AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois janvier mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire de LAROSIERE de CHAMPFEU, les observations de Me CHOUCROY, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DINTILHAC;
Statuant sur le pourvoi formé par : - THIEBAUT Z...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de NANCY, chambre correctionnelle, en date du 25 janvier 1996, qui, pour abus de confiance, faux et usage de faux, l'a condamné à 2 ans d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve pendant 18 mois et 50 000 francs d'amende, a ordonné la confiscation des scellés, et a prononcé sur les réparations civiles;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 406 et 408, alinéa 1, anciens du Code pénal applicables en la cause, 7, 8, 203 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription de l'action publique;
"aux motifs adoptés des premiers juges qu'il ressort du dossier qu'après avoir vainement contacté à de nombreuses reprises Emile B... aux fins d'obtenir des éclaircissements quant au remboursement de la somme de 650 000 francs, Jane X... a fait délivrer à l'intéressé deux sommations interpellatives les 13 mai et 6 juillet 1987;
"que ce n'est pas en 1985 mais à la première sommation, à laquelle Emile B... a répondu que "les sommes que M. Y... a versées à mon compte ont servi à régler diverses dettes personnelles à lui-même", que Jane X... a constaté le refus d'Emile B... de restituer les fonds en cause;
"qu'en application d'une jurisprudence constante en la matière, c'est à bon droit que le parquet, puis le juge d'instruction ont fixé le délit d'abus de confiance au 13 mai 1987, point de départ de la prescription et date à laquelle le détournement est apparu et a pu être constaté;
"qu'en outre, si le réquisitoire supplétif de M. le procureur de la République en date du 17 décembre 1991 visant l'abus de confiance a bien été pris plus de trois ans après la sommation interpellative, il n'y a pas lieu de considérer que la prescription était acquise dans la mesure où contrairement aux allégations d'Emile B..., il y a bien connexité, au sens de l'article 203 du Code de procédure pénale entre les infractions du faux et celle d'abus de confiance, les faux en question (les cinq reconnaissances de dettes Michel Contant, A..., Perrin et Dampierre ainsi que la reconnaissance de dette Y... du 10.10.1983) ayant servi de support au délit d'abus de confiance puisqu'établis par Emile B... pour justifier le détournement des 650 000 francs opéré par ses soins;
"que cette connexité a pour effet, qu'un acte interruptif de prescription concernant une infraction produit effet à l'égard de l'autre et qu'au cas d'espèce, la prescription ayant été interrompue en matière de faux et d'usage le 30 janvier 1990 par le soit-transmis du parquet prescrivant une enquête suite à la plainte déposée par Jane Borne;
"alors que, d'une part, l'effet interruptif de la prescription se limite en principe au fait délictueux précis qui est l'objet de l'acte interruptif; que si, pour les infractions connexes, il est admis, dans certains cas, que l'effet interruptif s'étend aux faits délictueux que vise l'acte de poursuite à des faits connexes, encore faut-il que les faits incriminés soient connexes et répondent à la définition de l'article 203 du Code de procédure pénale; que tel n'est pas le cas des faits d'abus de confiance et de faux et usage; que, par suite, le point de départ de la prescription du délit d'abus de confiance étant fixé au 13 mai 1987, à la date du réquisitoire supplétif du 17 décembre 1991, la prescription était acquise; que, pour en avoir autrement décidé, la Cour n'a pas légalement justifié sa décision;
"alors, d'autre part, que n'interrompt pas la prescription le soit transmis du parquet prescrivant une enquête; que, par suite, la prescription n'a pas été interrompue par le soit-transmis prescrivant une enquête à la suite de la plainte de Jane Borne du chef de faux et usage; qu'ainsi, la prescription était acquise à la date du réquisitoire supplétif du 17 décembre 1991";
Attendu que les juges, en énonçant que le prévenu a détourné des fonds, puis fabriqué et utilisé une fausse reconnaissance de dettes pour tenter de dissimuler ses agissements, ont caractérisé, entre les infractions d'abus de confiance, de faux et d'usage de faux poursuivies, l'existence d'un lien de connexité, qui résulte de l'identité de leur auteur et de leur objet ainsi que de la communauté de leur résultat;
Attendu qu'en cet état, après avoir constaté que le délai de prescription triennale concernant les faits d'abus de confiance a commencé à courir le 13 mai 1987, c'est à bon droit les juges relèvent qu'il a été interrompu, le 30 janvier 1990, par une réquisition du procureur de la République prescrivant une enquête préliminaire, pour les faits connexes de faux et d'usage de faux;
Que le moyen ne saurait, dès lors, être admis ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 406 et 408 anciens du Code pénal, 314-1 et 441-1 du nouveau Code pénal, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de faux et usage d'abus de confiance;
"aux motifs adoptés des premiers juges que le demandeur a bien reconnu lors de son audition (cote D 11) confirmée devant le magistrat instructeur (cote D 25) avoir reçu de M. Y... mandat de placer la somme de 650 000 francs auprès d'emprunteurs;
