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26/02/1998 | FRANCE | N°96-86530

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 février 1998, 96-86530


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six février mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller MARTIN, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD et de la société civile professionnelle RICHARD et MANDELKERN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- Y... Thierry, prévenu,

- A... Pierrette, partie ci

vile, contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 28...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-six février mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller MARTIN, les observations de la société civile professionnelle DELAPORTE et BRIARD et de la société civile professionnelle RICHARD et MANDELKERN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;

Statuant sur les pourvois formés par :

- Y... Thierry, prévenu,

- A... Pierrette, partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 28 octobre 1996, qui a condamné le premier à 4 ans d'emprisonnement, à la faillite personnelle et à 5 ans d'interdiction des droits de l'article 42 ancien du Code pénal, pour malversations par administrateur judiciaire, infractions à la législation sur les sociétés, banqueroute, abus de confiance, et a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la seconde ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ;

I - Sur le pourvoi de Thierry Y... :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 8, 485 et 593 du Code de procédure pénale, 207 de la loi du 25 janvier 1985 modifié par la loi du 10 juin 1994, 408 de l'ancien Code pénal, 314-1 du Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de malversations (procédure n°92002579) ;

"aux seuls motifs que l'instruction et notamment l'expertise diligentée par M. X... avaient permis d'établir les faits suivants qui ont été reconnus à l'audience par Thierry Y... (suit la reproduction littérale des termes de la prévention telle qu'elle résulte de l'ordonnance de renvoi de la page 8 à la page 13, sans aucun rappel des circonstances de fait dans lesquels les faits se sont produits) ;

"alors, d'une part, que les juges correctionnels ne peuvent entrer prononcer de peine à raison d'un fait qualifié délit qu'à la condition de caractériser, dans leur décision, l'existence de toutes les circonstances exigées par la loi pour que ce fait soit punissable;

qu'en l'espèce, ni l'arrêt attaqué, ni le jugement qu'il confirme, ne contiennent la moindre énonciation caractérisant, à propos de chacune des malversations, les circonstances de lieu et de temps dans lesquelles les faits dont il a été déclaré coupable se seraient produits;

qu'il s'ensuit que la déclaration de culpabilité n'a aucune base légale ;

"alors, d'autre part, et en tout état de cause que la seule constatation de l'aveu du prévenu ne donne aucune base légale à une déclaration de culpabilité en l'absence de toute constatation des circonstances de fait exigées par la loi pour caractériser le délit ;

"alors (enfin) qu'il résulte de l'ordonnance de renvoi en date du 14 novembre 1994, rendue dans une procédure d'information ouverte à une date indéterminée courant 1991, que les faits antérieurs au 1er juin 1988 étaient prescrits (ordonnance page 3 5 (D53));

que, cependant, l'ordonnance a retenu à l'encontre du prévenu (ordonnance page 9) des faits commis entre

- novembre 1987 et novembre 1988 (B... Marlin),

- novembre 1986 et novembre 1987 (B... Garage moderne) (totalement prescrits),

- décembre 1987 et novembre 1988 (B... AT Béthune),

- décembre 1987 et novembre 1988 (B... Jamet Normandie) ;

sans autre précision, cependant que seuls pouvaient être poursuivis des faits postérieurs au 1er juin 1988;

que la prescription étant l'ordre public, les juges du fond étaient tenus de s'expliquer sur quoi portait la prévention pour la période non prescrite et de relever d'office la prescription de l'action publique pour la période atteinte par la prescription;

que, faute de l'avoir fait, la déclaration de culpabilité concernant ces trois dossiers est illégale" ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 et 593 du Code de procédure pénale, 207 de la loi du 25 janvier 1985, 314-2 du Code pénal et 408 de l'ancien Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de malversation au préjudice de Pierrette A... (procédure 95001262) ;

"aux seuls motifs qu'il avait reconnu que les détournements commis par lui sur le compte de répartition de l'étude avaient eu pour effet de ne pas lui permettre de procéder à la répartition du disponible dans ce dossier alors que le produit de la vente du fonds de commerce de Mme A... avait été versé sur le compte de répartition ;

