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29/05/1997 | FRANCE | N°96-84199

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 mai 1997, 96-84199


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-neuf mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller PIBOULEAU, les observations de la société civile professionnelle Alain MONOD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général de Z... ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Y... Jean-Michel, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 10ème chambre, en date du 28 juin 1996, qui, pour détention, transpo

rt, offre ou cession, et remise de stupéfiants à des détenus dont il avait la sur...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-neuf mai mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller PIBOULEAU, les observations de la société civile professionnelle Alain MONOD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général de Z... ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Y... Jean-Michel, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 10ème chambre, en date du 28 juin 1996, qui, pour détention, transport, offre ou cession, et remise de stupéfiants à des détenus dont il avait la surveillance, l'a condamné à 2 ans d'emprisonnement dont 16 mois avec sursis ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6.1 et 6.3a, de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 248 ancien du Code pénal, L. 626 du Code de la santé publique, 222-37 et 434-35 nouveau du Code pénal, 427 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le demandeur coupable des délits d'offre, détention et transport non autorisés de stupéfiants, et du délit de remise à un détenu d'objets et substances en dehors des cas autorisés, et l'a condamné à la peine de 2 ans d'emprisonnement dont 16 mois avec sursis ;

"aux motifs que, dès le 1er février 1994, le détenu André B... indiquait aux fonctionnaires de police que, parmi les surveillants réputés s'approvisionner en stupéfiants auprès d'une poissonnerie appartenant au détenu Jean-Pierre D..., "il y a le chef de la première division, le brigadier Jean-Michel Y..."; qu'il est constant qu'à cette époque Jean-Michel Y... exerçait les fonctions de premier surveillant à la première division de la maison d'arrêt de la Santé; qu'aucune confusion ne pouvait donc être faite par les policiers avec un homonyme de Y... affecté au greffe; que Lassad E..., autre détenu, fait aussi référence à Y... mais se méprend en précisant tout à la fois qu'il se prénomme "Jean-Michel" et en indiquant qu'il a été muté au greffe, méprise qui peut s'expliquer par le fait qu'il précise ne pas avoir pu avoir de rapport avec lui; qu'en tout état de cause, cette déclaration de Lassad E..., moins précise que celle de André B..., n'était pas de nature à susciter par erreur le placement de Jean-Michel Y... en garde à vue, celui-ci étant bien le premier surveillant dont dépendait Jean-Pierre D..., détenu à la première division ;

"que Jean-Pierre D... a déclaré qu'il avait une poissonnerie ..., fermée depuis son incarcération et que sa mère était propriétaire d'une autre poissonnerie ...; que Jean-Michel Y... ne conteste pas s'être rendu dans la poissonnerie tenue par la mère de Jean-Pierre D..., muni d'une carte de visite que celui-ci avait remise; qu'un rapprochement s'impose avec la déclaration du surveillant Philippe C... (D 102) selon laquelle Jean-Pierre D..., après lui avoir demandé s'il "avait des problèmes pour trouver du shit", lui a donné une carte de visite publicitaire concernant une poissonnerie tenue par sa mère et lui a précisé que s'il en voulait, il devait demander "Bruno"; qu'il ressort de cette déclaration que c'est bien dans la poissonnerie sise ..., où s'est rendu Jean-Michel Y..., que l'approvisionnement en shit pouvait être effectué; qu'il convient d'observer que le gardien M. A..., qui a reconnu sa participation à l'introduction de cannabis dans la maison d'arrêt, détenait à son domicile une même carte de visite publicitaire de la poissonnerie de la rue Dufrénoy; qu'il existe donc une concordance entre ces indices matériels, les déclarations de Philippe C..., le déplacement effectif, fin décembre 1993, de Jean-Michel Y... à ladite poissonnerie (qui, étrangement, sera fourni gratuitement en poisson et crustacés sans avoir fait état de sa qualité et sans aucune question) et les informations rapportées par André B..., même si celui-ci évoque un trafic de "poudre" et non de "shit" ;

"que le fait même que Jean-Michel Y... se soit rendu à la poissonnerie tenue par la mère de Jean-Pierre D... atteste l'existence d'une bonne entente entre eux, ce qui corrobore les déclarations des surveillants M. A... et Philippe C... réitérées lors d'une confrontation avec Jean-Michel Y... (D 24, D 104 D 400);

que, bien qu'il ait affirmé devant la Cour ne pas avoir eu de pouvoir décisionnel, il ressort des pièces de la procédure que Jean-Michel Y... a fait en sorte que Jean-Pierre D..., après mutation, réintègre la 1ère division et soit affecté à un poste de responsabilité concernant la salle de sport; que la fréquence et la facilité des contacts de Jean-Pierre D... avec Jean-Michel Y... ont été reconnues par celui-ci (D 83, D 85, D 258); que cette situation avantageuse a été expliquée par Jean-Michel Y... à la police par le fait que Jean-Pierre D..., notoirement connu pour avoir une forte personnalité, lui avait dit qu'il n' y aurait aucun problème au sein de la division ;

