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13/10/1998 | FRANCE | N°96-18258

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 13 octobre 1998, 96-18258


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par :

1 / Mme Judith G..., demeurant .... 48, Yad B..., Tel Aviv (Israël),

2 / Mme Ruth D..., veuve C..., demeurant Kfar Warburg (Israël),

3 / M. Reuven D..., demeurant ...,

4 / Mme Anath Y..., divorcée I..., demeurant ...,

5 / M. Yaron Y..., demeurant ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 17 juin 1996 par la cour d'appel d'Amiens (1re et 2e chambres civiles réunies), au profit :

1 / de M. Louis M..., demeu

rant ...,

2 / de Mme Sdenka K..., demeurant Po Box 1595, Dania F1 33004 (USA),

3 / de la Société générale,...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par :

1 / Mme Judith G..., demeurant .... 48, Yad B..., Tel Aviv (Israël),

2 / Mme Ruth D..., veuve C..., demeurant Kfar Warburg (Israël),

3 / M. Reuven D..., demeurant ...,

4 / Mme Anath Y..., divorcée I..., demeurant ...,

5 / M. Yaron Y..., demeurant ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 17 juin 1996 par la cour d'appel d'Amiens (1re et 2e chambres civiles réunies), au profit :

1 / de M. Louis M..., demeurant ...,

2 / de Mme Sdenka K..., demeurant Po Box 1595, Dania F1 33004 (USA),

3 / de la Société générale, dont le siège est ...,

4 / de M. Henri F..., ès qualités d'administrateur, demeurant ...,

5 / de la SCP Jacques Lenormand et Patrick Dayen, société civile professionnelle, dont le siège est ...,

6 / de M. Michel J..., demeurant ...,

défendeurs à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 8 juillet 1998, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Chartier, conseiller rapporteur, M. Renard-Payen, Mme Bénas, MM. Guérin, Sempère, conseillers, M. Savatier, Mme Bignon, conseillers référendaires, M. Sainte-Rose, avocat général, Mme Aydalot, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Chartier, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mmes G..., C..., de M. D..., de Mme Anath Y... et de M. Yaron Y..., de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la Société générale, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. M..., les conclusions de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que M. Erich K..., étudiant de nationalité yougoslave, s'est trouvé, au cours de l'année 1939, en possession d'une importante collection d'objets et de tableaux de valeur, provenant de la galerie d'Ambroise N... ; qu'après le décès de ce dernier, survenu le 22 juillet 1939, il a déposé une partie de cette collection dans un coffre à la Société générale, et transporté l'autre partie en Yougoslavie, où elle a été exposée à Zagreb en novembre 1940 ; qu'Erich K... a disparu au cours de la seconde guerre mondiale ; que la Société générale a fait procéder le 24 octobre 1946 à l'ouverture du coffre, puis conservé son contenu dans une caisse à Nantes jusqu'en 1977 ; qu'elle a alors fait inventorier les objets renfermés dans cette caisse par un commissaire-priseur, puis obtenu, par ordonnance de référé, la désignation d'un séquestre avec mission de faire procéder à la vente publique de ces objets ; que deux commissaires-priseurs, mandatés par le séquestre pour organiser la vente, ont réalisé une large publicité pour la vente publique fixée aux 19 et 20 mars 1981 ; qu'informée par cette publicité, Mme Assunta X..., veuve H..., aux droits de laquelle se trouve actuellement son neveu et héritier, M. Louis M..., a revendiqué, en sa qualité d'ayant-cause d'Ambroise N..., la propriété de la majeure partie des objets trouvés dans le coffre de la Société générale ; qu'à cette instance sont intervenus en leur qualité d'héritiers d'Erich K..., d'une part, les consorts E... ("consorts G..."), ses cousins en ligne maternelle, d'autre part, Mme Zdenka K..., sa parente en ligne paternelle ; qu'un premier arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 février 1987, devenu irrévocable, a reconnu à Mme veuve H... qualité pour agir, déclaré recevable comme non prescrite son action en revendication et ordonné une expertise ; que la procédure s'est poursuivie à la suite du dépôt du rapport de l'expert, et a donné lieu à un second arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 octobre 1990 ; que l'arrêt attaqué (Amiens, 13 novembre 1995), statuant après cassation de ce second arrêt, a débouté les consorts Herzler et Mme Zdenka K... de leur action en revendication des oeuvres déposées dans le coffre de la Société générale, et dit qu'ils font partie de la succession d'Ambroise N..., à l'exception de 62 lots appartenant à la succession d'Erich K..., et ordonné leur remise à M. Louis M... ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches, tel qu'il est énoncé au mémoire en demande, et reproduit en annexe :

