroqueries, la cour d'appel énonce que la citation indique le lieu et la date de commission des infractions, le mode opératoire de manière précise et la liste complète des victimes ; qu'elle relève, par ailleurs, que les avocats du prévenu ont reçu copie intégrale du dossier de la procédure ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations et constatations, desquelles il résulte que l'intéressé a été suffisamment informé des faits servant de base à la prévention et qu'il a été mis en mesure de présenter ses moyens de défense à l'audience, la cour d'appel n'a méconnu aucune des dispositions légales ou conventionnelles visées au moyen ;

Que, dès lors, ce dernier doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6.3.d) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 435 et suivants et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la Cour a rejeté la demande du prévenu tendant à l'audition de 18 témoins ;

"aux motifs que le dossier soumis à la Cour était complet et que la demande d'expertise et d'audition de certaines personnes s'interprétait plus comme un moyen dilatoire que comme celui d'une recherche de la vérité ;

"alors qu'aux termes de l'article 6.3.d) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le prévenu a droit à interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; qu'il est de jurisprudence que le prévenu a droit d'être confronté avec les témoins à charge avec lesquels il n'a jamais été confronté et que, lorsqu'il en fait la demande, les juges du fond sont tenus de faire droit à la demande d'audition, sauf impossibilité dont il leur appartient de préciser les causes ; qu'en l'espèce, il résulte du dossier que le prévenu n'a jamais été confronté avec les témoins à charge et qu'il n'a jamais pu faire entendre les témoins à décharge ;

que, dès lors, la Cour devait faire droit à sa demande ; qu'en refusant de le faire, elle a porté une atteinte flagrante aux droits de la défense" ;

Attendu que le demandeur ne saurait faire grief à la cour d'appel des motifs par lesquels elle a rejeté sa demande d'audition de témoins, dès lors qu'il n'avait pas donné de précisions sur l'éventuelle utilité de cette mesure pour la manifestation de la vérité ni d'explications sur les raisons pour lesquelles il n'avait pas fait usage devant les premiers juges du droit que lui conféraient les articles 435 et suivants du Code de procédure pénale de faire citer et entendre lesdits témoins ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 314-1, 112-1 du nouveau Code pénal, 408 de l'ancien Code pénal, 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 591 et 593 du Code de procédure pénale, ensemble violation des droits de la défense et du principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'abus de confiance au préjudice des clients ;

"aux motifs que le détournement des fonds des clients de la société X... était caractérisé, d'une part, par l'usage qu'en avait fait le mandataire Alain Z..., usage qu'il avait reconnu au cours de son audition par les services de police et sa connaissance de l'impossibilité de restituer ces fonds ; que le fait qu'il n'ait pas existé de comptes bancaires spécifiques pour les fonds détenus pour le compte des clients était sans influence sur la réalité des détournements et la connaissance qu'en avait le prévenu, qui avait reconnu que chaque client avait un compte individualisé au sein de la société X... ; que c'était lorsque les pertes provenant des opérations réalisées par Alain Z... avaient été supérieures aux montants des deposits des clients que les associés du prévenu les avaient découvertes puisque celui-ci avait dû alors prélever les fonds de la société X... ;

"aux motifs, repris du tribunal, que les sommes remises par les clients n'étaient pas individualisées et que c'était la collectivité des clients qui était victime et non tel client déterminé ;

qu'ils ne pouvaient pas plus disposer des fonds détenus pour le compte de professionnels et de particuliers ; que l'importance des sommes en cause excluait qu'Alain Z..., qui cumulait les fonctions de termiste et de chef comptable, eût pu ignorer qu'il utilisait les fonds clients pour réaliser des opérations pour le compte de la société X... ;

"alors d'une part, que l'article 313-1 du nouveau Code pénal, qui réprime l'abus de confiance, n'est entré en vigueur que le 1er mars 1994 et définit une infraction entendue plus largement que l'article 408 de l'ancien Code pénal, est un texte plus répressif qui ne peut avoir d'effet rétroactif ; que, faute d'avoir indiqué à quelle date précise avaient été commis les faits prétendument constitutifs de l'abus de confiance dont le prévenu a été déclaré coupable, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle de la légalité de la décision ; que la déclaration de culpabilité est illégale ;

"alors, d'autre part, que, dans ses conclusions rappelées par l'arrêt attaqué (p. 22, 3-1), le demandeur avait fait valoir que seul l'article 408 ancien du Code pénal (l'arrêt a écrit par erreur 409) pouvait s'appliquer aux faits englobés dans la prévention ; qu'en ne s'expliquant pas sur la date à laquelle aurait été commis chacun des prétendus abus de confiance et en ne constatant pas qu'ils avaient tous été commis en avril et mai 1994, la cour d'appel n'a pas légalement justifié la déclaration de culpabilité ;

