AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre septembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller BAILLOT, les observations de la société civile professionnelle MASSE-DESSEN, GEORGES et THOUVENIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- VAHIDI Fazzad ou Farzad, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 7 décembre 1994 qui, pour détournement d'objets saisis confiés à un tiers, l'a condamné à 5 000 francs d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 400, alinéa 4, du Code pénal, 314-6 du nouveau Code pénal, 388 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué - constatant que les faits réprimés par l'article 400, alinéas 3 et 4, du Code pénal dans sa rédaction abrogée par la loi du 16 décembre 1992 entraient dans les prévisions de l'article 314-6 du Code pénal et les requalifiant en ce sens - a déclaré le prévenu (Fazzad Vahidi, le demandeur) coupable du délit de détournement d'objets saisis confiés à la garde d'un tiers pour des faits commis les 6 février et 14 avril 1992 concernant des parts détenues au sein d'une société dénommée Pakdis et de l'avoir en conséquence condamné à la peine de 5 000 francs d'amende avec sursis ainsi qu'à des dommages et intérêts envers la partie civile ;
"aux motifs que Fazzad Vahidi produisait un acte de cession de parts sociales en date du 7 mai 1991 aux termes duquel il cédait 30 parts de la société Pakdis à Ghodrat Ghaleb; que, par acte du 14 avril 1992, il cédait à Marie-Claude Z... ses 4 parts restantes ;
que le premier de ces actes n'avait été enregistré que le 6 février 1992, soit postérieurement à la dénonciation faite à Fazzad Vahidi le 21 mai 1991 de la saisie pratiquée le 15 mai 1991; qu'il y avait lieu de déclarer le prévenu coupable des faits commis les 6 février 1992 et 14 avril 1992 ;
"alors que les juges correctionnels ne peuvent statuer légalement que sur les faits dénoncés dans l'acte qui les a régulièrement saisis; que, dès lors, a excédé ses pouvoirs la cour d'appel qui a déclaré le prévenu coupable de l'infraction reprochée pour des faits commis les 6 février et 14 avril 1992, bien qu'il résultât de la citation ayant saisi la juridiction correctionnelle que l'intéressé avait été poursuivi par la partie civile du chef de détournement d'objets saisis pour avoir, par actes des 14 mai 1992 et 24 mai 1993, cédé ses parts dans la SARL Pakdis" ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'Ahmad B..., a fait citer Fazzad Vahidi devant le tribunal correctionnel, du chef de détournement d'objets saisis, prévu et réprimé par l'article 400, alinéa 3, du Code pénal; que cet acte de poursuite retient notamment, que par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 21 février 1991, Fazzad Vahidi a été condamné à lui verser la somme de 500 000 francs, avec exécution provisoire, qu'il a fait signifier cette décision au débiteur et l'a vainement sommé de payer; que, le 15 mai 1991, il a fait pratiquer une saisie-arrêt sur les parts sociales détenues par Fazzad Vahidi au sein de la société Pakdis et la lui a dénoncée le 21 mai 1991; que cette saisie a été validée par jugement du tribunal de grande instance de Paris le 15 avril 1992 puis par arrêt confirmatif de la cour d'appel de Paris en date du 18 février 1993; que, nonobstant l'indisponibilité en découlant, Fazzad Vahidi a cédé les 34 parts sociales qu'il détenait dans cette société ;
Attendu que pour déclarer Fazzad Vahidi coupable des faits qui lui étaient ainsi reprochés et après avoir requalifié juridiquement la poursuite en détournement d'objets saisis confiés à la garde d'un tiers, la cour d'appel et le jugement qu'elle confirme, retiennent que l'acte de cession de 30 de ces parts, daté du 7 mai 1991, n'a été enregistrée que le 6 février 1992, soit postérieurement à la saisie-arrêt pratiquée le 15 mai 1991; que Fazzad Vahidi n'aurait pas manqué de verser cet acte de cession de parts au cours de ces procédures civiles afin de faire annuler la saisie des biens dont il n'avait plus la disposition, si cette cession avait eu lieu réellement avant ladite saisie; que les 4 autres parts ayant été cédées par lui le 14 avril 1992, il y a donc lieu de considérer que le détournement porte sur les 34 parts ;
Attendu qu'en cet état, les juges du second degré n'encourent pas le grief allégué, dès lors qu'ils ont statué sur les faits dénoncés dans la citation qui les a saisis et dont le dispositif ne comportait aucune date ;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 400, alinéa 4, du Code pénal, 314-6 du nouveau Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrét attaqué - constatant que les faits réprimés par l'article 400, alinéas 3 et 4, du Code pénal dans sa rédaction abrogée par la loi du 16 décembre 1992 entraient dans les prévisions de l'article 314-6 du Code pénal et les requalifiant en ce sens- a déclaré le prévenu (Fazzad Vahidi, le demandeur) coupable du délit de détournement d'objets saisis confiés à la garde d'un tiers du fait de la cession de parts d'une société dénommée Pakdis et de l'avoir en conséquence condamné à la peine de 5.000 F d'amende avec sursis ainsi qu'à des dommages et intérêts envers la partie civile ;
