AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société Air Liberté, société anonyme, dont le siège est ... des Halles, 94656 Rungis Cedex,
en cassation d'un jugement rendu le 7 octobre 1997 par le tribunal d'instance de Villejuif, au profit :
1 / du syndicat national du transport aérien CFDT - Fédération générale des transports et de l'équipement, dont le siège est ...,
2 / de M. Gilles Y..., demeurant ...,
3 / de M. Geoffroy X..., demeurant ...,
défendeurs à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 10 juin 1998, où étaient présents : M. Boubli, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Bouret, conseiller rapporteur, M. Ransac, conseiller, Mmes Pams-Tatu, Barberot, conseillers référendaires, M. Martin, avocat général, Mlle Lambert, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Bouret, conseiller, les observations de la SCP Delaporte et Briard, avocat de la société Air Liberté, de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat du syndicat national du transport aérien CFDT-Fédération générale des transports et de l'équipement et de MM. Y... et X..., les conclusions de M. Martin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu qu'après la prise en location-gérance, le 1er avril 1997, de la compagnie TAT European airlines par la société Air Liberté, le syndicat national CFDT du transport aérien a désigné le 26 juin 1997, M. Y... comme délégué syndical de l'établissement de Tours et comme délégué syndical central, et M. X... comme troisième délégué pour l'ensemble de l'entreprise hors l'établissement de Tours ;
Attendu que la compagnie Air Liberté fait grief au jugement attaqué (tribunal d'instance de Villejuif, 7 octobre 1997), d'avoir constaté l'existence d'un établissement de la compagnie situé à Tours, et d'avoir rejeté sa demande d'annulation de la désignation de MM. X... et Y..., alors, selon le moyen, d'une part, que la reconnaissance d'un établissement distinct doit être appréciée à la date de la requête introductive d'instance, peu important la situation passée ; que dès lors, en retenant les différences de fond ayant existé entre "les deux entreprises, issues de deux cultures aériennes éloignées, ayant développé par le passé des politiques spécifiques ayant occasionné des contraintes pour le personnel et des conditions de travail différentes", pour retenir la qualité d'établissement distinct de Tours, le Tribunal, qui s'est référé aux situations antérieures de chaque entreprise et non à celle existant au moment de la désignation, par suite de la mise en location-gérance de la TAT European airlines, a violé l'article L. 412-11 du Code du travail ; alors, d'autre part, que la reconnaissance d'un établissement distinct s'appréciant à la date de la requête introductive d'instance, peu importe la situation passée ou à venir de l'entreprise, seule celle présente, même purement temporaire, étant à examiner ; que dès lors, en retenant le caractère provisoire de la situation de l'ex TAT European airlines et d'Air Liberté, résultant de la location-gérance pour retenir la qualité d'établissement distinct du centre de Tours, le Tribunal a violé l'article L. 412-11 du Code du travail ; alors en outre, que pour pour la désignation d'un délégué syndical l'établissement distinct se définit comme un groupe de salariés, ayant des intérêts communs et travaillant sous une direction unique ; que dès lors, en relevant exclusivement des éléments ayant disparu, comme les cultures aériennes des anciennes structures et le caractère provisoire de la location-gérance, pour retenir l'existence de l'établissement distinct de Tours, sans caractériser d'éléments démontrant l'existence actuelle d'un groupe de salariés ayant des intérêts communs, le Tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'articIe L. 412-Il du Code du travail ; alors au surplus, que pour la désignation d'un délégué syndical, l'établissement distinct, définit comme un groupe de salariés ayant des intérêts communs, suppose qu'il existe sur place des représentants de l'employeur qualifiés, pour recevoir les réclamations et habilités à y répondre partiellement ; que dès lors, en constatant que le centre de Tours apparaissait largement concerné par le projet de restructuration mené par Air Liberté, d'où il résultait que les interlocuteurs utiles des délégués syndicaux se trouvaient à Rungis, au siège d'Air Liberté et non à Tours, et en décidant néanmoins que la nouvelle organisation justifiait la reconnaissance de l'établissement distinct de Tours, le Tribunal n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et ainsi violé l'article L. 412-11 du Code du travail ; alors, par ailleurs, qu'en déclarant que le centre de Tours disposait d'une autonomie décisionnelle révélée par l'existence de services importants, dont la liste était citée, sans préciser leur caractéristiques et leur importance par rapport à ceux établis ou transférés à Rungis, siège de Air Liberté, qui regroupait la direction des secteurs capitaux
-commercial, administratif, marketing, exploitation, programmes, passagers et bien sûr ressources humaines, laissant à Tours des services techniques secondaires paie, comptabilité, assurances, gestion des ressources immobilières - étrangers à la politique et à tout pouvoir décisionnels de l'entreprise, le Tribunal a entaché sa décision d'un manque de base légale au regard de l'article L. 412-11 du Code du travail ; alors enfin, qu'en retenant l'existence d'un établissement distinct à Tours sans s'expliquer sur le découpage, ainsi pris en compte qui se traduisait par l'existence d'un établissement sur le site de Tours, et d'un établissement pour l'ensemble de l'entreprise hors Tours, lequel ne correspondait pas à l'organisation de la nouvelle compagnie, le Tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 412-11 du Code du travail ;
Mais attendu que le juge du fond a constaté qu'à la date de la requête introductive les personnels du centre de Tours, centre distinct et éloigné géographiquement du siège social, constituaient un groupe de salariés numériquement important ayant des intérêts communs ; qu'ayant relevé la présence sur place d'un représentant de l'employeur qualifié pour recevoir les réclamations et revendications et transmettre celles auxquelles il ne pourrait donner suite, il a pu décider que, indépendamment de l'organisation de la nouvelle compagnie, le centre de Tours constituait un établissement distinct pour la désignation des délégués syndicaux ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.