"alors, de troisième part, que, à supposer que l'article 314-1 du nouveau Code pénal ait pu être applicable à tous les prétendus abus de confiance, cette infraction est un délit instantané qui est réalisé seulement au moment du détournement ;

qu'à supposer même que les comptes des clients n'aient pas été individualisés dans les comptes spécifiques - ce qui en soi ne constituait pas un détournement -, l'abus de confiance ne pouvait, en l'espèce, être constitué qu'au jour où les fonds étaient utilisés à des fins autres que celles pour lesquelles ils avaient été déposés ;

qu'en ne s'expliquant sur aucune des opérations qui auraient prétendument donné lieu à la liquidation indue des fonds des clients, en n'en précisant pas la date alors que toutes ces opérations pouvaient parfaitement être individualisées, en ne recherchant pas les dates auxquelles les fonds détenus pour le compte des clients avant chacune des opérations avaient été utilisés, la cour d'appel a privé la déclaration de culpabilité de toute base légale ;

"alors, de quatrième part, que le prévenu faisait aussi valoir (arrêt p. 23, 4) que les fonds clients étaient individualisés dans un compte ouvert pour chaque client et dans lequel était reporté le détail des opérations, que seuls les comptes bancaires étaient mélangés avec ceux de la société X..., ce qui constituait un système accepté par la COB et la MATIF et que les clients professionnels n'avaient besoin d'aucun deposit ; qu'en ne s'expliquant pas non plus sur ce moyen des conclusions et en retenant que c'était "la collectivité" des clients qui était victime, cependant que cette "collectivité" sans personnalité juridique ne pouvait subir aucun préjudice parce qu'elle ne pouvait être propriétaire, possesseur ou détenteur d'aucun fonds, la cour d'appel a encore privé la déclaration de culpabilité de toute base légale ;

"alors, en tout état de cause, que l'abus de confiance n'est constitué que s'il cause un préjudice au détenteur, au possesseur ou au propriétaire des fonds ; que le prévenu faisait encore valoir que tous les fonds avaient été restitués aux clients de la société X... et que, d'ailleurs, aucune des prétendues victimes n'avait déposé plainte ; qu'en se bornant à énoncer que c'était lorsque les pertes provenant des opérations réalisées par Alain Z... avaient été supérieures aux montants des deposits des clients que les associés du prévenu les avaient découvertes puisqu'Alain Z... avait dû alors prélever les fonds de la société X..., énonciation qui caractérise un abus des biens ou du crédit de la société X..., fait pour lequel le prévenu n'était pas poursuivi, la cour d'appel n'a pas seulement privé de base légale la déclaration de culpabilité, mais elle a aussi commis un abus de pouvoir" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme qu'Alain Z..., membre du directoire de la société anonyme
X...
, commissionnaire à la Bourse des marchandises, a, courant avril et mai 1994, utilisé au règlement des pertes de la société des fonds déposés par des clients ;

Attendu que, pour le déclarer coupable d'abus de confiance, les juges relèvent que le prévenu, mandataire des clients, a, en toute connaissance de cause, prélevé des fonds sur les comptes de ceux-ci, individualisés dans la comptabilité de la société, et les a affectés à un usage autre que celui qui avait été prévu ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'il n'importe que les fonds aient été restitués aux clients et que ceux-ci n'aient pas déposé plainte, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit d'abus de confiance dont elle a déclaré le prévenu coupable au regard des dispositions des articles 314-1 et suivants du Code pénal, seuls applicables en l'espèce en raison de la date de commission des faits ;

Que, dès lors, le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le sixième moyen de cassation, pris de la violation des articles 437, 437, 3 , 460, 463, 464 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'abus de biens sociaux à propos de quatre chèques encaissés par lui entre le 4 février 1992 et le 14 septembre 1992 ;

"aux motifs que le prévenu avait reconnu avoir encaissé des sommes provenant de la société dont il était le directeur et en avoir fait un usage dont il ne pouvait justifier ;

"alors qu'aux termes de l'article 437, 3 , de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1996, seuls les président, administrateurs et directeurs généraux d'une société anonyme peuvent être poursuivis et pénalement sanctionnés pour abus de biens sociaux ; que ni l'arrêt attaqué ni le jugement qu'il confirme ne constatent qu'entre le 4 février 1992 et le 14 septembre 1992, le prévenu ait occupé l'une des fonctions limitativement énumérées par les articles 437 susvisés pour constituer l'abus de biens sociaux ; que, dès lors, la déclaration de culpabilité est illégale" ;