"que la cohérence de cette explication renforce la crédibilité des aveux formulés par Jean-Michel Y... lors de son audition du 3 février 1994 à 17 H 45, selon lesquels, après avoir surpris M. D... occupé à confectionner des "joints" de "shit" qu'il plaçait dans des paquets de cigarettes, Jean-Michel Y... a accepté de "fermer les yeux" et de passer de tels paquets à la 3ème division; que la rétractation de Jean-Michel Y... devant le juge d'instruction n'est pas convaincante; qu'il n'a invoqué, en effet, que son état de grande fatigue pour expliquer de telles déclarations ;

que, tout en demeurant dans le contexte assurément pénible d'une garde à vue, Jean-Michel Y..., dont l'audition s'était achevée le 3 février à 19 H 40 et qui a été laissé au repos, a déclaré, lorsqu'il a été réentendu le 4 février à 10 heures 29 : "Je maintiens mes précédentes déclarations concernant Jean-Pierre D... et son trafic de shit à l'intérieur de la maison d'arrêt de la Santé...il m'avait assuré qu'en ayant la charge de la salle de sport, il veillerait à la tranquillité de ma division"; que Jean-Michel Y..., qui, par sa profession et ses responsabilités, devait être préparé à être confronté à des difficultés soudaines, avait eu le temps, depuis la fin de son audition du 3 février, de mesurer sciemment la portée et les incidences des déclarations qu'il a faites; qu'il n'est pas vraisemblable, dès lors, qu'il ait confirmé le 4 au matin des aveux sans fondement, formulés de façon très circonstanciée puisqu'il est allé jusqu'à préciser avoir "aussi fait passer un sac contenant du linge de la cellule de Jean-Pierre D... à celle d'un autre détenu sans en vérifier le contenu" ;

"que la Cour relève, enfin, qu'en dépit des dénégations de Jean-Michel Y..., Jean-Pierre D... a maintenu, lors d'une confrontation devant le juge d'instruction, avoir fait remettre des cartouches de cigarettes par Jean-Michel Y... à d'autres détenus; qu'il résulte, de l'ensemble de ces éléments que les premiers juges ont retenu à bon droit Jean-Michel Y... dans les liens de la prévention ;

"alors, d'une part, que tout accusé a le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge, et d'obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge; que le juge correctionnel ne peut fonder une déclaration de culpabilité sur la déposition d'un témoin, recueillie lors de l'enquête préliminaire ou de l'instruction, sans que ce témoin ait été confronté avec le prévenu, dès lors que ce dernier s'est expressément prévalu de ce défaut de confrontation, devant la juridiction de jugement; qu'en l'espèce, Jean-Michel Y... avait, dans ses conclusions d'appel, allégué qu'il n'avait jamais été confronté avec les détenus André B... et Lassad E..., dont les dépositions avaient servi de fondement à son interpellation, à sa mise en examen, puis à son renvoi devant la juridiction de jugement et à sa condamnation en première instance; que la cour d'appel, pour retenir la culpabilité du demandeur, s'est principalement fondée sur ces déclarations sans procéder à la confrontation des témoins et du prévenu, dont les motifs de l'arrêt, lequel se borne, s'agissant d'André B..., à relever la concordance de ses déclarations avec d'autres déclarations et indices matériels et, s'agissant de Lassad E..., à s'expliquer sur la contradiction de ses déclarations, ne font ressortir ni l'impossibilité, ni même l'inutilité pour la manifestation de la vérité; que, dès lors, Jean-Michel Y... n'a pas bénéficié d'un procès équitable au sens de l'article 6, 1 et 3 d, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

"alors, d'autre part, que Jean-Michel Y... alléguait également que son homonyme, Franck X..., fonctionnaire du greffe de la maison d'arrêt de la Santé, auquel Lassad E... avait fait référence dans ses déclarations n'avait, à aucun stade de la procédure, été entendu; qu'il avait, en outre, invité l'avocat général à faire procéder à un supplément d'information pour déterminer qui, de lui ou de son homonyme, était visé par les accusations de Lassad E... ;

qu'en se déterminant notamment au regard des déclarations de Lassad E... pour retenir le demandeur dans les liens de la prévention, sans procéder à l'audition de Franck X... ni constater l'impossibilité ou l'inutilité de cette audition, la cour d'appel a, de nouveau violé les dispositions précitées ;

"alors, d'une troisième part, qu'en se bornant, pour accorder une valeur probante aux "aveux" faits par le demandeur après 25 heures de garde à vue, à retenir que la bonne entente entre Jean-Michel Y... et le détenu Jean-Pierre D..., attestée par les surveillants M. A... et Philippe C..., renforçait la crédibilité de ces aveux et que la rétractation intervenue devant le juge d'instruction n'était pas convaincante, dès lors que Jean-Michel Y... avait confirmé, le 4 février au matin, ses aveux de la veille, sans répondre aux conclusions par lesquelles le prévenu faisait valoir que, lorsqu'il a confirmé ses aveux le 4 février au matin, il était sous l'effet du Tranxène que lui avait administré le médecin, ni s'expliquer sur le fait que, comme le demandeur l'a indiqué au juge d'instruction (D 256), lorsqu'il a voulu revenir sur ses déclarations pendant sa garde à vue, les policiers ont refusé de consigner ses dires, la cour d'appel a privé sa décision de motifs ;

