AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Jacques X..., demeurant ..., 91360 Epinay-sur-Orge, en cassation d'un arrêt rendu le 2 mars 1995 par la cour d'appel de Paris (21e chambre), au profit de la société ERCA, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
LA COUR, en l'audience publique du 1er avril 1998, où étaient présents : M. Boubli, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, Mme Pams-Tatu, conseiller référendaire rapporteur, MM. Ransac, Bouret, conseillers, Mme Barberot, conseiller référendaire, M. Terrail, avocat général, Mlle Lambert, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Pams-Tatu, conseiller référendaire, les observations de Me Cossa, avocat de M. X..., de la SCP Vier et Barthélémy, avocat de la société ERCA, les conclusions de M. Terrail, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique :
Attendu que M. X..., chargé de la direction technico-commerciale de la société ERCA, a refusé l'extension de son activité commerciale et pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 27 novembre 1992;
que la société lui a répondu par lettre du 7 décembre 1992 ;
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 2 mars 1995), de l'avoir débouté de sa demande d'indemnité de rupture, alors, selon le moyen, de première part, que les juges du fond ne peuvent conclure au caractère non substantiel d'une modification du contrat de travail que par une appréciation spécialement motivée;
qu'il s'ensuit, qu'en se bornant à relever que "les pièces qui sont produites par les parties et les explications fournies à l'audience ne permettent pas d'établir que le contrat de travail souscrit par M. X... ait fait l'objet d'une modification substantielle", sans faire état d'éléments de fait de nature à corroborer de telles affirmations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil et L. 122-4 du Code du travail;
alors, de deuxième part, qu'à défaut de volonté claire et non équivoque de la part du salarié de démissionner, laquelle ne saurait résulter de son refus d'accepter une modification non substantielle de ses conditions de travail, le fait par l'employeur de prendre acte de la rupture résultant de ce refus s'analyse en un licenciement;
que, dès lors, en retenant, pour statuer comme ils l'ont fait, qu'en refusant de poursuivre l'exécution de son contrat de travail, M. X... avait commis un manquement à ses obligations contractuelles, et en ajoutant immédiatement après que, faute par la société ERCA d'avoir mis en oeuvre la procédure de licenciement, il devait être considéré comme démissionnaire, les juges d'appel n'ont pas tiré les conséquences légales qui découlaient de leurs propres constatations, et ont violé les articles L. 122-4 et L. 122-5 du Code du travail;
alors, de troisième part, qu'une démission ne peut résulter que d'une manifestation non équivoque de volonté de la part du salarié;
qu'il s'ensuit qu'en déclarant que la lettre adressée par M. X... à son employeur le 27 novembre 1992 traduisait de la part de celui-ci un refus de continuer à exercer son activité et une volonté manifeste de se démettre de ses fonctions, alors que le salarié se bornait à y indiquer qu'il était contraint, à son grand regret, de constater la rupture de son contrat de travail du fait de la société ERCA en raison des modifications, selon lui substantielles, qu'elle entendait y apporter, la cour d'appel a dénaturé ce document et violé l'article 1134 du Code civil;
alors, de quatrième part, que la démission ne se présume pas et ne peut résulter que de la volonté claire et non équivoque du salarié de mettre fin au contrat de travail;
que, dès lors, en s'abstenant de rechercher si la lettre que M. X... avait adressée à la société ERCA en réponse à celle que cette dernière lui avait transmise la veille afin de lui notifier qu'elle prenait acte de sa prétendue démission, et dans laquelle il contestait catégoriquement avoir eu l'intention de quitter l'entreprise, n'était pas de nature à démontrer le caractère équivoque de la démission alléguée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles L. 122-4 et L.122-5 du Code du travail, ainsi que de l'article 1134 du Code civil;
alors, de cinquième part, que la précipitation de l'employeur à prendre acte de la démission du salarié donne à celle-ci un caractère équivoque;
que, dès lors, en se déterminant comme elle l'a fait, sans cependant rechercher si le fait que la société ERCA ait adressé, dès le 7 décembre 1992, au salarié, une lettre afin de l'informer qu'elle assimilait à une démission son refus exprimé dans un courrier du 27 novembre précédent d'accepter les nouvelles conditions de travail qui lui avaient été proposées n'établissait pas l'absence d'intention de ce dernier de quitter l'entreprise, la cour d'appel a, à nouveau, privé sa décision de base légale au regard de ces mêmes textes ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que le salarié n'avait pas été licencié, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.