Attendu que, pour déclarer Alain Z... coupable d'abus des biens de la société anonyme
X...
, dont il était membre du directoire, les juges relèvent qu'il a encaissé le montant de chèques destinés à la société et en a fait un usage dont il n'a pu donner de justification ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'aux termes de l'article 464, alinéa 1, de la loi du 24 juillet 1966, les peines prévues par l'article 437 de cette loi pour le délit d'abus de biens sociaux sont applicables aux membres du directoire des sociétés anonymes, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ;

D'où il suit que le moyen doit être rejeté ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6.3.a) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 405 de l'ancien Code pénal, 313-1 du nouveau Code pénal, 437 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, 388 et 593 du nouveau Code pénal, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;

"en ce que, après avoir requalifié les faits d'escroquerie au préjudice de la société Jacques-Louis X... en abus des biens et du crédit de cette société, l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de ce délit ;

"aux motifs que les opérations en cause avaient été réalisées grâce au deposit de la société X... et au nom de celle-ci ; que ce n'était qu'après leur réalisation que les résultats bénéficiaires (dans la quasi-totalité des cas) étaient imputés par une manipulation comptable ordonnée par le prévenu aux comptes Joyce et Y... créés tout exprès par lui pour lui permettre de disposer par (sic) sa convenance et son usage personnels, de fonds obtenus grâce à des opérations gagnantes de la SA
X...
;

qu'en s'attribuant par le biais de comptes fictifs des sommes appartenant dès leur origine à la SA
X...
, Alain Z... avait fait du patrimoine de cette société dont il était l'un des dirigeants un usage qu'il savait contraire aux intérêts de celle-ci et avait menacé gravement sa situation financière puisque la très grande majorité des opérations attribuées aux comptes Joyce et Y... étaient gagnantes tandis que les opérations perdantes étaient imputées systématiquement à la société X... ;

"alors, d'une part, que les juges du fond ne peuvent connaître d'autres faits que ceux visés par le titre de la saisine ;

qu'en l'espèce, la citation reprochait au prévenu les faits d'escroquerie prétendument commis en 1992, 1993 et 1994, grâce aux comptes soi-disant fictifs Y... et Joyce et sans faire aucune référence à sa qualité de dirigeant ; que l'abus de biens sociaux prévu par l'article 437, 3 , de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 ne réprime ce délit que s'il est commis par le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d'une société anonyme ; que la citation n'ayant fait aucune référence à l'une de ces fonctions, l'énonciation que le prévenu était "dirigeant" de la société X..., énonciation qui, au demeurant, ne caractérise aucune des fonctions limitativement énumérées par le texte susmentionné, ajoute à la saisine un fait qu'elle ne comportait pas en sorte qu'en requalifiant les faits en abus de biens sociaux et en déclarant le prévenu coupable de cette infraction, la cour d'appel a commis un excès de pouvoir et prononcé une déclaration de culpabilité illégale ;

"alors, d'autre part et subsidiairement, que l'abus de biens sociaux n'est constitué que si le prévenu a fait de mauvaise foi un usage des biens ou du crédit de la société, qu'il savait contraire à l'intérêt à celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ; que toutes les opérations effectuées pour les clients de la société X... étant effectuées par la société X... elle-même et non au nom des clients, ainsi que le prévenu l'avait fait valoir dans ses conclusions, le seul fait d'avoir, à l'occasion du fonctionnement des comptes Y... et Joyce, effectué des opérations au nom de la société X... et d'avoir affecté ensuite à ces deux comptes des positions gagnantes, ne caractérise nullement l'appartenance des fonds crédités sur ces comptes à la société X... et donc un abus des biens ou du crédit de cette société ; qu'en se bornant à relever que le prévenu avait initié les opérations portées au crédit des comptes Y... et Joyce au nom de la société X..., la cour d'appel n'a, en tout état de cause, nullement caractérisé l'abus de biens sociaux dont elle l'a déclaré coupable ; que cette déclaration de culpabilité est donc illégale ;