"alors qu'il résulte de la procédure que les faits reprochés auraient été commis courant 1988;

que la citation interruptive de prescription est en date du 21 novembre 1995;

que, dès lors, la prescription étant acquise, aucune poursuite ne pouvait être exercée contre le prévenu de ce chef et que la déclaration de culpabilité est illégale" ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 196, 197, 198, 200 et 201 de la loi du 25 janvier 1985, 425 et 431 de la loi du 24 juillet 1966, 314-1 et 314-10 du Code pénal, 406 et 408 de l'ancien Code pénal et de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de banqueroute par tenue irrégulière de comptabilité, d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance (procédure n 95001388) ;

"alors que la citation est en date du 25 octobre 1995;

que, selon les énonciations du jugement confirmées par l'arrêt attaqué, les faits auraient été commis

- au cours de l'année 1990 pour ce qui est de la banqueroute par tenue irrégulière de comptabilité,

- au cours de l'année 1990 pour ce qui est des opérations effectuées au préjudice de la SARL Conseil Y... le Quere au profit de la SA BLI (Y... le Quere Investissement),

- courant janvier et mars 1991 pour ce qui est des chèques Perillat et Vrimoux encaissés au bénéfice de la SARL Conseil Y... au lieu d'être reversés aux établissements Y... ;

- courant 1990 et 1991 pour avoir remis le paiement effectué pour le compte de la SCI Le Plessis Trévise au compte des établissements Y... ;

"alors, d'une part, que plus de cinq ans s'étant écoulés entre la date de l'exploit interruptif de prescription (25 octobre 1995) et la date à laquelle les faits poursuivis auraient été commis, aucune poursuite n'était plus possible, la prescription étant acquise ;

"alors, (d'autre part), que toute personne a droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

que constitue une violation des droits de la défense devant entraîner la nullité de la procédure le fait de procéder, en présence d'un dossier complexe, par voie de citation directe, sans permettre au prévenu d'avoir accès au dossier de procédure et de vérifier les conditions dans lesquelles sont exercées les poursuites et les faits de la prévention" ;

Les moyens étant réunis ;

Sur le troisième moyen pris en sa seconde branche :

Attendu qu'il ne résulte ni des mentions du jugement entrepris ni d'aucunes conclusions régulièrement déposées que le prévenu, qui a comparu devant le tribunal correctionnel, ait excipé, avant toute défense au fond, de ce qu'il n'aurait pas disposé du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense ;

Que le moyen est dès lors irrecevable en application de l'article 385 du Code de procédure pénale ;

Sur le premier moyen de cassation pris en sa troisième branche, sur le deuxième moyen et sur le troisième moyen pris en sa première branche :

Attendu que le demandeur excipe pour la première fois devant la Cour de Cassation de la prescription de certains faits dont il a été déclaré coupable ;

Attendu que, si la fin de non recevoir tirée de la prescription est d'ordre public et peut être invoquée à ce stade de la procédure, c'est à la condition que se trouvent, dans les constatations des juges du fond, les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur;

qu'à défaut de telles constatations, qui manquent en l'espèce et qu'il appartenait au demandeur de provoquer, les moyens, mélangés de fait et de droit, ne peuvent qu'être écartés ;

Sur le premier moyen pris en ses deux premières branches :

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs propres ou adoptés exempts d'insuffisance et de contradiction, a caractérisé les éléments constitutifs des infractions dont elle a déclaré le prévenu coupable ;

D'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause et des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

II - Sur le pourvoi de Pierrette A... :

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 15, alinéa 2, de la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967, 14 de la loi du 9 juillet 1991, 408 de l'ancien Code pénal et 2, 485, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile déposée par Pierrette A... à l'encontre de Thierry Y... ;

"aux motifs adoptés que Me Z... sollicite la condamnation de Me Y... à lui payer la somme de 375 451, 49 francs à titre de dommages-intérêts;

que cette réclamation correspond au montant des sommes détenues par Me Y... le 19 octobre 1989, après que le règlement judiciaire de Pierrette A... ait été converti en liquidation des biens;

que Me Y..., par courrier adressé à Me Z..., désigné pour lui succéder, affirmait que les dettes de masse s'élevaient à la somme de 394 907, 84 francs et qu'il se chargeait de les régler;

attendu qu'aucune reddition de compte n'a été régularisée;

que Me Y... ne justifie pas que les dettes de masse aient été réglées;