Attendu que, en sa première branche, le moyen manque en fait, la cour d'appel n'ayant pas déduit de la lettre du 30 janvier 1940, qui y est visée, que M. Erich K... s'était ainsi déclaré légataire d'Ambroise N... ;

Attendu, que la deuxième branche, ne tend qu'à s'en prendre à une imprécision de termes, alors même qu'il n'existe aucun doute sur la phrase critiquée, laquelle entend opposer l'éventualité d'une donation à celle d'une acquisition à titre onéreux ; qu'elle est inopérante ;

Et attendu, sur les troisième et quatrième branches, que la cour d'appel n'a pas déduit le comportement d'Erich K... en 1940 des déclarations d'Oton Gliha, mais "de l'ensemble des documents et témoignages ci-dessus analysés" ; que, dès lors, la cour d'appel n'a pas dénaturé les déclarations d'Oton Gliha, ni entaché sa décision de contradiction ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches :

Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait, alors, selon le moyen, que, d'une part, en se bornant à relever que le comportement d'Erich K... ne reflétait pas de manière non équivoque le comportement d'un propriétaire, sans relever qu'il pouvait agir à un autre titre qui était incompatible avec la propriété et qui rendait douteuse sa qualité de propriétaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2230 et 2279 du Code civil ; alors que, d'autre part, en se fondant sur la circonstance inopérante qu'Erich K... ait préféré taire l'origine de l'acquisition de sa collection, circonstance qui ne pouvait établir qu'il n'avait pas la volonté de se comporter comme le maître exclusif des biens litigieux, la cour d'appel a violé les articles susvisés ; alors que, enfin, en s'abstenant de constater que des tiers, qui pouvaient se demander comment Erich K... était devenu propriétaire des biens sans pour autant douter de cette propriété, avaient un tel doute, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

Mais attendu qu'après avoir apprécié, dans l'exercice de son pouvoir souverain, l'ensemble des documents et témoignages soumis à son examen, la cour d'appel retient une ambiguïté dans l'intention d'Erich K... de se comporter en propriétaire des oeuvres litigieuses, le fait qu'il a attendu pratiquement son départ de France pour montrer ses oeuvres, et ce uniquement à des personnes dont le concours lui paraissait nécessaire pour pouvoir en emporter la plus grande partie en Yougoslavie, et qu'il a menti sur leur origine, ainsi que le fait que pratiquement tous ceux auxquels il a montré sa collection, à l'époque, se sont interrogés sur la manière dont il avait pu entrer en possession d'une telle collection ; que, de ces constatations et énonciations, elle a déduit à juste titre, justifiant légalement sa décision, que la possession d'Erich K... était entachée d'équivoque ;

Sur le troisième moyen, pris en ses cinq branches, tel qu'il est énoncé au mémoire en demande, et reproduit en annexe :

Attendu que la cour d'appel, qui a souverainement retenu que rien ne permettait d'établir l'hypothèse d'une vente des oeuvres par Lucien N... à Erich K... après la mort d'Ambroise N..., n'avait dès lors pas à rechercher si le comportement d'Erich K... n'avait pu être la conséquence d'une telle vente ;

Attendu, ensuite, que c'est encore dans l'exercice de leur pouvoir souverain que les juges du fond ont retenu que la lettre du 23 mars 1940, écrite par Erich K... à Lucien N..., était d'une telle ambiguïté qu'elle ne pouvait être retenue comme moyen de preuve au profit de l'une ou l'autre des parties ;