"alors, de troisième part et encore subsidiairement, que, s'agissant des comptes des Y... et Joyce, le prévenu avait fait valoir que ces deux comptes avaient toujours fonctionné par le moyen d'ordres-stop qui étaient effectués dans la journée et ne nécessitaient aucun deposit, en sorte que jamais aucun deposit constitué grâce aux fonds de la société X... n'avait été utilisé pour les opérations effectuées sur ces comptes ; qu'en ne s'expliquant pas très précisément sur le "modus operandi" utilisé pour le fonctionnement de ces deux comptes et en se bornant à affirmer que le prévenu s'était approprié, par le biais de ces comptes fictifs, des sommes appartenant à la société X... sans démontrer en quoi les sommes résultant des opérations gagnantes étaient portées au crédit de ces comptes auraient appartenu à cette dernière, ni s'expliquer sur les dates de ces opérations qui avaient fait l'objet de fiches en comptabilité, ainsi que le prévenu le faisait valoir dans ses conclusions (arrêt, p. 26, 1er), la Cour, qui n'a pas caractérisé l'abus des biens ou du crédit de la société X... qu'elle a retenu à la charge du prévenu, n'a pas donné de base légale à la déclaration de culpabilité ;

"alors, de quatrième part, que, s'agissant du compte Y..., le prévenu avait fait valoir que M. Y... existait, que le deposit sur son compte avait été constitué par le dépôt de fonds provenant des premières opérations bénéficiaires ; qu'il n'est, en tout état de cause, pas établi qu'un deposit fût nécessaire pour ces premières opérations qui pouvaient être réalisées dans la journée ;

que, dès lors que la Cour n'a fait état d'aucune opération précise dans laquelle ce deposit de la société X... aurait été utilisé et en ne précisant pas, au surplus, en quoi le compte d'une personne existante pouvait constituer un compte fictif, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à la déclaration de culpabilité ;

"alors, enfin, que, s'agissant du compte Joyce, le prévenu avait aussi fait valoir que ce compte avait été créé avec M. A..., qui n'était pas poursuivi, et qu'il y avait usage d'un prête-nom ; que les opérations boursières avec usage d'un prête-nom n'étant nullement prohibées, c'est encore à tort que la Cour, qui ne s'est pas expliquée sur ce moyen péremptoire de défense, a assimilé ce compte à un compte fictif pour déclarer le prévenu coupable d'abus de biens sociaux à l'occasion du fonctionnement de ce compte ; que la déclaration de culpabilité est encore privée de base légale" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'Alain Z..., membre du directoire de la société X..., commissionnaire à la Bourse de marchandises, a, au cours des années 1992 à 1994, affecté des positions gagnantes initiées grâce aux fonds de cette société, à deux comptes fictifs dont il a retiré la somme de 556 558,39 francs ;

Attendu que les juges d'appel, requalifiant d'office les faits initialement poursuivis sous la prévention d'escroqueries, ont déclaré le prévenu coupable d'abus de biens sociaux en relevant qu'il avait réalisé ces opérations boursières grâce à des "deposit" de cette société et qu'il avait détourné les résultats bénéficiaires revenant à celle-ci en les imputant à des comptes fictifs créés pour lui permettre de disposer à sa convenance de fonds sociaux ; qu'ils concluent que le prévenu a fait des biens de la société un usage qu'il savait contraire aux intérêts de celle-ci et à des fins purement personnelles ;

Attendu qu'en l'état des ces énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des faits, la cour d'appel, qui n'a en rien excédé ses pouvoirs, a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit dont elle a déclaré le prévenu coupable au regard des articles 437, 3 , et 464, alinéa 1, de la loi du 24 juillet 1966 ;

Que, dès lors, le moyen doit être écarté ;

Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 437 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, 388 et 593 du Code de procédure pénale, 6.3.a) de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale, ensemble et violation des droits de la défense ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable d'abus de biens sociaux au préjudice de la société X... à propos d'opérations réalisées pour le compte de Del Café ;

"aux motifs adoptés du tribunal qu'Alain Z... avait affecté à la société Del Café des opérations initiées initialement au nom de Jacques-Louis X... pour fournir un deposit pour des opérations Del Café ; que ces opérations avaient été faites au détriment de la société X... et au profit de la société Del Café dont Alain Z... était actionnaire à hauteur de 25 % et caution (jugement p. 23, 2 et 3) ;

"alors, d'une part, que la citation reprochait à Alain Z..., sans autre précision, d'avoir, entre le 30 mars 1992 et le 14 mars 1994, étant membre du directoire de la SA
X...
, fait de mauvaise foi, des biens et du crédit de cette société, un usage qu'il savait contraire à l'intérêt de celle-ci, pour favoriser une autre société dans laquelle il était directement intéressé puis, en affectant à la société Del Café des opérations boursières gagnantes engagées sur le marché au nom et grâce au deposit de
X...
SA ; que, faute pour la citation, d'avoir précisé de manière détaillée quelles étaient les opérations à l'occasion desquelles cet abus aurait été prétendument commis, c'est-à-dire l'élément matériel lui-même du délit à propos de chacune des opérations qui en auraient été constitutives, leur montant et le montant du deposit utilisé, les juges du fond ne pouvaient, sans excéder leur pouvoir, ajouter à celle-ci des éléments de fait qu'elle ne comportait pas ; qu'il s'ensuit que la déclaration de culpabilité est illégale ;