"aux motifs qu'il était indiqué dans le jugement de validation de saisie-arrêt en date du 15 avril 1992 ainsi que dans l'arrêt confirmatif du 18 février 1993 que Fazzad Vahidi ne démontrait aucune irrégularité de fond ou de forme relative aux saisies pratiquées; que, comme l'observaient les premiers juges, la procédure aux fins de déclaration affirmative n'avait d'effet que sur l'opposabilité de la saisie à l'encontre du tiers saisi et non sur sa validité à l'égard du débiteur ;
qu'ils avaient également précisé à bon droit que le caractère non définitif du titre exécutoire, du fait du pourvoi en cours, ne faisait pas davantage obstacle à la réalisation du délit; qu'à bon droit, les premiers juges avaient requalifié les faits visés à la prévention en faits prévus et réprimés par l'article 400, alinéa 4, du Code pénal et qu'il convenait de déclarer le prévenu coupable du délit de détournement d'objets saisis confiés à la garde d'un tiers, tel que repris par l'article 314-6 du Code pénal actuel ;
"et aux motifs adoptés que la validité de la saisie et, a fortiori, le caractère définitif ou non du titre sur lequel elle se fondait étaient sans effet sur les éléments constitutifs du délit, lequel était réalisé dès lors que le détournement intervenait après une saisie pratiquée dans les formes prescrites quand bien même elle serait déclarée nulle au fond; qu'il suffisait que, nonobstant le placement des objets sous main de justice, le débiteur les eût soustraits au pouvoir du créancier notamment en les aliénant; que le délit pouvait être réalisé, que les objets eussent été confiés à la garde du débiteur lui-même ou à celle d'un tiers; que les parts détenues par un associé étaient, en raison de leur nature même, à la garde de la personne morale, ce que la procédure utilisée par le créancier confirmait, la saisie-arrêt étant en principe destinée à rendre indisponibles des fonds ou valeurs dont le débiteur était lui-même créancier à l'égard de tiers ; que les faits reprochés à Fazzad Vahidi correspondaient donc à ceux prévus et réprimés par l'article 400, alinéa 4, du Code pénal ;
"alors que, d'une part, le délit de détournement d'objets saisis suppose qu'il ait été procédé à la nomination d'un gardien de la chose; que la cour d'appel ne pouvait condamner le demandeur du chef de détournement d'objets saisis confiés à la garde d'un tiers, au prétexte inopérant que les parts détenues par un associé se trouvaient par leur nature même sous la garde de la personne morale, dès lors que le demandeur l'invitait à constater que le procès-verbal de saisie-arrêt en date du 15 mai 1991 portant sur des parts qu'il aurait détenues au sein de la société Pakdis ne contenait aucune mention relative à la désignation d'un gardien ;
"alors que, d'autre part, il s'inférait de l'arrêt en date du 18 février 1993 auquel se sont référés les juges correctionnels, comme de l'arrêt confirmatif attaqué, que le jugement ayant validé la saisie-arrêt pratiquée le 15 mai 1991 entre les mains de la société Pakdis était sans effet sur le tiers saisi puisque ce dernier n'avait pas été assigné en déclaration affirmative et n'avait pas été partie à l'instance en validité; qu'ainsi, à partir du moment où la mesure d'exécution en cause ne présentait pas tous les caractères extérieurs de la régularité et que n'avait pas été formalisée l'unique procédure destinée à établir que se trouvaient, entre les mains du tiers saisi, des biens susceptibles d'être détournés par le saisi, la cour d'appel ne pouvait déclarer le demandeur coupable de l'infraction reprochée" ;
Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué, reprise au moyen, qu'Ahmad B... a fait procéder à la saisie de toutes les parts sociales dont Fazzad Vahidi était détenteur dans la société Pakdis et que cet acte a été dénoncé à ce dernier qui n'a soulevé à cet égard aucune irrégularité de forme ou de fond au cours de la procédure civile de validation;
que ces parts étaient donc par leur nature même sous la garde de cette personne morale et qu'il n'importe que la procédure aux fins de déclaration affirmative n'ait pas eu lieu, celle-ci n'ayant d'effet que sur l'opposabilité de la saisie à l'encontre du tiers saisi et non sur sa validité à l'égard du débiteur ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, les juges du second degré ont justifié leur décision dès lors que le consentement exprès du tiers saisi, à sa qualité de gardien n'est pas un élément constitutif de l'infraction poursuivie dans la mesure où, comme en l'espèce, il eu connaissance de la saisie, même s'il n'a pas signé le procès-verbal et qu'il n'a pas refusé cette garde ;