"alors, enfin, que la cour d'appel, qui s'est fondée sur les "aveux de Jean-Michel Y... lequel a déclaré avoir, à la demande du détenu Jean-Pierre D..., transféré à trois reprises des paquets de cigarettes contenant du shit de la cellule de ce détenu jusqu'à la troisième division, s'est, par ailleurs, bornée à citer les déclarations du détenu André B... incluant le demandeur parmi les surveillants "réputés s'approvisionner" dans une poissonnerie appartenant à Jean-Pierre D..., à constater que Jean-Michel Y... avait, une fois, obtenu gratuitement du poisson dans la poissonnerie de la mère du détenu où "l'approvisionnement en shit pouvait être effectué" et à constater l'existence d'une "bonne entente" entre Jean-Michel Y... et le détenu Jean-Pierre D... lequel aurait bénéficié dans la première division d'une "situation avantageuse"; qu'en l'état de ces énonciations et constatations, qui ne caractérisent par les faits susceptibles de constituer les délits d'offre et détention de stupéfiants que Jean-Michel Y..., qui soutenait que l'élément matériel de ces délits n'était pas établi, aurait commis, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 626 du Code de la santé publique et 222-37 du nouveau Code pénal" ;

Sur le moyen pris en sa première branche :

Attendu qu'il ne résulte d'aucune pièce de procédure que Jean-Michel Y... ait demandé à être confronté avec les témoins André B... et Lassad E..., ni qu'il les ait fait citer devant la juridiction de jugement; qu'il ne saurait dès lors reprocher à la cour d'appel, qui a, par ailleurs, retenu sa culpabilité sur d'autres éléments de conviction, de n'avoir pas procédé d'office à cette confrontation ;

Sur le moyen pris en sa deuxième branche :

Attendu que, le demandeur ne saurait se faire grief de ce que la cour d'appel n'ait pas ordonné l'audition de Franck X... pour vérifier les accusations de Lassad E... portées contre lui, dès lors que les juges se sont expliqués sur l'inutilité de cette mesure ;

Sur le moyen pris en ses deux dernières branches :

Attendu qu'il appert des énonciations de l'arrêt et du jugement qu'il confirme, qu'au cours de sa garde à vue, Jean-Michel Y... a reconnu qu'il avait surpris le détenu Jean-Pierre D... en train de confectionner "des joints de shit" qu'il plaçait dans des paquets de cigarettes et qu'au lieu de révéler ses agissements il avait accepté d'y prêter la main, en transportant à plusieurs reprises ces paquets de cigarettes auprès d'autres détenus du même établissement pénitentiaire; qu'il est revenu par la suite sur ses déclarations, devant le juge d'instruction ;

Attendu que, pour retenir ses aveux initiaux, la cour d'appel se prononce sur leur crédibilité par les motifs repris au moyen ;

Qu'en cet état, les juges, qui ont caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les délits dont ils ont déclaré le prévenu coupable, ont justifié leur décision par des motifs qui procèdent de leur appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause ainsi que de la valeur des preuves contradictoirement débattus devant eux ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 97, 478, 484 et 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la cour d'appel a omis de statuer sur la demande du demandeur tendant à la levée du blocage de son compte bancaire Codevi n° 968622R ouvert à l'agence du Crédit Lyonnais du ... ;

"alors que la cour d'appel, saisie du fond de l'affaire est compétente pour ordonner la levée du placement sous main de justice d'un compte bancaire décidé par le juge d'instruction en application de l'article 97 du Code de procédure pénale; qu'ainsi, en l'espèce, la cour d'appel, en ne prononçant pas sur la demande du demandeur, a entaché son arrêt de nullité ;

Attendu que, si la cour d'appel ne s'est pas prononcée sur la levée du blocage du compte bancaire Codevi demandée par le prévenu, le moyen est inopérant dès lors que l'intéressé peut en solliciter le bénéfice dans les conditions prévues par l'article 41-1 du Code de procédure pénale ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Le Gunehec président, M. Pibouleau conseiller rapporteur, MM. Culié, Roman, Schumacher, Martin conseillers de la chambre, MM. de Mordant de Massiac, de Larosière de Champfeu, Mme de la Lance conseillers référendaires ;

Avocat général : M. de Gouttes ;

Greffier de chambre : Mme Ely ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 96-84199
Date de la décision : 29/05/1997
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

(sur le second moyen) RESTITUTION - Juridictions correctionnelles - Compétence - Juridiction ayant statué au fonds sans se prononcer sur la restitution - Requête ultérieure à la juridiction - Possibilité (non).


Références :

Code de procédure pénale 41-1

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 10ème chambre, 28 juin 1996


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 29 mai. 1997, pourvoi n°96-84199


Composition du Tribunal
Président : Président : M. Le GUNEHEC

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1997:96.84199
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