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07/04/1998 | FRANCE | N°96-13052

France | France, Cour de cassation, Chambre commerciale, 07 avril 1998, 96-13052


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la Banque française de L'Orient, société anonyme, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 19 janvier 1996 par la cour d'appel de Paris (3e Chambre, Section B), au profit de M. François X..., pris en qualité de mandataire liquidateur de la société à responsabilité limitée Comptoir général métallurgique et inoxydable "COGEMI", demeurant ..., défenderesse à la cassation ;

M. X..., ès qualités, dÃ

©fendeur au pourvoi principal, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la Banque française de L'Orient, société anonyme, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 19 janvier 1996 par la cour d'appel de Paris (3e Chambre, Section B), au profit de M. François X..., pris en qualité de mandataire liquidateur de la société à responsabilité limitée Comptoir général métallurgique et inoxydable "COGEMI", demeurant ..., défenderesse à la cassation ;

M. X..., ès qualités, défendeur au pourvoi principal, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 24 février 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Dumas, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Dumas, conseiller, les observations de la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat de la Banque française de L'Orient, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de M. X..., ès qualités, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt critiqué (Paris, 19 janvier 1996), que la société Comptoir Métallurgique et Inoxydable (la COGEMI) a été déclarée en redressement judiciaire le 2 décembre 1991 et mise en liquidation judiciaire le 6 avril 1992, M. François X... étant nommé liquidateur;

que celui-ci a assigné la Banque française de l'Orient (la BFO) en responsabilité civile, en lui reprochant d'avoir, par l'octroi de crédits abusifs, maintenu la COGEMI artificiellement en activité, créant ainsi une apparence de solvabilité pour les tiers en relation avec elle et concourant à l'aggravation de son passif, et en demandant qu'elle soit condamnée à lui verser une certaine somme à titre provisionnel ;

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches, du pourvoi principal :

Attendu que la BFO fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de sursis à statuer formulée dans l'attente de l'issue de la procédure pénale visant les fraudes effectuées dans la gestion de la société COGEMI, alors, selon le pourvoi, d'une part, que la question de savoir si, comme le dénonçait la plainte pénale, les opérations commerciales ayant donné lieu à des effets tirés sur la société Y... Robert avaient une réalité ou étaient le fruit d'une fraude ourdie par les dirigeants des sociétés tireuse et tirée à son préjudice, commandait nécessairement celle de savoir si l'octroi des crédits par escompte desdits effets et même des crédits exceptionnels destinés à leur amortissement, après qu'il soient revenus impayés était le fruit d'une négligence imputable à elle ou d'une escroquerie commise à son préjudice;

qu'en refusant de surseoir à statuer sous prétexte que cette circonstance était indifférente à l'issue de l'instance pendante sur la responsabilité pour octroi de crédit abusif, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 4 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 1382 du Code civil;

alors, d'autre part, qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la plainte avec constitution de partie civile par elle déposée vise les agissements frauduleux qui seraient imputables notamment aux dirigeants de COGEMI;

qu'il résulte aussi de la copie de cette plainte qu'elle a relevé un ensemble d'agissements, ne se limitant pas aux seuls effets tirés sur la société Y... Robert, auxquels s'étaient livrés les dirigeants de COGEMI;

que ces éléments induisent que l'issue de la procédure pénale est de nature à fixer le rôle et la portée des fautes commises par les dirigeants de COGEMI dans la déroute de cette société tout autant que l'incidence de ces fautes sur le préjudice subi par la même société et par ses créanciers;

qu'en écartant toute incidence sur le présent litige d'une éventuelle réalité des faits dénoncés dans la plainte pénale sous prétexte que ces faits auraient été commis à son seul préjudice, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile;

alors, en outre, que, dans le même ordre d'idées, dans sa plainte avec constitution de partie civile, elle relève un ensemble d'agissements auxquels s'étaient livrés les dirigeants de COGEMI, ne se limitant pas aux seuls effets tirés par la société Y... Robert;

qu'en énonçant que "les faits dénoncés dans cette plainte sont relatifs à l'escompte d'effets tirés sur la société Y... Robert et revenus impayés ainsi qu'au crédit exceptionnel de 2,28 MF consenti par la banque pour l'amortissement à hauteur de 70 % de ces effets", la cour d'appel a dénaturé la copie de la plainte, violant ainsi l'article 1134 du Code civil;

