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22/10/1998 | FRANCE | N°97-84601

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 22 octobre 1998, 97-84601


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de Me PARMENTIER et de Me JACOUPY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GERONIMI ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- DELLOYE Hervé

contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 3 juillet 1997, qui, pour publication ou présenta

tion de comptes annuels infidèles et pour banqueroute, l'a condamné à 4 mois d'empriso...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de Me PARMENTIER et de Me JACOUPY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GERONIMI ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- DELLOYE Hervé

contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6ème chambre, en date du 3 juillet 1997, qui, pour publication ou présentation de comptes annuels infidèles et pour banqueroute, l'a condamné à 4 mois d'emprisonnement avec sursis, 5 ans d'interdiction de gérer et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 432, 2 de la loi du 24 juillet 1966, 131-27 nouveau du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Hervé Delloye à 4 mois d'emprisonnement, outre l'interdiction de gérer pendant cinq ans, pour la publication ou présentation de comptes annuels inexacts ;

"aux motifs qu'il résulte du rapport de l'expert X... que des créances douteuses n'ont pas été suffisamment provisionnées (estimées à 1 270 111,21 francs pour l'exercice clos au 31 décembre 1991) et n'étaient pas mentionnées comme telles à l'annexe (créances douteuses au bilan clos au 31 décembre 1992 s'élevant à 10 000 000 francs et n'apparaissent à l'annexe que pour 4 400 000 francs) ; que l'expert y ajoute des inexactitudes sur le plan comptable concernant les stocks, la TVA comptabilisée en charges, l'étalement des charges, les indemnités versées aux VRP pour le rachat de leur carte ; que toutes ces irrégularités ont modifié le résultat de façon sensible ; qu'ainsi, pour l'exercice clos au 31 décembre 1991, la perte est de 3 378 338 francs au lieu de 2 808 227 francs ; que, contrairement à ce que prétend le prévenu, l'expert B... conclut également à un insuffisance de provision concernant les filiales Vipofrance (la provision aurait dû être de la totalité des titres et des créances), ALPA VK (la provision aurait dû être de 50 %) et le client Kazakos (la provision aurait dû être de 100 % au 31 décembre 1991) ; qu'il résulte des auditions de Mme Z... et de M. Y... que le but recherché était l'embellissement des bilans ; que le prévenu ne peut se retrancher derrière l'absence de réaction de l'expert comptable dès lors que ces agissements apparaissent délibérés ;

que l'infraction de présentation inexacte de bilan doit être retenue ; que le jugement sera donc infirmé sur ce point ;

1 )"alors que le juge correctionnel ne peut déclarer la culpabilité d'un prévenu à raison d'un fait qualifié délit qu'autant qu'il constate dans son jugement la réunion des éléments constitutifs de l'infraction retenue ; que le délit prévu par l'article 437, 2 de la loi du 24 juillet 1966 exige la publication ou la présentation aux actionnaires de comptes annuels prétendument inexacts ; qu'en se bornant, pour déclarer Hervé Delloye coupable de présentation ou publication de comptes annuels inexacts, à faire état des irrégularités que celui-ci aurait commises, sans constater aucun fait impliquant qu'il y ait eu publication ou présentation aux actionnaires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen ;

2 )"alors que le délit de présentation ou de publication de comptes annuels inexacts exige de même, pour être constitué, la caractérisation d'un élément intentionnel en ce que le prévenu a entendu dissimuler sciemment la véritable situation de la société ; qu'en retenant la mauvaise foi d'Hervé Delloye, dès lors que le but recherché était "l'embellissement des bilans", comme en auraient témoigné les résultats pour l'exercice clos au 31 décembre 1991 qui auraient dû faire apparaître une perte de 3 378 338 francs au lieu des 2 808 227 francs annoncés, sans expliquer en quoi cet écart "embellissait" des comptes en toute hypothèse largement négatifs, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 197 de la loi du 25 janvier 1985, 131-27 nouveau du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a condamné Hervé Delloye à 4 mois d'emprisonnement, outre l'interdiction de gérer pendant cinq ans, du chef de banqueroute par emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds ;

