AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire DESPORTES, les observations de la société civile professionnelle CELICE, BLANCPAIN et SOLTNER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général COTTE ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LOPEZ RIANO Irène C...,
contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de DOUAI, en date du 1er juillet 1998, qui, dans la procédure d'extradition suivie contre elle à la demande du Gouvernement espagnol, a émis un avis favorable ;
Vu les mémoires ampliatif et additionnel produits ;
Sur la recevabilité du mémoire additionnel :
Attendu que ce mémoire a été produit après expiration du délai imparti et postérieurement au dépôt du rapport par le conseiller référendaire commis ; qu'il y a lieu, conformément à l'article 590, alinéa 3 du Code de procédure pénale, de le déclarer irrecevable ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles de la loi du 10 mars 1927, 12-2, a) de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, de même que des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a donné un avis favorable à la demande d'extradition présentée par le gouvernement espagnol pour l'exécution d'un arrêt de mise en accusation et d'emprisonnement prononcé le 24 avril 1997 par le tribunal central d'instruction n° 4 de l'audience nationale à Madrid à l'encontre de Irene C...
E... Riano pour tentative d'assassinat terroriste ;
"aux motifs que l'article 12-2 a) de la Convention européenne d'extradition exige que soit produit à l'appui de la requête l'original ou l'expédition authentique du mandat d'arrêt ou de tout autre acte ayant la même force, délivré dans les formes prescrites par la loi de la partie requérante ; qu'en l'espèce, les pièces suivantes sont jointes à la demande d'extradition : la commission rogatoire adressée aux autorités judiciaires françaises, la copie légalisée de l'arrêt demandant à la France l'extradition d'Irene C...
E... Riano, la copie légalisée de l'avis émis par le procureur de l'audience nationale, la copie légalisée de l'arrêt d'accusation et du mandat d'arrêt provisoire d'Irene C...
E... Riano et la copie légalisée des textes applicables ; que le magistrat-juge Carlos B...
Y... et la secrétaire judiciaire Maria Masquera Loureda attestent que "tout ce qui a été exposé est vrai et les documents insérés concordent bien avec leur original " ; que cette attestation de conformité, signée du juge et de la secrétaire, permet de considérer que les documents transmis par les autorités espagnoles, notamment l'arrêt de mise en accusation et d'emprisonnement du 24 avril 1997, ont la qualité d'expédition authentique au sens de l'article 12-2 a) de ladite Convention ;
"alors, d'une part, que l'expédition authentique doit être délivrée selon les formes prescrites par la loi du requérant ; que faute d'avoir recherché selon quelles formes édictées par la loi espagnole les expéditions authentiques des actes dont il s'agit (arrêt d'accusation et mandat d'arrêt, notamment) devaient être délivrées, la décision de la chambre d'accusation n'est pas suffisamment motivée ;
"alors, d'autre part, qu'Irene C...
E... Riano faisait valoir que les copies de l'arrêt d'accusation, mandat d'arrêt et de la demande d'extradition la concernant ne portaient aucune signature ; que faute d'avoir répondu à ce moyen et sans rechercher si cet arrêt et ce mandat avaient été rendus dans les formes légales, l'arrêt est encore privé de motifs" ;
Attendu que, devant la chambre d'accusation, Irene C...
E... Riano a soutenu que, n'étant pas signés, les documents transmis en copie par les autorités espagnoles à l'appui de la demande d'extradition présentée à son encontre ne répondaient pas aux prescriptions de l'article 12-2 a) de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;
Attendu que, pour écarter cette argumentation, la chambre d'accusation retient que la copie de la décision comportant mandat d'arrêt, en vertu de laquelle l'extradition a été demandée, est accompagnée d'une attestation rédigée par un magistrat et une "secrétaire judiciaire" espagnols certifiant la conformité à l'original de cette pièce, elle-même revêtue du cachet de l'autorité publique ; que les juges en déduisent qu'elle constitue une "expédition authentique" au sens des dispositions conventionnelles précitées ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, et dès lors qu'une telle expédition n'a pas à être revêtue des signatures figurant sur la pièce originale, les juges ont justifié leur décision sans encourir les griefs alléguées ;
Que, par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu au moyen, au demeurant pour la première fois devant la Cour de Cassation, il n'entre pas dans les pouvoirs de la chambre d'accusation appelée à statuer sur une demande d'extradition de contrôler la régularité, au regard de la loi de l'Etat requérant, de la décision judiciaire étrangère produite à l'appui de cette demande ;
Qu'enfin, la Cour de Cassation est en mesure de s'assurer que la demande d'extradition, qui était en tout état de cause authentifiée par la transmission du Garde des Sceaux, portait la signature d'un représentant de l'Etat espagnol ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 10 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, de l'article 62 de la Convention de Schengen 19 juin 1990, des articles 114 du Code pénal espagnol de 1973 et 132 du Code pénal espagnol de 1995, de même que des articles 7, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a donné un avis favorable à la demande d'extradition présentée par le gouvernement espagnol pour l'exécution d'un arrêt de mise en accusation et d'emprisonnement prononcé le 24 avril 1997 par le tribunal central d'instruction n° 4 de l'audience nationale à Madrid à l'encontre d'Irene C...
E... Riano pour tentative d'assassinat terroriste ;
"aux motifs que l'article 10 de la Convention européenne d'extradition décide que l'extradition ne sera pas accordée si la prescription de l'action est acquise d'après la législation de la partie requérante et d'après la législation de la partie requise ; qu'en application de l'article 113 du Code pénal espagnol, les infractions se prescrivent par vingt ans lorsque la loi prévoit une peine d'emprisonnement correctionnel majeur et par quinze ans lorsque la loi prévoit une peine d'emprisonnement correctionnel mineur ; qu'en application de l'article 7 du Code de procédure pénale français, en matière criminelle, l'action se prescrit par dix ans ; que dans les deux législations le point de départ est le jour de l'infraction ; que la tentative d'assassinat terroriste reprochée à Irene C...
