Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 3 novembre 1994), que le ministre de l'Economie a, par lettre du 5 juillet 1994, saisi le Conseil de la concurrence de pratiques anti-concurrentielles sur le marché du béton prêt à l'emploi de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et demandé le prononcé de mesures conservatoires en application de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; qu'il a allégué que des baisses de prix avaient été mises en oeuvre de manière concertée par les sociétés Béton de France (filiale de RMC), Super Béton (filiale de Ciments Lafarge et de Ciments Vicat, anciennement Béton 83), Béton chantiers du Var (BCV, filiale de Ciments Lafarge) et Société méditerranéenne de béton (SMB), filiale de la société Unimix (elle-même filiale de Ciments français), à partir du mois de novembre 1993, " afin d'empêcher une centrale concurrente appartenant à la Société nouvelle des bétons techniques (SNBT) récemment installée à Ollioules (83) de s'implanter sur le marché géographique concerné " ; que le Conseil de la concurrence a fait droit à cette demande et a enjoint, jusqu'à l'intervention de la décision au fond, à ces différentes entreprises de cesser de vendre, directement ou indirectement, dans un rayon de 25 kilomètres autour de la ville de Toulon, du béton prêt à l'emploi à un prix unitaire inférieur à son coût moyen variable de production, tel qu'il résulte de la comptabilité analytique établie mensuellement par chacune des entreprises concernées pour chacune de ses centrales ; que la société Béton Chantiers du Var a formé un recours contre cette décision ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que, la société Béton chantiers du Var fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'en statuant de la sorte et en autorisant le Conseil de la concurrence à substituer à une demande tendant objectivement au retour aux prix pratiqués en novembre 1993, une mesure consistant à fixer un plancher de prix par rapport à un coût moyen variable de production déterminable mois par mois, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs en violation de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, en vertu duquel le Conseil de la concurrence n'a pas compétence pour déterminer les mesures conservatoires et peut seulement prendre " celles qui lui sont demandées par le ministre de l'Economie, par les personnes mentionnées au deuxième alinéa de l'article 5, ou par les entreprises " ; alors, d'autre part, qu'il résulte des termes de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ainsi que des termes des articles 12 et 15 du décret du 29 décembre 1986 que la demande de mesures conservatoires, si elle peut être présentée à tout moment, doit être motivée et justifie l'allocation de délais pour la production des mémoires ou des observations qu'elle provoque, ce dont il résulte que le simple exposé oral par le rapporteur de la nouvelle mesure conservatoire envisagée lors de la séance d'audition, n'est aucunement suffisante pour assurer le principe du contradictoire ; que, dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés ainsi que l'article 18 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, de surcroît, qu'en enjoignant à la société Béton chantiers du Var de cesser de vendre à un prix unitaire inférieur au coût moyen variable de production tel qu'il résulte de la comptabilité analytique établie mensuellement, le Conseil de la concurrence n'a pas ordonné " la suspension d'une pratique préexistante " ni " le retour à l'état antérieur " mais émis une norme commerciale entièrement nouvelle et qu'en refusant de sanctionner l'excès de pouvoir ainsi commis, la cour d'appel a violé l'article 12, alinéa 3, de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ; alors, enfin, que toute mesure conservatoire prise au titre de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 doit être strictement limitée à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence et que ne respecte pas cet impératif la mesure consistant en la fixation d'une marge destinée à durer aussi longtemps que l'instruction au fond de l'affaire en cours, terme indéfini par nature et qui ne répond aucunement à la condition d'urgence visée par le texte ; que dès lors, la décision attaquée viole le texte susvisé ;
Mais attendu, en premier lieu, que s'il résulte des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 que le Conseil de la concurrence, après avoir été saisi au fond, peut à la demande du ministre de l'Economie ou d'une partie prendre des mesures conservatoires pour faire cesser des pratiques manifestement illicites, celles-ci peuvent revêtir des formes diverses sous réserve qu'elles restent strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que l'injonction faite par le Conseil aux entreprises de cesser de vendre du béton prêt à l'emploi à un prix unitaire inférieur à son coût moyen variable de production tel qu'il résultait de la comptabilité analytique établie mensuellement par chacune des entreprises concernées pour chacune de ses centrales, ce coût s'entendant du coût du ciment, des granulats et des adjuvants et des autres matières premières entrant dans la composition du produit ainsi que du coût de l'énergie, augmentés, hormis les cas de livraison sous centrale, du coût de livraison sur chantier était, dans l'immédiat et jusqu'à ce qu'elle ait pris les mesures définitives permettant de rétablir l'ordre public économique, la décision provisoire la plus efficace pour faire cesser les pratiques de prix dénoncées, la cour d'appel a pu statuer ainsi qu'elle l'a fait ;
