AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-huit mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CHALLE, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- B... Pierre, contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS de la REUNION, chambre correctionnelle, en date du 6 mars 1997, qui, pour complicité de soustraction et de destruction de pièces par un dépositaire public, l'a condamné à 12 mois d'emprisonnement dont 10 mois avec sursis, et 2 ans de privation des droits civiques ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble violation des droits de la défense ;
"en ce qu'il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion comprenait au nombre des magistrats la composant, MM. X... et A... comme conseillers assesseurs ;
"alors que ces deux magistrats étaient intervenus avec les mêmes qualités dans la même affaire comme membres de la cour d'appel de Saint-Denis, statuant en matière correctionnelle, par arrêt daté du 14 janvier 1997, qui avait affirmé la légalité du titre de détention et rejeté la requête de mise en liberté en énonçant que le jugement de condamnation du tribunal correctionnel de Saint-Pierre, intervenu le 4 août 1995, avait été rendu contradictoirement à signifier à l'égard du prévenu;
qu'ayant ainsi connu de la question du respect du principe du double degré de juridiction à l'occasion de l'examen d'une demande de mise en liberté, aucun des deux conseillers ne pouvait légalement participer au jugement et statuer sur le caractère ou non contradictoire de la décision frappée d'appel" ;
Attendu que le prévenu ne saurait se faire un grief de ce que deux magistrats composant la cour d'appel aient fait partie de la même juridiction ayant rejeté une demande de mise en liberté ;
Que, dès lors, le moyen est inopérant ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 107, 179, 591 et 593 du Code de procédure pénale, atteinte aux droits de la défense, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a refusé de prononcer la nullité de l'ordonnance de renvoi prétendument datée du 23 décembre 1994 et de la procédure subséquente ;
"aux motifs que le défaut d'approbation régulière d'une surcharge manuscrite n'est, au vu de l'article 107 du Code de procédure pénale, une cause de nullité qu'autant qu'elle est de nature à créer une incertitude à l'égard de l'acte de procédure concerné;
que tel n'est pas le cas en l'espèce, le juge d'instruction, confirmé par son greffier, ayant déclaré avoir signé l'ordonnance de renvoi le 23 décembre 1994 et, par ailleurs, notifié ladite ordonnance comportant cette date aux parties dans les formes légales le même jour ;
"alors que seule une mention approbative faite par le juge d'instruction en marge des ratures et des renvois effectués sur l'ordonnance de règlement et réalisée concomitamment à la rédaction de cet acte permet de valider les mentions substantielles erronées telles que la date;
que les déclarations du juge d'instruction postérieures à la rédaction de l'ordonnance sont dépourvues d'effet et ne permettent pas de suppléer l'irrégularité substantielle de l'article 107 du Code de procédure pénale de sorte qu'en statuant ainsi, les juges d'appel ont violé les textes susvisés" ;
Attendu que le prévenu a soulevé la nullité de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, en soutenant qu'elle avait été rendue le 21 décembre 1994, cette date ayant été surchargée et remplacée par celle du 23 décembre, sans que cette surcharge ait été approuvée;
qu'il a soutenu que le mandat d'arrêt, décerné à son encontre par le juge d'instruction le 23 décembre 1994, était ainsi postérieur à l'ordonnance de renvoi ;
Attendu que, pour écarter cette exception, la cour d'appel retient que l'ordonnance est datée du 23 décembre 1994, que cette date est lisible, que le juge d'instruction et son greffier ont tous deux déclaré que l'ordonnance de renvoi a été signée à cette date;
que l'arrêt énonce aussi que le défaut d'approbation d'une surcharge, qui n'a, en l'espèce, créé aucune incertitude sur la date de l'ordonnance, ne doit pas conduire à son annulation ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'ainsi le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 432-15, 121-6 et 121-7 du Code pénal, article 60 de l'ancien Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Pierre B... coupable de complicité du délit de destruction de pièces commis par un dépositaire public et l'a condamné de ce chef ;
"aux motifs que les déclarations des co-prévenus sont cohérentes sur l'essentiel des faits relatifs à la présence de Pierre B..., le 9 novembre 1991, à l'ouverture des plis dans les locaux de la SIVOMR, après qu'il ait donné, selon Jean-François Z..., dans ses déclarations datées du 30 mars 1993, des "ordres" à Alain Y... pour sortir les enveloppes d'appel d'offres, ce qui caractérise l'élément de complicité par instructions données au sens de l'article 60 de l'ancien Code pénal et de l'article 121-7 nouveau ;
que ces déclarations ont été réitérées et corroborées par des éléments matériels, tels que l'achat par Jean-François Z... de plats préparés pour le repas pris en fin de matinée dans ces lieux par les auteurs des faits ;
"alors que la fourniture d'instructions n'est constitutive de complicité que lorsque celles-ci sont suffisamment précises et caractérisées par des éléments concrets permettant d'établir la participation volontaire du prévenu;
que le fait que des plats préparés aient été achetés le jour supposé de l'ouverture de plis scellés est insuffisant pour corroborer l'affirmation selon laquelle Pierre B... aurait donné l'ordre à Alain Y... d'ouvrir lesdits plis;
que, dès lors, l'arrêt attaqué, qui se borne à relever la déclaration d'un co-prévenu sans autrement la conforter par des éléments concrets et précis et qui ne relève l'existence d'aucune instruction caractérisée, n'est pas légalement justifié" ;
Attendu que, pour déclarer Pierre B... coupable de complicité de destruction et de soustraction de pièces par un dépositaire public, la cour d'appel énonce qu'il a, en sa qualité de maire de la commune du Port, donné des instructions à un fonctionnaire relevant de son autorité, Alain Y..., attaché territorial chargé des marchés publics, d'ouvrir secrètement les plis scellés contenant les appels d'offre en vue de l'obtention d'un marché public, de communiquer les offres des entreprises concurrentes à des représentants de la société Dumez, puis de refermer les plis, ladite société ayant ainsi, en déposant une nouvelle offre moins disante, obtenu l'attribution du marché en cause ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Gomez président, M. Challe conseiller rapporteur, MM. Schumacher, Martin, Pibouleau, Roger conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme de la Lance, M. Soulard conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Amiel ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;