AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix novembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller RUYSSEN, les observations de la société civile professionnelle GUIGUET, BACHELLIER et de la VARDE, et de la société civile professionnelle VINCENT et OHL, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- de X... Jacques, partie civile, en son nom personnel et en qualité de représentant légal de son fils mineur Arnaud,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, du 22 octobre 1997, qui, dans la procédure suivie contre Jean-Charles Y..., notamment pour blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 2, 464 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que la cour d'appel a sursis à statuer sur le préjudice d'Arnaud de X... soumis à recours, jusqu'à sa majorité ;
"aux motifs propres que la situation d'Arnaud va changer à sa majorité car à partir de celle-ci, il ne pourra plus rester dans l'établissement où il se trouve actuellement ; que ce n'est qu'à compter de cette date qu'il sera possible de savoir si le préjudice doit être liquidé dans la perspective d'une vie de l'intéressé à son domicile avec une tierce personne, ou dans celle, plus probable, d'une vie dans un établissement dont pour l'instant on ignore quelle part des frais la caisse primaire d'assurance maladie prendrait en charge ; que dans ces conditions, la Cour faisant en outre siens les motifs du jugement relatifs au risque d'une double indemnisation partielle, il convient de surseoir à statuer jusqu'à ce que la victime ait atteint l'âge de dix-huit ans, qui surviendra le 25 juin 2000 ; que cette décision ne porte pas préjudice à la victime car jusqu'à la majorité d'Arnaud, la caisse primaire d'assurance maladie, remboursée par la caisse régionale de réassurances mutuelles agricoles prend en charge la totalité de ses frais de séjour dans l'établissement où il se trouve ; que pour les frais médicaux restant à charge les intimés offrent de les régler sur justificatifs ; que pour les autres frais déjà exposés, il y a lieu d'allouer une provision ;
"et aux motifs adoptés que faire supporter par les défendeurs à la fois les frais d'hébergement, de nourriture et de soins quotidiens du blessé hospitalisé quasiment à plein temps et une indemnisation sur laquelle il ne sera pas fait de recours, destinée à assurer ses conditions d'existence comme s'il vivait à domicile reviendrait, au moins pour partie à l'indemniser doublement et, donc, à lui procurer un enrichissement (au sens juridique du terme) au préjudice de l'assureur ;
"alors que les juges ne peuvent se dispenser de prononcer la réparation de la part des préjudices susceptibles d'évaluation à la date de leur décision ; qu'en décidant de surseoir à statuer jusqu'à la majorité d'Arnaud de X... sur la totalité des préjudices soumis à recours sans se prononcer sur le préjudice résultant pour ce dernier de son incapacité temporaire totale de 98 mois, ni sur son préjudice économique, ni sur son besoin présent et avenir d'un véhicule aménagé, dommages tous susceptibles d'être d'ores et déjà évalués, dès lors que l'état de la victime ne peut connaître d'évolution favorable, et en allouant seulement une provision à raison de divers dommages dont elle avait constaté l'existence, la cour d'appel, qui n'a justifié par aucun motif son refus de prononcer immédiatement la réparation définitive desdits dommages, a violé, ensemble, lesdits textes ;
"et alors que la victime d'un accident, à laquelle est due la réparation intégrale des préjudices résultant de l'infraction, a droit à être indemnisée du coût de son hébergement et de sa prise en charge rendus nécessaires par les handicaps que lui a infligés cet accident sans qu'il y ait lieu de tenir compte des conditions, nécessairement onéreuses pour elle-même, son entourage ou les organismes sociaux, suivant lesquelles seront effectivement assurés dans l'avenir ces hébergement et prise en charge ; que dès lors, en différant l'évaluation des préjudices subis de ces chefs par le jeune Arnaud jusqu'à l'âge de sa majorité au prétexte qu'il serait seulement possible de connaître à cette date ses futures conditions d'hébergement et d'assistance et d'éviter ainsi tout risque de double indemnisation, la cour d'appel n'a pas assuré la réparation intégrale du préjudice subi par la victime, et a ainsi violé les textes et principes ci-dessus visés" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'Arnaud de X..., né le 25 juin 1982, a été victime d'un accident de la circulation à la suite duquel il se trouve atteint d'une incapacité permanente partielle de 95 % et placé dans un établissement spécialisé ;
Attendu que, pour réserver la liquidation d'une partie du préjudice subi par Arnaud de X..., l'arrêt attaqué retient que celui-ci devra, à 18 ans, quitter l'établissement où il se trouve, soit pour regagner le domicile paternel, soit plus vraisemblablement pour entrer dans un autre établissement ; qu'il ajoute que les frais pris en charge par la sécurité sociale dans la seconde hypothèse sont inconnus actuellement ;
qu'il conclut à la nécessité d'un sursis à statuer sur la part d'indemnité soumise au recours des organismes sociaux, ce sursis arrivant à son terme le jour où la victime atteindra sa majorité ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen, lequel, dès lors, doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Roman conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Ruyssen conseiller rapporteur, MM. Aldebert, Grapinet, Mistral, Blondet, Mme Mazars conseillers de la chambre, Mme Ferrari, M. Sassoust conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lucas ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;