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02/07/1998 | FRANCE | N°97-83287

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 02 juillet 1998, 97-83287


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le deux juillet mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller GRAPINET, les observations de la société civile professionnelle Jean-Pierre GHESTIN et la société civile professionnelle RICHARD et MANDELKERN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GERONIMI ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- L'ASSOCIATION NATIONALE DE PROTECTION DES EAUX ET RIVIERES,>
- L'ASSOCIATION "LA COMMISSION DE PROTECTION DES EAUX DE FRANCHE-COMTE",

- L'ASS...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le deux juillet mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller GRAPINET, les observations de la société civile professionnelle Jean-Pierre GHESTIN et la société civile professionnelle RICHARD et MANDELKERN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GERONIMI ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- L'ASSOCIATION NATIONALE DE PROTECTION DES EAUX ET RIVIERES,

- L'ASSOCIATION "LA COMMISSION DE PROTECTION DES EAUX DE FRANCHE-COMTE",

- L'ASSOCIATION "CONCORDE DU DOUBS",

- LA FEDERATION DE PECHE ET DE PROTECTION DU MILIEU AQUATIQUE, parties civiles, contre l'arrêt n° 361 de la cour d'appel de BESANCON, chambre correctionnelle, en date du 22 mai 1997, qui, après relaxe des prévenus Pierre-François A..., Yves X... et Martinus Y... du chef de pollution de cours d'eau, les a déboutées de leurs demandes d'indemnisation ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi de "l'Association nationale de protection des eaux et rivières" et celui de l'association "La commission de protection des eaux de Franche-Comté" :

Attendu que ces deux parties civiles n'ont produit aucun moyen au soutien de leur pourvoi ;

II - Sur le pourvoi de l'association "La Concorde du Doubs" et de la Fédération de pêche et de protection du milieu aquatique :

Vu le mémoire ampliatif commun aux deux demanderesses et le mémoire en défense produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 231-3, L. 231-6, L. 231-7 et L. 232-2 du Code rural, de l'article 222 de la loi du 3 janvier 1992, de l'article 121-3 du nouveau Code pénal, de l'article 11 bis de la loi du 13 juillet 1983 et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ; "en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Pierre-François B... et Yves X... des fins de la poursuite et a, en conséquence, débouté l'association "La Concorde du Doubs" et la "Fédération de pêche et de protection du milieu aquatique" de leur action civile ;

"aux motifs que les constatations opérées selon procès-verbal par les gardes-pêche assermentés et commissionnés font preuve des faits matériels relatifs aux infractions constatées et, selon l'article L. 237-4 du Code rural, jusqu'à inscription de faux;

que Pierre-François B... et Yves X... avaient pour mission la mise en oeuvre du marché qui stipulait que les matériaux dragués devaient être déchargés sur des lieux de dépôt terrestres et éventuellement clapés en rivière;

qu'il n'est pas établi l'impossibilité matérielle du déchargement des boues et sédiments dans un dépôt terrestre alors que le clapage en rivière n'était qu'une éventualité secondaire;

que le fait de déposer les boues et sédiments sur le talus du canal proche de la rivière, éléments qui se sont écoulés dans la rivière, pour former presqu'îles et colmatages, ne saurait s'analyser en un dépôt terrestre ou en un clapage en rivière;

que le dépôt sur le talus étroit devait inévitablement s'écouler dans la rivière proche;

que Pierre-François B..., qui dirigeait, coordonnait et surveillait les travaux et Yves X..., qui assurait la surveillance sur le site, devaient respecter les termes du marché et éviter les risques de pollution;

que cette violation des dispositions du marché, en connaissance de cause, caractérise bien la faute d'imprudence ou de négligence exigée (arrêt attaqué p. 11, alinéa 5, p. 12, alinéa 2 à 6);

que la faute d'imprudence doit être écartée lorsque l'auteur des faits justifie d'une cause d'irresponsabilité dans l'accomplissement des diligences normales, c'est-à-dire celles adéquates que sa situation lui permettait de concevoir et de mettre en oeuvre pour prévenir les dommages;

que l'article 11 bis de la loi du 13 juillet 1993 portant droits et obligations des fonctionnaires énonce que les fonctionnaires et les agents non titulaires de droit public ne peuvent être condamnés pour des faits non intentionnels, commis dans l'exercice de leurs fonctions, que s'il est établi qu'ils n'ont pas accompli les diligences normales compte tenu de leur compétence, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient ;