E... Riano est du 8 mai 1986 ; que, selon l'article 113 du Code pénal espagnol, il s'agit d'une infraction susceptible d'une peine d'emprisonnement correctionnel majeur et n'est donc pas prescrite ; qu'au regard de la loi française, les auditions par le juge espagnol de Juan Manuel F... Gamboa les 21 juillet et 23 octobre 1995 et celles de José D... De Juana A... et d'Antonio G...
X... le 27 février 1996 ont interrompu le délai de dix ans ; qu'il convient de considérer que l'article 62 de l'accord de Schengen selon lequel, pour ce qui concerne l'interruption de la prescription, seules les règles de la partie requérante sont applicables - ne peut se comprendre que si l'on prend en considération les règles régissant la prescription dans la loi de la partie requérante, mais que les règles régissant l'interruption de la prescription en droit espagnol ne sauraient s'appliquer à la prescription en tant qu'elle résulte des dispositions du droit pénal français ; qu'ainsi, la prescription n'est pas acquise en droit français ;
"alors, d'une part, que l'article 62 de la Convention de Schengen pose une règle de conflit relative à l'interruption de la prescription de l'action publique selon laquelle seule la loi de la partie requérante doit être prise en considération ; qu'Irene C...
E... Riano faisait valoir qu'aux termes des articles 114 du Code pénal espagnol de 1973 et 132 du Code pénal espagnol de 1995, la prescription de l'action publique n'était interrompue que par la mise en mouvement d'une procédure contre le coupable lui-même, ce qui ne fut pas le cas en l'espèce ; qu'en écartant l'application de la loi espagnole en ce qui concerne l'interruption de la prescription en affirmant que cette loi n'écarterait pas les dispositions du droit pénal français en ce qui concerne l'interruption de la prescription, la chambre d'accusation a insuffisamment motivé sa décision ;
"alors, d'autre part, que et de toute manière, la prescription n'est interrompue que par des actes de poursuite ou d'instruction accomplis par les autorités compétentes françaises ; qu'en ne constatant aucun acte de poursuite ou d'instruction semblable, et en se référant uniquement à des actes d'instruction de magistrats espagnols, la chambre d'accusation a encore privé sa décision de motifs" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 4 de la loi du 10 mars 1927, 2 de la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957, 2 du Code pénal tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits, 121-4 et 121-5 du Code pénal dans sa rédaction actuelle, de même que des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt attaqué a donné un avis favorable à la demande d'extradition présentée par le gouvernement espagnol pour l'exécution d'un arrêt de mise en accusation et d'emprisonnement prononcé le 24 avril 1997 par le tribunal central d'instruction n° 4 de l'audience nationale à Madrid à l'encontre d'Irene C...
E... Riano pour tentative d'assassinat terroriste ;
"aux motifs que, les documents transmis par les autorités espagnoles font apparaître qu'Irene C...
E... Riano était membre du "commando de Madrid" de l'organisation ETA, dont faisaient également partie Antonio G...
X..., José D... De Juana A... et Juan Manuel F... Gamboa ; que les membres de ce commando avaient décidé d'assassiner le procureur général de l'Etat, Luis Antonio Z... Barba, et qu'à cette fin, après avoir surveillé, pendant plusieurs jours du mois d'avril 1986, les allées et venues du procureur général d'Etat entre son domicile et son lieu de travail, ils ont préparé, début mai, un véhicule automobile bourré d'explosifs que, selon les déclarations circonstanciées de Juan Manuel F... Gamboa, José D... De Juana A..., Irene C...
E... Riano devaient faire sauter, le 8 mai, au passage du procureur général de l'Etat ; qu'il apparaît ainsi, au vu des pièces produites, que les actes accomplis par les membres du "commando Madrid", et en particulier par Irene C...
E... Riano, tendaient directement et immédiatement à l'assassinat du procureur général de l'Etat ; que le crime était ainsi entré dans sa période d'exécution ;
"alors, d'une part, que les actes préparatoires d'une infraction ne sont pas punissables ; que, selon les pièces produites et analysées par l'arrêt, le véhicule préparé en vue de l'attentat du procureur général de l'Etat a simplement été installé, mais n'a pas été mis à feu et le projet a été abandonné ; que faute d'avoir constaté, au vu de ces pièces, que l'infraction était en cours d'exécution ou sur le point de se commettre, la chambre d'accusation n'a pas suffisamment motivé sa décision ;
"alors, d'autre part, que le désistement volontaire de l'infraction ne caractérise pas la tentative punissable ; qu'ayant relevé qu'Irene C...
E... Riano devait faire sauter ledit véhicule, mais qu'elle s'en est abstenue, la chambre d'accusation ne pouvait retenir l'existence d'une tentative sans s'assurer, qu'au vu des pièces produites, le désistement n'était pas volontaire" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les moyens reviennent à critiquer les motifs de l'arrêt qui se rattachent directement et servent de support à l'avis de la chambre d'accusation sur la suite à donner à la demande d'extradition ;
Qu'ils sont, dès lors, irrecevables en application de l'article 16 de la loi du 10 mars 1927 ;
Et attendu que l'arrêt a été rendu par une chambre d'accusation compétente et régulièrement composée ; que la procédure est régulière ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Gomez président, M. Desportes conseiller rapporteur, MM. Milleville, Joly, Mmes Simon, Chanet, Anzani conseillers de la chambre, Mmes Batut, Karsenty conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Cotte ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;