alors, enfin, que la cour d'appel relève, à la fois, que la faute qui lui est reprochée consiste en son soutien abusif de l'activité artificiellement maintenue de COGEMI, que sur un passif de 24,5 MF sa créance de 12,15 MF est contestée et qu'il n'était pas démontré que les créances déclarées par les autres créanciers seraient la conséquence directe de sa faute;

qu'elle relève aussi que les créances déclarées par les autres créanciers, proposées à l'admission, est de 7,9 MF, et la condamne au paiement de cette somme à titre de dommages-intérêts provisionnels, estimant qu'elle doit réparation à hauteur de sa déclaration au passif, soit 12,15 MF, ce qui équivaut au montant global des créances déclarées par les autres créanciers;

qu'en procédant ainsi, la cour d'appel la condamne à réparer un préjudice dont l'instance pénale est de nature à démontrer qu'il peut être dû aux agissements frauduleux des dirigeants sociaux;

qu'en énonçant, dans ces conditions, que "l'issue de la procédure pénale ne peut nullement influer sur la solution du présent litige", la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 4 du Code de procédure pénale et 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'en retenant que, dans l'hypothèse où l'instruction pénale établirait la réalité des faits dénoncés, commis par les dirigeants de la COGEMI, voire par ceux des Y... Robert, au préjudice de la banque, cette circonstance serait sans incidence sur la réalité des négligences ou irrégularités qui pourraient être reprochées à la banque elle-même à l'occasion de l'octroi des crédits par escompte des effets ou du crédit exceptionnel destiné à leur amortissement, et que l'issue de la procédure pénale ne peut donc nullement influer sur la solution du présent litige, l'arrêt n'encourt pas les griefs contenus dans les première et quatrième branches du moyen ;

Attendu, en second lieu, que dès lors que l'objet du litige, fixé par l'acte introductif d'instance était de déterminer si la BFO avait ou non soutenu une entreprise dont elle connaissait la situation irrémédiablement compromise, la cour d'appel ne l'a pas méconnu en retenant qu'il importait peu de savoir si cette situation était due au fait des anciens dirigeants de la société COGEMI, ce qui rend vain le grief contenu dans la deuxième branche du moyen et inopérant celui de la troisième branche ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen, pris en ses cinq branches, du pourvoi principal ;

Attendu que la BFO reproche encore à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. X..., ès qualités, la somme de 7 945 044,88 francs, à titre de dommages-intérêts provisionnels, dans l'attente de la production de l'état définitivement arrêté du passif vérifié et de la fixation définitive de l'insuffisance d'actif, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'après avoir relevé que la faute qui lui est reprochée consiste en son soutien abusif de l'activité artificiellement maintenue de COGEMI, la cour d'appel constate à la fois que la créance de 12 150 949,69 francs déclarée par elle est contestée et qu'il n'était pas démontré que les créances déclarées par les autres créanciers seraient la "conséquence directe" de sa faute;

qu'en retenant néanmoins sa responsabilité pour la condamner au paiement de dommages-intérêts à titre provisionnel de 7 945 044,88 francs, montant des créances déclarées par les autres créanciers et proposées à l'admission, tout en excluant elle-même, en l'état, tout lien de causalité entre sa faute et le préjudice dont la réparation est ordonnée, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil, ensemble les articles 99 et suivants de la loi du 25 janvier 1985;

alors, d'autre part, que, dans le même ordre d'idées, la cour d'appel ne peut, sans entacher sa décision d'une contradiction de motifs et violer l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, à la fois constater que les créances déclarées par les autres créanciers n'étaient pas la conséquence directe de la faute qui lui était reprochée et la condamner à payer à leur profit la somme de 7 945 044,88 francs destinées à être répartie entre ces mêmes autres créanciers;

alors, aussi, et subsidiairement, que l'arrêt constate que sa faute consistant à soutenir d'une manière abusive l'activité artificiellement maintenue de COGEMI se situe dans la période allant du 30 avril 1990 au 30 avril 1991 et qu'en avril 1990 les encours étaient de 7,83 millions de francs pour devenir 11,75 millions de francs au 30 avril 1991;

