AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre septembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire VERDUN, les observations de Me Z..., et de la société civile professionnelle VIER et BARTHELEMY, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- JARDIN Marc,
- LA SA Y..., civilement responsable, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 20ème chambre, en date du 1er février 1996, qui a condamné le premier, pour homicide involontaire, à 30 000 francs d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 32, 485 et 592 du Code de procédure pénale ;
"en ce qu'il ne résulte pas des mentions de l'arrêt que la ministère public ait été représenté lors de l'audience à laquelle il a été procédé à la lecture de l'arrêt ;
"alors qu'aux termes de l'article 32 du Code de procédure pénale toutes les décisions des juridictions de jugement doivent être rendues en présence du ministère public; qu'en l'espèce, il ne résulte pas des mentions de l'arrêt que le ministère public ait été représenté à l'audience du 1er février à la lecture de l'arrêt" ;
Attendu que l'arrêt attaqué mentionne que le ministère public était représenté par M. Balit, avocat général, lors des débats et du prononcé de la décision ;
Que, dès lors, le moyen, qui manque en fait, ne saurait être accueilli ;
Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation de la directive CEE 881379 du 7 juin 1988, arrêté du 21 février 1990, des articles 319 du Code pénal, 221-6, 221-8, 221-10, 131-27 et 131-35 du nouveau Code pénal, L. 212-1 et L. 221-1 du Code de la consommation et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Marc Y... coupable du chef d'homicide involontaire sur la personne de Claude X..., en répression l'a condamné à 30 000 francs d'amende et statué sur les intérêts civils ;
"aux motifs que l'examen du bidon tel qu'il figure sur les photographies prises par les services de police agissant sur commission, rogatoire fait apparaître sur une face : une croix de Saint-André sur fond orange; au titre des précautions, les mentions :
"R 20 nocif par inhalation, S 24 éviter le contact avec la peau et les yeux, conserver hors de portée des enfants, ne pas stocker à plus de 35° C, contient chlorure de méthylène et méthanol"; au titre des recommandations, les mentions : "Bien ventiler pendant les travaux - Nettoyer le matériel avec "Touprêt décolle moquette" - Stocker au frais, bidon fermé" - Conserver hors de portée des enfants - Eviter le contact avec la peau, les yeux et les vêtements - Ininflammable"; qu'il convient d'observer que la croix de Saint-André sur fond orangé qui manifeste aux professionnels la notion de danger n'a aucune signification pour les profanes; il appartenait donc à la société Y... d'être plus explicite à cet égard en imprimant sur le bidon le mot "danger"; d'autre part, la mention "nocif par inhalation", essentielle pour les usagers, est portée en tout petits caractères; que le rapprochement entre les mentions imprimées sur le bidon et la fiche technique communiquée aux professionnels fait apparaître que certaines recommandations de la fiche technique n'ont pas été reprises sur le bidon, à savoir :
"produit nocif et irritant - Ne pas ingérer... le port de lunettes et de gants est vivement recommandé... gratter les résidus de colle et de mousse ramollis de préférence avec un grattoir monté sur un long manche", ceci précisément pour éviter une inhalation au niveau de la surface traitée avec le produit; qu'en outre, les renseignements recueillis auprès des centres anti-poisons de Marseille, Lyon et Paris révèlent 16 incidents de santé provoqués par le produit litigieux dont 12 cas d'hospitalisation pour une allergie sur la peau ou des difficultés respiratoires; qu'enfin, la déclaration du prévenu devant la Cour, selon laquelle après l'accident dont s'agit une étiquette supplémentaire comportant une mise en garde plus précise, met en évidence la conscience qu'avait la société Jardin de l'insuffisance des recommandations apposées initialement sur les bidons ;
"alors, d'une part, que la Cour, qui n'a pas recherché si, comme le soutenait le prévenu, l'étiquetage apposé sur les bidons du produit litigieux était conforme à la réglementation relative à l'étiquetage des produits dangereux, n'a pas légalement justifié sa décision ;
"alors, d'autre part, que l'existence de 16 incidents provoqués prétendument par le produit dangereux, ne pouvait conforter la Cour dans son analyse ayant conduit à la condamnation du prévenu, à défaut pour elle de s'être expliquée plus avant sur ces incidents et relever qu'ils avaient pour seule origine le produit litigieux; pour n'avoir pas procédé à une telle constatation, la Cour n'a pas donné de base légale à sa décision ;
"alors, en tout état de cause, que la comparaison entre les mentions apposées sur les bidons du produit litigieux et les recommandations figurant sur la fiche technique destinée aux professionnels ne peuvent servir de fondement à la condamnation prononcée, à défaut pour la Cour de s'être expliquée sur la réglementation applicable en la matière ;
"alors, enfin, que la Cour ne pouvait considérer l'apposition d'une étiquette supplémentaire sur les bidons litigieux, comme une reconnaissance de responsabilité, sans expliquer en quoi ce nouvel élément palliait l'inobservation des lois et règlements applicables à l'espèce" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'en outre, les juges doivent répondre aux chefs péremptoires des conclusions dont ils sont saisis ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Claude X... a été découvert inanimé dans une pièce de son pavillon où il venait de répandre un produit décapant dénommé "Toutprêt décolle moquette"; qu'il est décédé quelques temps plus tard, des suites d'une asphyxie consécutive à l'inhalation d'un solvant contenu dans ce produit, le dichlorométhane ;
Que, sur la plainte avec constitution de partie civile de l'épouse et du fils de la victime, Marc Y..., dirigeant de la société qui commercialise le produit, a été renvoyé devant la juridiction correctionnelle pour homicide involontaire; qu'il a été relaxé par les premiers juges, lesquels ont retenu la faute exclusive de la victime, qui avait omis d'aérer la pièce où elle travaillait, en violation des recommandations figurant sur l'étiquetage ;
Attendu que, pour infirmer cette décision, sur les appels du ministère public et des parties civiles, et écarter les conclusions de Marc Y..., qui affirmait que l'étiquetage du produit était conforme à la réglementation en vigueur, la cour d'appel retient que la dangerosité du produit n'était signalée que par une croix de Saint-André sur fond orangé, symbole qui n'a aucune signification pour le consommateur; qu'ils ajoutent que la mention "nocif par inhalation" était écrite en petits caractères et que certaines des recommandations figurant sur la fiche technique du produit communiquée aux professionnels n'étaient pas reproduites sur l'étiquetage ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans répondre au chef péremptoire des conclusions du prévenu soutenant que les mentions incriminées étaient conformes aux prescriptions prévues en matière d'étiquetage et d'emballage des préparations dangereuses par la directive CEE 88/1379 du 7 juin 1988 - et par voie de conséquence par l'arrêté du 21 février 1990 pris pour son application -, et alors que les recommandations techniques du fabriquant non reproduites sur l'emballage y figuraient sous une autre forme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Que la cassation est, dès lors, encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens de cassations proposés ;
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 1er février 1996, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Fabre conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Verdun conseiller rapporteur, MM. Aldebert, Farge, Mistral conseillers de la chambre, Mmes Batut, Ferrari conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lucas ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;