Attendu, en second lieu, qu'il ne résulte pas des dispositions de l'article 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 15 du décret du 29 décembre 1986 que ces textes imposent des délais pour la production des mémoires ou des observations qu'elle provoque ; que la cour d'appel, après avoir énoncé que le principe de la contradiction doit s'apprécier au regard de la procédure d'urgence prévue par les articles précités, et, après avoir constaté que le rapporteur avait, tant en ce qui concerne les intérêts en cause qu'en ce qui concerne la formulation de l'injonction proposée au Conseil, exposé oralement l'affaire en présence des parties a décidé, à bon droit, que celles-ci avaient pu " sans que cela soit contesté " s'exprimer les dernières et débattre contradictoirement des mesures proposées ;
Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que, la société Béton chantiers du Var fait grief à l'arrêt de lui avoir enjoint " jusqu'à l'intervention de la décision au fond, de cesser de vendre directement ou indirectement, dans un rayon de 25 kilomètres autour de la ville de Toulon, du béton prêt à l'emploi à un prix unitaire inférieur à son coût moyen variable de production tel qu'il résulte de la comptabilité analytique établie mensuellement pour chacune des entreprises concernées pour chacune de ses centrales ", alors, selon le pourvoi, d'une part, que le non-respect d'une norme (le coût moyen variable de production défini par rapport à certains éléments sélectionnés) édictée par le Conseil de la concurrence à l'occasion du présent litige et qui n'était donc pas opposable à la société Béton chantiers du Var à l'époque des faits litigieux, ne saurait caractériser une pratique illicite au sens des articles 7, 8 et 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, de sorte qu'en se fondant sur le fait que deux ventes ponctuellement effectuées en novembre 1993 auraient été inférieures au coût moyen variable de 304,17 francs calculé a posteriori par le Conseil de la concurrence selon sa propre méthode, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ; qu'au surplus l'arrêt attaqué laisse dépourvue de toute réponse, en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, l'objection formulée par la société Béton chantiers du Var selon laquelle les sociétés ne pouvaient à l'évidence être en mesure de respecter pour les ventes opérées au cours du mois de novembre 1993, le coût moyen variable de production qui ne pouvait être établi qu'à la fin de ce même mois ; alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait, sans priver sa décision de base légale au regard des articles 7, 8 et 12 de l'ordonnance, caractériser l'existence de prix prédateurs en procédant à une comparaison anormale entre les prix de vente unitaires pratiqués par la société Béton chantiers du Var et les coûts variables moyens qui auraient été seuls disponibles en l'état de la procédure d'urgence, sans rechercher comme elle y était invitée par la société Béton chantiers du Var et par l'attestation d'un commissaire aux comptes versée au débats si une comparaison raisonnable entre les coûts moyens variables et les prix moyens n'excluait pas toute pratique illicite pour la période considérée ; alors, de troisième part, que la cour d'appel ne pouvait pas davantage refuser de procéder à une comparaison entre les prix de vente unitaires et les coûts variables unitaires, dont elle reconnaît cependant le bien-fondé, sous prétexte que s'il était possible de connaître, grâce aux factures, les prix de vente unitaires, les coûts variables moyens auraient été seuls disponibles en l'état de la procédure d'urgence, sans se contredire aussitôt en relevant que les coûts variables unitaires n'ont pas connu une variation d'une amplitude notable, ce dont il résulte que cette donnée était elle aussi connue ; que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
et alors, enfin et subsidiairement, que même si on devait par impossible admettre la possibilité de comparer certains prix de vente unitaires aux coûts moyens variables comme le fait l'arrêt attaqué en considération du fait que les variations desdits coûts n'ont pas subi au cours de la période considérée une amplitude notable et que le rapprochement fait par le Conseil de la concurrence n'est pas en conséquence entaché d'incohérence, l'écart relevé par la cour d'appel entre les deux prix de vente unitaires de 300 francs retenus à l'encontre de la société Béton chantiers du Var et le coût moyen variable de 304,17 francs (1/72e) n'apparaît pas lui-même suffisamment notable pour justifier l'incrimination, de sorte qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 7, 8 et 12 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel, après avoir rappelé que le prix " prédateur " se définit comme étant le prix de vente unitaire d'un produit inférieur au coût variable de celui-ci, a relevé à bon droit que, dans le cadre de la procédure d'urgence dont il était saisi, le Conseil ne pouvait se prononcer qu'en se référant aux coûts variables moyens des produits ; qu'ayant alors constaté que sur la courte période concernée les coûts variables unitaires n'avaient pas connu de variations d'une amplitude notable, la cour d'appel a pu décider sans se contredire et sans avoir à suivre la société Béton chantiers du Var dans le détail de son argumentation, que le rapprochement fait par le Conseil entre les prix de vente unitaires et les coûts variables moyens permettait de déceler l'existence d'une entente par la pratique de prix " prédateurs " ;
Attendu, en second lieu, que c'est par une appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a estimé que la différence entre les prix de vente unitaires pratiqués par la société Béton chantiers du Var pour la période considérée et le coût moyen variable du produit qu'elle commercialisait était suffisamment significative pour justifier l'injonction qui lui était faite ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.