que l'arrêt ajoute que ses relations antérieures avec COGEMI étaient "normales" tout en relevant à la fois que les créances déclarées par les autres créanciers ne sont pas la conséquence directe de sa faute et que la créance déclarée par elle est contestée dans son intégralité;

qu'en résence de ces constatations, la cour d'appel, qui ordonne la prise en charge totale des déclarations de créances faites par les autres créanciers sans rechercher si ces créances étaient nées antérieurement à ses agissements dommageables à une période où le débiteur était déjà en état de cessation des paiements comme l'arrêt le constate par ailleurs, prive sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du Code civil;

alors, en outre, qu'en fixant le montant de sa condamnation à hauteur de sa propre déclaration de créance, tout en constatant par ailleurs que les créances des autres créanciers n'étaient pas la conséquence directe de sa faute, la cour d'appel, qui était saisie uniquement de la détermination du préjudice consécutif à cette faute, substitue au principe de la réparation de ce préjudice celui de la non-admission de la créance déclarée par elle et qui relève de la compétence exclusive des organes de la procédure collective, violant ainsi les articles 50 à 54 de la loi du 25 janvier 1985;

alors, enfin, que la règle de l'égalité entre les créanciers dans les procédures collectives permet à chaque créancier de déclarer sa créance et de présenter tout moyen de droit de nature à la faire admettre au passif du débiteur;

qu'en la condamnant à réparer le préjudice à hauteur de sa créance déclarée, la cour d'appel l'oblige à ne plus rechercher que sa créance soit admise sous peine de se trouver obligée à verser des sommes supplémentaires qu'elle serait amenée à partager avec les autres créanciers auxquels elle n'a de surcroît causé aucun préjudice;

qu'en procédant ainsi, la cour d'appel a méconnu le principe de l'égalité entre les créanciers et violé les articles 50 et suivants de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que la BFO qui, s'agissant du dommage et du lien de causalité avec la faute qui lui était imputée, se prévalait de la participation d'autres créanciers qu'elle-même dans le financement de la COGEMI et de délits qu'auraient commis les dirigeants de celle-ci, ait soutenu les prétentions contenues dans le moyen;

que celui-ci est donc irrecevable;

que le moyen ne peut donc être accueilli ;

Et sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que M. X..., pris en sa qualité de mandataire-liquidateur de la société COGEMI reproche à l'arrêt d'avoir limité le montant du préjudice collectif subi par l'ensemble des créanciers que doit réparer la BFO au montant de l'insuffisance d'actif qui sera définitivement constatée à hauteur seulement de sa production au passif, et d'avoir, en conséquence, limité la provision qu'il lui a allouée, ès qualités, alors, selon le pourvoi, que la cour d'appel retient que la banque a accordé à la COGEMI de manière inconsidérée mais consciente des crédits excessifs sans rapport avec l'importance de son activité réelle et ses facultés de remboursement créant ainsi aux yeux des tiers une apparence de solvabilité et a accru et maintenu ses concours alors qu'elle savait que la situation de la COGEMI était irrémédiablement compromise;

qu'elle a ainsi contribué à l'aggravation du passif de cette société;

qu'en l'état de ces constatations et énonciations dont il résulte que la banque est responsable du préjudice collectif subi par les créanciers de la COGEMI évalué au montant de l'insuffisance d'actif et qu'elle est dès lors tenue de le réparer intégralement, la cour d'appel, qui a limité le montant du préjudice que devait réparer la banque, au montant de l'insuffisance d'actif à hauteur seulement de sa production au passif, n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui en résultaient et a ainsi violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que le premier juge avait déclaré la BFO responsable de l'aggravation du passif de la société COGEMI jusqu'à concurrence du montant des encours qu'elle avait consentis à celle-ci;

que M. X..., ès qualités a demandé la confirmation du jugement;

qu'ayant obtenu gain de cause en appel, il n'est pas recevable à former un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi principal et déclare irrecevable le pourvoi incident ;

Laisse à chaque partie la charge de ses dépens respectifs ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne la Banque française de L'Orient à payer à M. X..., ès qualités, la somme de 20 000 francs ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept avril mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


Synthèse
Formation : Chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 96-13052
Date de la décision : 07/04/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Commerciale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris (3e Chambre, Section B), 19 janvier 1996


Publications
Proposition de citation : Cass. Com., 07 avr. 1998, pourvoi n°96-13052


Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:96.13052
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