"aux motifs adoptés des premiers juges que l'on constate en 1992 que les concours bancaires apparaissent supérieurs aux comptes-clients ; que la conséquence en est une augmentation particulièrement sensible des charges financières qui dépassent de 4 % les plafonds habituellement admis par la Banque de France ; que la situation s'était déjà fortement dégradée en 1990 et 1991 ; que, dès l'automne 1992, des impayés sont survenus et permettaient de concrétiser l'état de cessation des paiements ; qu'en 1992 et 1993, la banque Scalbert Dupont a pratiqué des taux particulièrement élevés qui permettent d'affirmer que l'exploitation s'est poursuivie à des conditions ruineuses pour la SA ALPAC ; qu'Hervé Delloye ne pouvait naturellement les ignorer ni d'ailleurs l'état de cessation des paiements dûment caractérisé dès l'automne 1992 ; qu'il convient donc d'entrer en voie de condamnation de ce chef et de condamner le prévenu ;

1 )"alors que le délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux suppose, pour être constitué, l'emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ;

qu'en se bornant, pour déclarer Hervé Delloye coupable du délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux, à faire état de ce que la banque Scalbert avait pratiqué en 1992 et 1993 des taux "particulièrement élevés", ce qui "permettait d'affirmer" que l'exploitation de la SA ALPAC s'était poursuivie à des conditions ruineuses, sans préciser en quoi les taux pratiqués par cette banque étaient "particulièrement élevés", la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen ;

2 )"alors que le délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux suppose, pour être constitué, l'emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ;

qu'en se bornant, pour déclarer Hervé Delloye coupable du délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux, à faire état de ce que la banque Scalbert avait pratiqué en 1992 et 1993 des taux "particulièrement élevés", ce qui "permettait d'affirmer" que l'exploitation de la SA ALPAC s'était poursuivie à des conditions ruineuses, sans rechercher, en toute hypothèse, en quoi ces taux étaient distincts de ceux qu'avait toujours pratiqués cette banque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen ;

3 )"alors que le délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux suppose, pour être constitué, l'emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ;

qu'en se bornant, pour déclarer Hervé Delloye coupable du délit de banqueroute par emploi de moyens ruineux, à retenir que le prévenu avait accepté des aides financières à des conditions ruineuses alors qu'il ne pouvait ignorer que la SA ALPAC était en état de cessation des paiements, sans constater que celui-ci avait agi de la sorte en vue d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les infractions dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 174 du décret du 27 décembre 1985, 180 de la loi du 25 janvier 1985, 1382 et 1383 du Code civil, 2, 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Hervé Delloye à payer à Me A..., ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société ALPAC Général Promotion, la somme de 1 000 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

"aux motifs propres que Me A..., ès-qualités, réclame une somme de 28 339 486 francs, montant de l'insuffisance d'actif, à titre de dommages-intérêts ; que le préjudice de la partie civile résulte comme, l'a rappelé le tribunal, du retard mis à déclarer l'état de cessation des paiements qui a aggravé le passif ; qu'en l'état des pièces versées aux débats, en particulier du rapport Duponchelle, le jugement sera confirmé par adoption de motifs dans ses dispositions civiles ;

"et aux motifs des premiers juges que la constitution de Me A..., ès-qualités, paraît recevable ; que, toutefois, il n'est pas possible d'imputer à Hervé Delloye la totalité du passif qui n'est pas la cause directe de l'infraction pour laquelle il est condamné ; que, cependant, les moyens ruineux qu'il a utilisés pour poursuivre son exploitation et le retard mis dans la déclaration de cessation des paiements ont provoqué une aggravation du passif que le tribunal estime à une somme de 1 000 000 francs ;

