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05/03/1998 | FRANCE | N°96-85876

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 05 mars 1998, 96-85876


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire de la LANCE, les observations de la société civile professionnelle RYZIGER et BOUZIDI et de la société civile professionnelle DEFRENOIS et LEVIS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général le FOYER de COSTIL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- CRESTANI Antoine, contre l'arrêt de la

cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 14 mai 1996, qui l'a con...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq mars mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire de la LANCE, les observations de la société civile professionnelle RYZIGER et BOUZIDI et de la société civile professionnelle DEFRENOIS et LEVIS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général le FOYER de COSTIL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- CRESTANI Antoine, contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, en date du 14 mai 1996, qui l'a condamné, pour abus de confiance, à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 408 du Code pénal, des articles 3, 485, 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la décision attaquée a déclaré Antoine Crestani coupable d'abus de confiance et l'a condamné à 15 mois d'emprisonnement avec sursis ;

"aux motifs que le 6 mai 1992, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Saint-Quentin a reçu une plainte pour abus de confiance contre le Club de Vacances Mondial, ... à Saint-Quentin de la part des époux X... qui s'étaient inscrits pour un voyage au Canada et avaient versé en deux fois 14 304 francs, puis avaient été avertis le 24 avril 1992 de l'annulation de ce voyage;

que, le 6 mai 1992 également, une plainte avait été régularisée par Marie-Claude Y... ;

que le 14 mai 1992, le président du Club Vacances avait déposé le bilan;

que le tribunal de commerce de Saint-Quentin avait prononcé le redressement judiciaire le 18 juin 1992, ainsi que la liquidation judiciaire le même jour. La date de cessation remontant au 14 mai 1992;

que l'enquête ordonnée par le parquet a mis en valeur que l'Association a été constituée le 5 novembre 1990, qu'Antoine Crestani en a été à l'origine puisqu'il a continué en fait le Club de Vacances Modernes de Villerupt, dans les Vosges;

qu'il n'a pas tenu compte des observations du trésorier et d'un membre du conseil d'administration qui préconisaient la cessation d'activités à compter de la rentrée 1991, dès lors que l'Association n'avait pas bénéficié de fonds initiaux;

que d'autres victimes se sont révélées, en particulier le comité de la société Vandamme-La Pie qui Chante pour une somme de 374 158 francs;

qu'Antoine Crestani a tenté d'emprunter 400 000 francs le 28 avril 1992 en vain;

qu'il explique lors de l'enquête qu'il a encaissé le montant du voyage du comité d'entreprise et s'en est servi comme trésorerie et admettra par la suite avoir fait de la "cavalerie financière";

que le tribunal correctionnel de Saint-Quentin, dans son jugement du 2 novembre 1994 a déclaré Antoine Crestani coupable des faits qui lui ont été reprochés;

qu'Antoine Crestani a reçu, entre le mois de décembre 1991 et le mois de mai 1992, diverses sommes des victimes dépassant 410 000 francs, qu'il devait reverser immédiatement aux affréteurs pour que ses clients puissent participer au voyage qu'ils convoitaient au Canada;

qu'il est incontestable que ces sommes lui étaient remises à titre de mandat en vue de payer les voyages considérés;

que les éléments constitutifs du délit sont donc réunis ;

"alors, d'une part, que le délit d'abus de confiance tel qu'il était défini par l'article 408 du Code pénal suppose la remise préalable de sommes au prévenu en vertu d'un des mandats limitativement énumérés par le texte précité;

qu'il résulte tant implicitement tant des motifs de l'arrêt, et explicitement des motifs du jugement confirmé, que les sommes ont, en réalité, été remises à l'association Club de Vacances non à Antoine Crestani de telle sorte que la condition préalable au délit d'abus de confiance n'était pas constituée en l'espèce ;

"alors, d'autre part, et subsidiairement qu'à supposer qu'Antoine Crestani ait reçu les sommes et les ait détournées, il n'aurait pu les détourner qu'au préjudice du Club Vacances, ce qui exclut que les parties civiles aient subi un préjudice prenant directement sa source dans l'infraction et qu'Antoine Crestani ait pu être condamné à des dommages-intérêts envers eux" ;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'Antoine Crestani, président de l'association "Club des Vacances Mondiales", constituée le 5 novembre 1990, sans mise de fonds initiale et en situation déficitaire dès le mois d'avril 1991, a poursuivi seul, à compter de juin 1991, la gestion de l'association en opposition avec l'avis du trésorier et du comptable et que la liquidation judiciaire a été prononcée le 18 juin 1992 ;

Attendu que, pour déclarer Antoine Crestani coupable d'abus de confiance, la cour d'appel retient qu'il a reçu, entre décembre 1991 et mai 1992, diverses sommes de particuliers et de comités d'entreprise pour un montant de plus de 410 000 francs, sommes remises à titre de mandat pour être reversées aux affréteurs en vue des voyages choisis, qu'il les a utilisées sciemment à d'autres buts "pour maintenir artificiellement en survie son club de vacances" admettant lui-même avoir fait de la "cavalerie financière", et que les voyages ont été annulés faute de règlement, sans que les clients puissent être remboursés ;

Qu'en cet état, et dès lors que le dirigeant d'une association, qui intervient par des actes personnels dans la commission d'infractions dont celle-ci aurait été la bénéficiaire, engage sa propre responsabilité, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit retenu, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 509 et 515 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la décision attaquée a porté de 17 500 francs à 19 000 francs les dommages-intérêts alloués respectivement à Marie-Claude Y... et à Marcel X... ;

"aux motifs que Marie-Claude Y... et Marcel X... sont justifiés à solliciter une augmentation des dommages et intérêts arrêtés par les premiers juges dans la mesure où, incontestablement depuis 18 mois, les sommes dues auraient dû produire des intérêts ;