"alors, en toute hypothèse, que la citation reprochant au prévenu, au titre de l'abus de biens sociaux, d'avoir affecté à la société Del Café des opérations boursières gagnantes engagées sur le marché au nom et grâce au deposit de
X...
SA, la Cour ne pouvait, sans commettre un second excès de pouvoir, adopter les motifs des premiers juges et déclarer le prévenu coupable de ce délit :

- pour avoir affecté à la société Del Café 48 opérations gagnantes qui n'avaient nécessité aucun deposit (jugement, p. 22, pénultième et dernier ),

- pour avoir affecté à la société Del Café 3 opérations perdantes qui auraient nécessité un deposit ;

qu'en statuant ainsi, la Cour, après les premiers juges, a aussi excédé sa saisine et prononcé une déclaration de culpabilité illégale ;

"alors, de troisième part, que, dans ses conclusions, le prévenu faisait valoir que, en tant que professionnel, la société Del Café, que son objet social autorisait à faire des opérations boursières spéculatives, n'était pas tenue d'effectuer un deposit pour les opérations à terme, en sorte que les fonds de la société X... n'avaient jamais, à aucun moment, été utilisés au bénéfice de la société Del Café pour les opérations à terme ; qu'en se bornant à confirmer les motifs des premiers juges qui avaient affirmé, à propos de trois opérations perdantes (jugement p. 23) que le prévenu avait utilisé les fonds de
X...
pour fournir un deposit pour des opérations Del Café, sans répondre à ce moyen péremptoire de défense, la cour d'appel a aussi privé la déclaration de culpabilité de base légale ;

"alors, de quatrième part, que le prévenu faisait encore valoir que toutes les opérations boursières devant être passées par la société X..., le fait d'avoir passé par cette société pour effectuer des opérations pour le compte de la société Del Café, constituait une procédure normale qui ne pouvait caractériser un abus de biens de la société X... ; qu'en ne s'expliquant pas non plus sur ce moyen péremptoire de défense, ni constater que cette allégation était fausse et que cette procédure était anormale, la cour d'appel n'a donné aucune base légale à la déclaration de culpabilité ;

"alors, enfin, qu'aux termes de l'article 437, 3 , de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, seuls les président, administrateurs ou directeurs généraux peuvent commettre un abus de biens sociaux ;

que, faute d'avoir constaté que le prévenu remplissait l'une de ces fonctions à compter du 30 mars 1992, la cour d'appel a prononcé une déclaration de culpabilité illégale" ;

Attendu que, pour déclarer Alain Z... coupable d'abus des biens de la société X..., dont il était membre du directoire, les juges relèvent qu'entre 1992 et 1994, il a effectué plusieurs opérations boursières sur le marché au nom et avec des "deposit" de la société et qu'il a affecté les résultats gagnants de ces opérations à la société Del Café, dont il était administrateur et caution, laquelle n'avait souscrit initialement aucun contrat ; qu'ils concluent que le prévenu a, en connaissance de cause, détourné des fonds qui devaient revenir à la société X... au profit d'une entreprise dans laquelle il était directement intéressé ;

Attendu qu'en cet état, la cour d'appel, qui n' a en rien excédé les limites de sa saisine, a fait l'exacte application des articles 437, 3 , et 464 de la loi du 24 juillet 1966 ;

D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, M. Schumacher conseiller rapporteur, M. Martin conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Di Guardia ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 97-83218
Date de la décision : 13/01/1999
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

(sur le premier moyen) JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES - Citation - Enonciations nécessaires - Information suffisante des faits servant de base à la prévention - Possibilité de présenter les moyens de défense.

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 - Juridictions correctionnelles - Droit de l'accusé d'interroger ou de faire interroger des témoins - Demande formée devant la cour d'appel - Rejet - Portée.

(sur le quatrième moyen) SOCIETE - Société par actions - Société anonyme - Abus de biens sociaux - Eléments constitutifs - Membre du directoire - Intérêt personnel - Définition.


Références :

Code de procédure pénale 551
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 04 novembre 1950, art. 6-3 d
Loi 66-537 du 24 juillet 1966 art. 437, 3° et 464 al. 1

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, 05 mai 1997


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 13 jan. 1999, pourvoi n°97-83218


Composition du Tribunal
Président : Président : M. GOMEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1999:97.83218
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