qu'Yves X... et Pierre-François B..., fonctionnaires de l'Etat mis à la disposition des "Voies navigables de France", n'ont pas participé à l'établissement du marché en cause, étant chargés de son application sans disposer des moyens financiers propres à cette réalisation;

que l'avis du Conseil supérieur de la pêche, dont les prévenus avaient connaissance, s'adressait à leur autorité de tutelle ;

que les "Voies navigables de France" n'ont formulé aucune observation, laissant ses employés sans directive et sans moyens financiers;

qu'ainsi, Pierre-François B... et Yves X... ont accompli les diligences normales que leur autorité de tutelle leur imposait, compte tenu du seul pouvoir de réalisation et des moyens insuffisants dont ils disposaient, n'ayant pas l'autorité suffisante pour opter pour une solution technique plus adaptée et permettant d'éviter la pollution;

que la cour d'appel déboute les parties civiles au regard de la décision de relaxe des prévenus (arrêt attaqué p. 13, alinéa 6, p. 14 à 16, alinéa 1, 2) ;

1°)"alors que les fonctionnaires et agent non titulaires de droit public peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de l'article 121-3 du nouveau Code pénal pour des faits non intentionnels commis dans l'exercice de leurs fonctions s'il est établi qu'ils n'ont pas accompli les diligences normales, compte tenu de leur compétence, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient;

que la cour d'appel, qui relevait que Pierre-François B... et Yves X... avaient sciemment violé les dispositions du marché en connaissance de l'écoulement inévitable des boues et sédiments dans la rivière et des risques de pollution qui en résultaient et dont ils avaient été préalablement informés par l'avis du Conseil supérieur de la pêche, ne pouvait pas faire application des dispositions de l'article 11 bis A de la loi du 13 juillet 1983, dont le bénéfice est réservé aux faits non intentionnels commis par des fonctionnaires et agents non titulaires de l'Etat dans l'exercice de leurs fonctions, sans violer les textes susvisés ;

2°)"alors que l'arrêt attaqué a relevé qu'Yves X... et Pierre-François B... avaient commis une "violation des dispositions du marché en connaissance de cause" en déposant les boues et sédiments provenant du dragage du canal sur un étroit talus où ils devaient "inévitablement s'écouler dans la rivière proche, et cet élément ne pouvait être ignoré par les techniciens avertis que sont Pierre-François B... et Yves X...";

qu'il en résultait que ces deux prévenus n'avaient pas accompli les diligences normales compte tenu de leurs compétences, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient;

qu'en énonçant néanmoins qu'ils ont accompli les diligences normales que leur autorité de tutelle, les "Voies navigables de France", leur imposait, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qui en résultaient, en violation des textes susvisés ;

3°)"alors qu'il ne résulte ni des pièces du dossier ni des termes de l'arrêt attaqué relatant les moyens de défense de Pierre-François B... et Yves X..., que ceux-ci auraient fait état ou justifié de l'insuffisance de moyens matériels et financiers nécessaires pour réaliser la mission qui leur était confiée dans des conditions techniques permettant d'éviter la pollution de la rivière ;

qu'en relevant que les prévenus n'avaient "pas l'autorité suffisante pour agir différemment et les moyens financiers pour opter pour une solution technique plus adaptée à la réalisation de travaux permettant d'éviter les actes de pollution, sans préciser l'origine de cette constatation, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

4°)"alors que l'insuffisance de moyens ne peut être invoquée par le fonctionnaire ou l'agent non titulaire de l'Etat pour échapper à la responsabilité pénale encourue du fait de la faute d'imprudence ou de négligence qu'il a commise que si les faits reprochés sont restés dans le cadre de "diligences normales";

que l'arrêt attaqué constate que l'impossibilité matérielle du déchargement des boues et sédiments dans un dépôt terrestre n'a pas été établie et que les prévenus ont agi sans directives de leur autorité de tutelle ;

qu'en omettant de rechercher en quoi le fait pour les prévenus, qui étaient informés des risques de pollution, de s'être abstenus de suspendre les opérations litigieuses, dans l'attente d'instructions précises de leur autorité de tutelle ou de mise en place de moyens matériels et financiers nécessaires pour éviter la pollution de la rivière correspondait à des "diligences normales", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé;

que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que les prévenus Pierre-François B..., Yves X..., Martinus Z..., poursuivis notamment du chef de pollution de cours d'eau pour avoir déversé massivement des boues et sédiments extraits du canal du Rhône au Rhin dans la rivière "le Doubs", ont été reconnus coupables par les premiers juges de ce délit et condamnés à des peines d'amende, ainsi qu'à des dommages et intérêts envers les associations constituées parties civiles, le tribunal ayant, en outre, ordonné des mesures de confiscation ;