Attendu, en troisième lieu, que la cour d'appel a exactement jugé que le fait qu'Erich K... ait loué un coffre pour y déposer les oeuvres litigieuses était sans incidence sur le caractère de la possession, la location d'un coffre de banque étant dénuée de toute publicité et la banque étant liée par le secret bancaire, et que rien ne s'opposant à ce qu'une personne dépose dans un coffre de banque des objets qui ne lui appartiennent pas, un tel acte ne peut en conséquence être considéré comme établissant qu'Erich K... se comportait comme le propriétaire des oeuvres litigieuses ;

Attendu, sur la quatrième branche, que celle-ci est inopérante, la cour d'appel ayant relevé par un motif qui n'est pas critiqué que les oeuvres transportées en Yougoslavie par les soins de la légation yougoslave étaient distinctes des oeuvres litigieuses ;

Et attendu que le fait allégué, visé à la dernière branche, étant en raison même de sa date, sans incidence sur le caractère de la possession d'Erich K..., cette branche est inopérante ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et, sur le quatrième moyen, pris en ses cinq branches :

Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'a fait, alors, selon le moyen, que, d'une part, elle a constaté que certains biens n'étaient pas revendiqués par M. M... tandis que la preuve de la propriété d'Erich K... était rapportée pour d'autres, et qu'elle a ainsi entaché sa décision d'une contradiction de motifs ; alors que, d'autre part, en décidant qu'il "devait être considéré" que les oeuvres revendiquées par M. M... provenaient de la succession d'Ambroise N... au seul prétexte que la possession d'Erich K... était équivoque ou que la preuve de sa propriété n'était pas rapportée, la cour d'appel a violé l'article 2279 du Code civil ; alors que, en outre, la cour d'appel qui a présumé le droit de propriété de M. M... a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du Code civil ; alors, qu'au surplus, en se bornant à rechercher si la preuve de la propriété des consorts G... était rapportée pour les quinze lots qu'elle a examinés sans vérifier la propriété des autres lots mis sous séquestre dont les consorts G... réclamaient également l'attribution comme relevant de la succession d'Erich K..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2279 du Code civil ; alors qu'aux termes de ses conclusions d'appel du 23 décembre 1993, M. M... avait également inclus parmi les oeuvres dont il ne revendiquait pas la propriété, les livres lots 1, 4 et 6 -qui avaient été personnellement dédicacés à Erich L... ainsi que les photographies composant le lot 88 représentant Erich K... en compagnie de Blaise Z... et Marc A..., et qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que le grief de contradiction de motifs n'est recevable que si la contradiction alléguée existe entre des motifs de fait ; que ne constituent pas de tels motifs ceux par lesquels la cour d'appel justifie que certaines oeuvres doivent être considérées comme ayant été la propriété d'Erich K... ;

Attendu, sur les deuxième, troisième, et quatrième branches, que le bien-fondé de l'action de M. M... au cas où la possession de M. K... serait jugée équivoque n'a pas été contesté devant les juges du fond ; que ces branches, qui ne tendent qu'à introduire une telle contestation, sont mélangées de fait et de droit, et, partant, irrecevables ;

Et attendu que la cinquième branche, qui reproche à l'arrêt d'avoir accordé à M. M... plus qu'il ne demandait, est irrecevable par application des dispositions des articles 463 et 464 du nouveau Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mmes G..., C..., M. D..., Mme Anath Y... et M. Yaron Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne Mmes G..., C..., M. D..., Mme Anath Y... et M. Yaron Y..., in solidum, à payer à M. M... la somme de 20 000 francs ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 96-18258
Date de la décision : 13/10/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

(Sur le 3° moyen) PROPRIETE - Preuve - Oeuvres d'art - Dépôt dans un coffre de banque (non).


Références :

Code civil 2279

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens (1re et 2e chambres civiles réunies), 17 juin 1996


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 13 oct. 1998, pourvoi n°96-18258


Composition du Tribunal
Président : Président : M. LEMONTEY

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:96.18258
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