que le préjudice subi par la liquidation des biens de Pierrette A... sera donc fixé à titre provisionnel à la somme de 375 451, 49 francs;

que Pierrette A... fait valoir qu'elle subit un préjudice moral qui lui est personnel du fait que la caisse de retraite de l'industrie hôtelière refuse de lui servir la retraite à laquelle elle a droit tant que sa créance ne lui aura pas été payée;

attendu qu'elle sollicite à titre de préjudice moral la somme de 10 000 francs et à titre de préjudice matériel la somme de 92 269,01 francs correspondant à la déclaration de créances de la caisse de retraite de l'industrie hôtelière;

attendu cependant qu'aux termes de l'article 15 de la loi du 13 juillet 1967, le jugement de liquidation de biens emporte dessaisissement du débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens;

attendu qu'aux termes de ce même article les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation des biens par le syndic;

attendu, dès lors, que Pierrette A... est irrecevable à agir seule aux fins d'obtenir des dommages et intérêts ;

"et aux motifs propres que c'est par des motifs pertinents que la Cour adopte que les premiers juges ont déclaré Pierrette A... irrecevable à agir;

que les sommes réclamées par la partie civile n'entrent aucunement de manière directe dans l'énumération de l'article 2092-2, devenu l'article 14 de la loi du 9 juillet 1991 et ne constituent pas par elle-même la contrepartie de droits personnels échappant à la règle du dessaisissement ;

considérant que ce n'est que par l'affectation qu'elle entend faire des sommes qui lui seraient alloués que Pierrette A... les rattache à la pension de retraite dont elle est privée, que la relation de causalité entre le préjudice et le fait poursuivi est très indirecte ;

"alors que Pierrette A... soutenait que l'article 15, alinéa 2, de la loi du 13 juillet 1967 édicte une exception au principe du dessaisissement du débiteur en liquidation des biens en lui reconnaissant le droit de se constituer partie civile en vue d'établir la culpabilité de l'auteur d'un délit dont elle a été victime;

qu'en statuant dès lors sans égard pour ces conclusions déterminantes afin de déclarer irrecevable la plainte de Pierrette A..., la cour d'appel a privé sa décision de tout motif et violé les textes précités ;

"alors que l'action civile engagée par Pierrette A... se rapportait à des sommes bénéficiant de l'insaisissabilité prévue par l'article 14 de la loi n° 91-650 de la loi du 9 juillet 1991, qui institue une dérogation au principe du dessaisissement du débiteur, dès lors que le détournement des fonds recueillis par le syndic, représentant tout à la fois des créanciers et du débiteur, était la cause directe du refus opposé à la liquidation intégrale de la retraite de Pierrette A... et portait sur des sommes qui étaient destinées en partie au paiement de cotisations dues par la demanderesse à la caisse de retraite de l'industrie hôtelière;

qu'en décidant, dès lors, autrement, la cour d'appel a violé les textes précités ;

"alors que, selon les propres énonciations de l'arrêt attaqué, le détournement des sommes commis par Me Y..., qui n'a pu permettre le paiement des dettes de masse et donc de la créance de cotisations de la caisse de retraite de l'industrie hôtelière, est en relation de causalité directe avec le préjudice subi par Pierrette A... résultant du refus de cette caisse de lui servir une pension de retraite complète;

si bien qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations, la cour d'appel a violé les textes précités" ;

Attendu que, si c'est à tort que les juges ont déclaré irrecevable la constitution de partie civile de Pierrette A..., en état de liquidation des biens, puisqu'elle tendait notamment à corroborer l'action publique, la décision n'encourt pas pour autant la censure dès lors que l'action engagée par l'intéressée avait pour objet de faire fixer le montant d'une créance civile n'entrant pas dans les prévisions de l'article 14 de la loi du 9 juillet 1991 ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Schumacher conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président, M. Martin conseiller rapporteur, MM. Pibouleau, Challe, Roger conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme de la Lance, M. Soulard conseillers référendaires ;

Avocat général : M. Lucas ;

Greffier de chambre : Mme Krawiec ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 96-86530
Date de la décision : 26/02/1998
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, 28 octobre 1996


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 26 fév. 1998, pourvoi n°96-86530


Composition du Tribunal
Président : Président : M. SCHUMACHER conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1998:96.86530
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