"alors que la décision attaquée ne pouvait, sans violer l'effet dévolutif de l'appel, aggraver le sort d'Antoine Crestani sur l'action civile, sur son seul appel et celui du procureur de la République" ;

Attendu qu'en prononçant par le motif repris au moyen, la cour d'appel n'encourt pas le grief allégué ;

Qu'en effet, selon les dispositions de l'article 515, alinéa 3, du Code de procédure pénale, la partie civile, même non appelante, peut demander un complément de dommages et intérêts pour le préjudice nouveau souffert depuis la décision de première instance et se rattachant directement aux faits mêmes dont il est la conséquence ;

Que, tel étant le cas en l'espèce, le moyen ne peut qu'être écarté ;

Mais, sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 408 du Code pénal, de l'article 1382 du Code civil, de la règle "non bis in idem", contradiction entre les motifs et le dispositif ;

"en ce que la décision attaquée a confirmé le jugement qui avait condamné le demandeur à payer au comité d'établissement de l'entreprise Vandamme, la somme de 401 720 francs avec intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 1992 et 20 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

"aux motifs que les dommages-intérêts alloués en première instance au comité d'établissement de la société Vandamme ne sont pas contestés;

qu'ils sont justifiés, d'une part, par les sommes remises de 374 158,20 francs et par les intérêts qui ont couru depuis le 3 décembre 1992, jour de la mise en demeure;

que la somme de 20 000 francs de dommages et intérêts répare le préjudice complémentaire;

que le comité d'établissement a souffert de voir annuler un voyage agréable à l'étranger ;

"alors, d'une part, que les juges du fond, qui constatent que le comité d'entreprise de la société Vandamme-La Pie qui Chante a remis au Club Vacances une somme de 374 158 francs, ne pouvaient, sans accorder deux fois une réparation pour le même objet, condamner le demandeur à payer au comité d'entreprise la somme de 401 720 francs avec intérêts de droit à compter du 3 décembre 1972 en attribuant la différence entre la somme de 401 720 francs et celle de 374 158 francs aux intérêts courus depuis le 3 décembre 1992;

qu'en effet, la décision attaquée entend accorder deux fois les intérêts depuis le 3 décembre 1992, une fois sur la somme de 401 720 francs et une fois sur la somme de 374 158 francs du 3 décembre 1992 jusqu'à l'arrêt (sans du reste liquider ces intérêts de façon précise) ;

"alors, d'autre part, que seul le préjudice, prenant directement sa source dans l'infraction, peut être réparé par l'allocation de dommages et intérêts;

qu'il résulte de la décision des juges du fond que le comité d'entreprise de la société Vandamme-La Pie qui Chante avait contracté avec le Club Vacances pour un voyage de 58 personnes;

que ce sont ces 58 personnes et non le comité d'établissement qui ont souffert de voir annuler un voyage agréable à l'étranger;

que la décision attaquée a donc accordé au comité une somme de 20 000 francs en réparation d'un préjudice ne prenant pas sa source directement dans l'infraction, (à supposer l'infraction constituée)" ;

Vu lesdits articles, ensemble les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale ;

Attendu que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention, appartient à tous ceux qui en ont personnellement et directement souffert ;

Attendu qu'en outre, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice découlant d'une infraction, il en est autrement lorsque cette appréciation est déduite de motifs insuffisants, erronés ou contradictoires ;

Attendu que, pour confirmer le jugement condamnant Antoine Crestani à payer au comité d'entreprise de la société Vandamme-La Pie qui Chante la somme de 401 720 francs avec intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 1992 et celle de 20 000 francs à titre de dommages et intérêts, les juges du second degré énoncent que le premier montant est justifié par les versements d'un total de 374 158,20 francs et par les intérêts qui ont couru depuis le 3 décembre 1992 et que le second montant répare le préjudice complémentaire que le comité d'entreprise a souffert de voir annuler un voyage agréable à l'étranger ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que les mêmes intérêts ont été accordés deux fois entre le 3 décembre 1992 et la date de l'arrêt attaqué, et alors que le comité d'entreprise, s'il a pu subir un dommage matériel et moral, ne pouvait être indemnisé d'un préjudice d'agrément, la cour d'appel a méconnu les textes et principes ci-dessus rappelés ;

Que la cassation est, dès lors, encourue de ces chefs ;

Par ces motifs, CASSE et ANNULE l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, en date du 14 mai 1996, mais en ses seules dispositions accordant au comité d'entreprise de la société Vandamme-La Pie qui Chante, les sommes de 401 720 francs avec intérêts au taux légal à compter du 3 décembre 1992 et de 20 000 francs à titre de dommages et intérêts, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Reims, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Amiens, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Schumacher conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, Mme de la Lance conseiller rapporteur, MM. Martin, Pibouleau, Challe, Roger conseillers de la chambre, MM. de Mordant de Massiac, Sassoust conseillers référendaires ;

Avocat général : M. le Foyer de Costil ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 96-85876
Date de la décision : 05/03/1998
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

(Sur le premier moyen) ABUS DE CONFIANCE - Responsabilité pénale - Association - Dirigeant - Actes personnels dans l'intérêt de l'association.

(Sur le troisième moyen) APPEL CORRECTIONNEL OU DE POLICE - Intérêts civils - Partie civile non appelante - Dommages-intérêts complémentaires - Possibilité.


Références :

Code de procédure pénale 515 al. 3
Code pénal ancien 408

Décision attaquée : Cour d'appel d'Amiens, chambre correctionnelle, 14 mai 1996


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 05 mar. 1998, pourvoi n°96-85876


Composition du Tribunal
Président : Président : M. SCHUMACHER conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:96.85876
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