"qu'à l'audience, le demandeur a maintenu son système de défense consistant à nier les faits, à prétendre que les gendarmes lui avaient extorqué des aveux, en faisant eux-mêmes les questions et les réponses;
"qu'il admettait cependant, contrairement à ce qu'il avait déclaré lors de son audition du 22 janvier 1992 par le magistrat instructeur, que les gendarmes n'étaient pas présents dans le bureau du juge au moment où il avait été mis examen le 17 décembre 1991;
"qu'il ajoutait aussi, que s'il s'était rétracté le 22 janvier 1992, ce n'était plus en raison des faux aveux passés antérieurement sous la pression et la panique, mais en raison de sa maladie;
"que, pareillement, après avoir affirmé, que M. Y... lui avait remis 2 fois 650 000 francs, il revenait sur ses déclarations en déclarant qu'en réalité il n'avait reçu que 650 000 francs;
"qu'en outre, il prétendait que les dettes contractées par M. Y... à l'égard de MM. A..., Contant, Michel, Perrin et Dampierre étaient des dettes de jeu, élément nouveau dont il n'avait jamais fait état antérieurement et qui aurait pu donner lieu à vérification dans le cadre de l'instruction;
"qu'aux questions précises et embarrassantes qui lui étaient posées, il opposait la perte de mémoire et la maladie pour ne pas répondre, argument qu'il invoquait également pour expliquer le fait qu'il n'ait pas contesté les expertises graphologiques pourtant défavorables à son égard, ou se contredisait, affirmant à quelques minutes d'intervalle, une chose puis son contraire;
"que l'ensemble de ces éléments suffisent à établir la culpabilité du prévenu;
"alors que, conformément aux principes généraux qui régissent la charge de la preuve en matière pénale, c'est à la partie poursuivante, ministère public et partie civile qu'il appartient d'établir la culpabilité du prévenu et non à ce dernier de prouver son innocence; que, dès lors, en admettant que la culpabilité du demandeur était établie, sous prétexte que le demandeur avait fait des déclarations contradictoires au cours de l'instruction, sans établir la culpabilité du prévenu et sans caractériser les éléments constitutifs des infractions incriminées, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision";
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve, a, par des motifs exempts d'insuffisance, et adoptés des premiers juges, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable;
D'où il suit que le moyen, qui remet en discussion devant la Cour de Cassation l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, et la valeur des éléments de preuve, soumis au débat contradictoire, ne saurait être accueilli;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 2, 3 et 5 du Code de procédure pénale, 593 du même Code, défaut de motifs, manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à payer à la partie civile la somme de 650 000 francs à titre de dommages-intérêts;
"aux motifs adoptés des premiers juges que Jane X... a déposé plainte pour usage de faux après avoir saisi la juridiction aux fins de voir condamner le demandeur à lui payer une somme de 650 000 francs, correspondant au montant des fonds qui avaient été remis à ce dernier, de son vivant par M. Y..., aux fins de placement et non restitués depuis; que le demandeur consentait à dédommager Jane Borne au cours de l'année 1992;
"que la constitution de partie civile de Jane Borne devant la juridiction pénale est recevable dans la mesure où, par application du principe selon lequel le criminel tient le civil en état, la victime n'a pas à se désister de sa demande pendante devant la juridiction civile tant que la présente décision pénale n'a pas acquis un caractère définitif; que Jane X... a bien subi un préjudice matériel résultant de la perte de jouissance de la somme de 650 000 francs;
"alors que deux actions, ayant la même cause, opposant les mêmes parties et ayant le même objet, constituent en fait la même action, laquelle ne peut en aucune façon être portée d'abord devant le juge civil, puis devant le juge pénal; qu'en l'espèce, la partie civile ayant saisi préalablement le juge civil d'une action en paiement d'une somme de 650 000 francs correspondant à celle qui aurait été détournée ne pouvait se constituer partie civile du chef d'abus de confiance dès lors que les deux procédures entre les mêmes parties ont même nature, même cause et même objet; qu'ainsi, les juges du fond ont violé l'article 5 du Code de procédure pénale";
Attendu qu'il résulte des motifs du jugement adoptés par l'arrêt que si Jane X... a exercé son action devant la juridiction civile compétente avant de porter sa demande devant le juge pénal, celui-ci a été saisi par le procureur de la République avant qu'un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile;
D'où il suit que le moyen ne peut qu'être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Culié conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. de Larosière de Champfeu conseiller rapporteur, MM. Roman, Schumacher, Martin, Pibouleau, Mme Chanet, M. Blondet conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme de la Lance conseillers référendaires;
Avocat général : M. Dintilhac ;
Greffier de chambre : Mme Ely ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;