Qu'il s'ensuit que le moyen ne saurait être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 400, alinéa 4, du Code pénal, 314-6 du nouveau Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu (Fazzad Vahidi, le demandeur) coupable du délit de détournement d'objets saisis confiés à la garde d'un tiers pour des faits commis les 6 février et 14 avril 1992 concernant des parts détenues au sein d'une société dénommée Pakdis et de l'avoir en conséquence condamné à la peine de 5 000 francs d'amende avec sursis ainsi qu'à des dommages et intérêts envers la partie civile ;
"aux motifs que Fazzad Vahidi était attributaire de 34 parts dans la société Pakdis; que, le 21 mai 1991, M. B... lui avait dénoncé une saisie-arrêt qu'il avait fait pratiquer le 15 mai précédent sur toutes parts détenues par lui au sein de cette société; que le jugement de validation en date du 15 avril 1992, assorti de l'exécution provisoire, avait été confirmé en appel par arrêt du 18 février 1993; que Fazzad Vahidi produisait un acte en date du 7 mai 1991 par lequel il avait cédé 30 de ses parts à Ghodrat Ghaleb; que, par acte du 14 avril 1992, il avait vendu à Marie-Claude Z... ses 4 parts restantes; que le premier de ces actes n'avait été enregistré que le 6 février 1992, c'est-à-dire postérieurement à la dénonciation faite à Fazzad Vahidi de la saisie-arrêt effectuée le 15 mai; que les premiers juges avaient relevé avec pertinence que si la cession avait réellement eu lieu antérieurement, l'intéressé n'aurait pas manqué de produire l'acte de cession afin de faire annuler la mesure d'exécution pratiquée sur des biens dont il n'avait plus la disposition; qu'il convenait donc de considérer que le détournement avait porté sur 34 parts; que le rachat de 20 parts sociales par Fazzad Vahidi le 3 juin 1993 ne supprimait pas le caractère frauduleux des cessions antérieurement opérées en méconnaissance de la saisie qui lui avait été dénoncée ;
qu'ayant été personnellement informé de la mesure il avait procédé au détournement en toute connaissance de cause ;
"alors que, d'une part, le détournement d'objets saisis n'est constitué qu'à la condition d'avoir été commis après un acte de saisie dont le prévenu a eu pleinement connaissance; que la cour d'appel ne pouvait légalement imputer au demandeur un détournement ayant porté sur 34 parts de la société Pakdis, après avoir constaté que par acte du 7 mai 1991 - c'est-à-dire avant d'avoir reçu dénonciation le 21 mai 1991 d'une saisie-arrêt pratiquée entre les mains de la personne morale le 15 du même mois - l'intéressé avait cédé 30 de ses parts à un tiers ;
"alors que, d'autre part, le moment auquel l'acte de cession du 7 mai 1991 avait été enregistré n'était pas de nature à constituer le fait de détournement ni à établir que la vente litigieuse aurait eu lieu à une autre date que celle mentionnée par les parties, laquelle faisait pleine foi contre la partie poursuivante à qui il appartenait de prouver le détournement ;
"alors que, enfin, la cour d'appel ne pouvait reprocher à le demandeur une quelconque intention frauduleuse dès lors qu'il résultait de ses propres énonciations que, lors de la première cession, il n'avait nullement vendu l'intégralité de ses parts dans la société Pakdis et que, à la date de la citation en justice, il y était toujours porteur de parts puisque, dès le 3 juin 1993, il en avait racheté 20 au sein de la même personne morale, ce qui établissait qu'il n'avait jamais eu l'intention de soustraire définitivement ses biens à son prétendu créancier" ;
Attendu qu'outre les motifs repris au moyen, l'arrêt attaqué relève notamment que le rachat par Fazzad Vahidi le 3 juin 1993 de 20 parts de la société Pakdis ne supprime pas le caractère frauduleux des cessions précédemment opérées en méconnaissance de la saisie dont il a été personnellement informé; qu'il a donc procédé à ce détournement intentionnellement ;
Qu'en cet état, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, notamment en son élément intentionnel, l'infraction qu'elle a retenue à la charge du prévenu ;
Qu'en conséquence le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Fabre conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Baillot conseiller rapporteur, MM. X..., Le Gall, Farge, Mistral conseillers de la chambre, Mmes Y..., A..., Verdun conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lucas ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;