Attendu que, sur l'appel de Pierre-François B... et Martinus Y..., du ministère public et de trois parties civiles, la cour d'appel, après avoir constaté la matérialité des faits de pollution poursuivis, réalisés par le déversement délibéré "d'environ 7 000 mètres cubes de boues et sédiments dans le Doubs", "ayant provoqué nécessairement la mort d'espèces de poissons vivant sous les pierres et celle de petits crustacés d'eau douce" et "une perturbation polluante néfaste à la vie piscicole", en violation des dispositions du marché de travaux publics - qui prévoyait, à titre principal, une évacuation de ces matériaux sur des dépôts terrestres, et, éventuellement, un "clapage"en rivière -, a relevé que les trois condamnés appelants avaient ainsi commis la "faute d'imprudence ou de négligence" exigée pour la constitution du délit de pollution de cours d'eau ;

Attendu que pour les déclarer néanmoins non coupables de ce délit, en l'état des dispositions de l'article 11 bis A de la loi du 13 juillet 1993 (portant droits et obligations des fonctionnaires, la cour d'appel ajoute qu'Yves X... et Pierre-François B..., qui n'avaient reçu "aucunes observations ou directives de leur autorité de tutelle" et ne disposaient que de "moyens matériels et financiers insuffisants", avaient accompli les diligences normales imposées par leur employeur les "Voies navigables de France" ;

Mais attendu qu'en l'état de ces motifs - insusceptibles, d'ailleurs, de s'appliquer à Martinus Y..., qui n'a pas la qualité de fonctionnaire et pour lequel l'arrêt attaqué n'est pas motivé -, la cour d'appel, qui ne pouvait, sans se contredire, affirmer que les prévenus avaient accompli les diligences normales qui leur incombaient, compte tenu des moyens insuffisants dont ils disposaient, alors qu'il résultait de ses constatations que ces derniers, dûment informés des conséquences de la technique utilisée, avaient agi "en connaissance de cause", et ainsi commis une faute professionnelle délibérée, insusceptible d'entrer dans les prévisions de l'article 121-3 du Code pénal ou dans celles de l'article 11 bis A de la loi modifiée du 13 juillet 1983, n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Qu'il s'ensuit que la cassation est encourue;

que, toutefois, les parties civiles étant seules demanderesses au pourvoi, elle n'aura d'effet qu'au regard de l'action civile ;

Par ces motifs,

I - Sur les pourvois de l'association nationale de protection des eaux et rivières et de "La commission de protection des eaux de Franche-Comté" :

Les REJETTE ;

II - Sur les pourvois de l'association "Concorde du Doubs" et de la Fédération de pêche et de protection du milieu aquatique :

CASSE et ANNULE l'arrêt n° 361 de la cour d'appel de Besançon, en date du 22 mai 1997, mais en ses seules dispositions civiles ;

Et, pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Dijon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Besançon, sa mention en marge où à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Schumacher conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Grapinet conseiller rapporteur, MM. Aldebert, Challe, Roger conseillers de la chambre, Mme de la Lance conseiller référendaire ;

Avocat général : M. Géronimi ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 97-83287
Date de la décision : 02/07/1998
Sens de l'arrêt : Cassation rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PROTECTION DE LA NATURE ET DE L'ENVIRONNEMENT - Pollutions - Pollution de cours d'eau - Faute - Fonctionnaires - Défaut d'accomplissement des diligences normales.


Références :

Code pénal 121-3
Loi du 13 juillet 1983 art. 11 bis A modifiée

Décision attaquée : Cour d'appel de Besançon, chambre correctionnelle, 22 mai 1997


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 02 jui. 1998, pourvoi n°97-83287


Composition du Tribunal
Président : Président : M. SCHUMACHER conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:97.83287
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