AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- Z... Najib, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 10 juin 1998, qui, dans la procédure suivie contre lui pour infractions à la législation sur les stupéfiants, a rejeté sa requête en annulation d'actes de la procédure ;
La COUR, en l'audience publique du dix-neuf novembre mil neuf cent quatre-vingt dix huit où étaient présents : M. Gomez président, Mme de la Lance conseiller rapporteur, MM. Schumacher, Martin, Pibouleau, Challe, Roger conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, M. Soulard conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Cotte lors des débats ;
M. Y... au prononcé de l'arrêt ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas lors des débats ;
Mme X... au prononcé de l'arrêt ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire de la LANCE, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général COTTE ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 12 octobre 1998, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 105 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale, ensemble violation des droits de la défense ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir lieu à annulation des pièces de la procédure ;
"alors que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves et concordants d'avoir participé aux faits dont le juge d'instruction est saisi ne peuvent être entendues comme témoins ; qu'il résulte du dossier de la procédure que mis en cause comme trafiquant, Najib Z... a été interpellé le 5 Novembre 1997 à son domicile, où les enquêteurs ont découvert des produits stupéfiants (D.420) ; qu'entendu le jour même en qualité de témoin et sous serment, il a reconnu se livrer à un trafic de cannabis et d'ecstasy (D.424) ; qu'à nouveau mis en cause, il a été entendu une deuxième fois, encore en qualité de témoin et toujours sous serment, et a confirmé s'être livré à un trafic de stupéfiants (D.450) ;
qu'après sa mise en cause par une autre personne interpellée, une nouvelle perquisition a été effectuée à son domicile, au cours de laquelle, sur ses indications, des produits stupéfiants ont été découverts ; qu'entendu une troisième fois, encore en qualité de témoin pendant trois heures (D.475), il a, une nouvelle fois, confirmé qu'il se livrait au trafic de stupéfiants ; qu'il a été alors confronté à un autre trafiquant, toujours en qualité de témoin et sous serment, pour une quatrième fois (D.484) ; que sans contester que, malgré des indices graves et concordants, Najib Z... avait été entendu à plusieurs reprises comme témoin, la chambre d'accusation a refusé néanmoins d'annuler ces auditions au motif que les enquêteurs n'avaient eu d'autre but que de recevoir, au fur et à mesure du déroulement de leurs investigations, les déclarations de Najib Z... ; qu'en statuant ainsi, alors que l'audition comme témoin d'une personne à l'encontre de laquelle il existe des indices graves et concordants d'avoir participé aux agissements incriminés, est nulle même si en procédant à cette audition les enquêteurs n'ont pas eu pour but ou pour résultat d'éluder les garanties de la défense ou de porter atteinte aux droits de la défense, la chambre d'accusation a violé les textes susvisés" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, le 13 décembre 1996, une information a été ouverte pour infractions à la législation sur les stupéfiants, portant essentiellement sur la vente de cannabis et de pilules d'ecstasy ; qu'à la suite d'écoutes téléphoniques, Najib Z... a été interpellé le 5 novembre 1997 et placé en garde à vue ; que les 5 et 6 novembre 1997, il a été entendu ou confronté à quatre reprises, avant d'être mis en examen et placé en détention provisoire le 7 novembre suivant ;
Que, lors de ces auditions, il a reconnu sa participation à un trafic de haschich et d'ecstasy ; qu'après avoir été mis en cause comme fournisseur par un revendeur et après une perquisition permettant de découvrir à son domicile 253 pilules d'ecstasy, il a confirmé ses aveux et précisé ses activités ;
Attendu que, pour dire régulières, au regard de l'article 105 du Code de procédure pénale, les auditions du demandeur par les enquêteurs en qualité de témoin, les juges se bornent à énoncer qu'en procédant comme ils l'ont fait, "les enquêteurs n'ont eu d'autre but que de recevoir, au fur et à mesure du déroulement de leurs investigations et des indices dont ils disposaient, les déclarations de Najib Z... et de les vérifier" ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il ne résulte pas de ces énonciations que les diverses auditions de la personne concernée avaient pour but, en l'absence d'éléments suffisants, de vérifier ses aveux et de déterminer la part réelle prise par elle aux faits poursuivis, ou pour objet de parvenir à l'identification des divers auteurs des faits incriminés, la chambre d'accusation n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Que, dès lors, la cassation est encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles, en date du 10 juin 1998, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Versailles, sa mention en marge où à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, chambre criminelle et prononcé par le président le vingt-six novembre mil neuf cent quatre-vingt dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;