1 )"alors que les juges ne sauraient se déterminer par des motifs hypothétiques ou dubitatifs ; qu'en considérant que la constitution de partie civile de Me A..., ès-qualités, "parai(ssait) recevable", la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

2 )"alors que les juges sont tenus de répondre aux moyens des conclusions dont ils sont régulièrement saisis ;

qu'Hervé Delloye, dans ses conclusions d'appel, faisait valoir que Me A..., ès-qualités, qui fondait ses demandes d'indemnisation sur l'insuffisance d'actif résultant du redressement de la société ALPAC Général Promotion, ne pouvait porter son action que devant les juridictions civiles ou commerciales, conformément à l'article 174 du décret du 27 décembre 1985 ; qu'en ne répondant par aucun motif pertinent à ce moyen qui soulignait l'irrecevabilité de l'action du commissaire à l'exécution du plan, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen ;

3 )"alors que les juges sont tenus de répondre aux moyens des conclusions dont ils sont régulièrement saisis ;

qu'Hervé Delloye, dans ses conclusions d'appel, faisait aussi valoir que Me A..., ès-qualités, ne pouvait aucunement, sous couvert de poursuites pour banqueroute ou pour publication ou présentation de comptes inexacts, formuler des demandes au titre d'une insuffisance d'actif ; qu'en ne répondant pas plus à ce moyen, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

4 )"alors que l'action qui tend au comblement du passif, distincte d'une action en réparation, ne peut être mise en oeuvre que devant le tribunal saisi de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ; qu'en toute hypothèse, en déclarant recevable la demande de Me A..., ès-qualités, en relevant qu'elle tendait exclusivement à compenser une "insuffisance d'actif", la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

5 )alors que, subsidiairement, le prévenu soutenait dans ses conclusions d'appel (p. 21) que le passif avait sensiblement diminué entre la date de la cessation des paiements et la date de la déclaration effectuée par Hervé Delloye ; que ce dernier en déduisait que la partie civile n'apportait pas le moindre commencement de preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice allégué et les faits reprochés au moyen ; qu'en s'abstenant d'apporter la moindre réponse à ce moyen, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;

6 )"alors que l'action qui tend au comblement du passif est distincte de toute action indemnitaire ; qu'ainsi, et en tout état de cause, en allouant à Me A..., ès-qualités, une somme de 1 000 000 francs en réparation du préjudice causé par l'utilisation de moyens ruineux et le retard dans la déclaration de la cessation des paiements, quand Me A..., ès-qualités, invoquait explicitement une insuffisance d'actif, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;

Attendu qu'après avoir déclaré Hervé Delloye, gérant de la société Alpac Général Promotion, coupable de banqueroute, la cour d'appel l'a condamné à verser des dommages-intérêts au commissaire à l'exécution du plan de cette société en se déterminant par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors qu'en application de l'article 211 de la loi du 25 janvier 1985, le commissaire à l'exécution du plan peut exercer devant la juridiction répressive l'action civile en réparation du préjudice résultant du délit de banqueroute, laquelle a un objet différent de l'action en comblement de passif, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Gomez président, M. Schumacher conseiller rapporteur, MM. Martin, Pibouleau, Challe, Roger conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme de la Lance, M. Soulard conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Géronimi ;

Greffier de chambre : Mme Nicolas ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 97-84601
Date de la décision : 22/10/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

(Sur le troisième moyen) BANQUEROUTE - Action civile - Action d'un créancier - Recevabilité - Condition - Personnes énumérées par l'article 211 de la loi du 25 janvier 1985 - Commissaire à l'exécution du plan.


Références :

Code de procédure pénale 2 et 3
Loi 85-98 du 25 janvier 1985 art. 211

Décision attaquée : Cour d'appel de DOUAI, 6ème chambre, 03 juillet 1997


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 22 oct. 1998, pourvoi n°97-84601


Composition du Tribunal
Président : Président : M. GOMEZ

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:97.84601
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