AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIEME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par la société du Moulin de Gargilesse, société à responsabilité limitée, dont le siège est 131, place des Quinconces, 84200 Carpentras,
en cassation d'un arrêt rendu le 8 novembre 1994 par la cour d'appel de Bourges (1e chambre), au profit :
1°/ de la société Union des assurances de Paris, société anonyme, dont le siège est ...,
2°/ de la société Minergie, au siège social de la société Sofimo, dont le siège est ...,
3°/ de M. Patrick X..., ès qualités à la liquidation de la SARL Minergie, demeurant ...,
défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt;
LA COUR, en l'audience publique du 1er octobre 1996, où étaient présents : Mlle Fossereau, conseiller doyen faisant fonctions de président et rapporteur, MM. Chemin, Fromont, Villien, Cachelot, Martin, Guerrini, conseillers, M. Nivôse, Mme Masson-Daum, conseillers référendaires, M. Sodini, avocat général, Mlle Jacomy, greffier de chambre;
Sur le rapport de Mlle Fossereau, conseiller doyen faisant fonctions de président, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la société du Moulin de Gargilesse, de la SCP Célice et Blancpain, avocat de la société Union des assurances de Paris, les conclusions de M. Sodini, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Sur les deux moyens, réunis :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bourges, 8 novembre 1994), que la société du Moulin de Gargilesse (MDG) ayant commandé la réalisation d'une microcentrale hydroélectrique en 1985 à la société Minergie, assurée par l'Union des assurances de Paris (UAP), a assigné cette entreprise et son assureur en invoquant des désordres de construction et l'insuffisance de production de l'installation;
Attendu que la société MDG fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes contre l'UAP, alors, selon le moyen, "1°) qu'aux termes de l'article 1792 du Code civil, "tout constructeur d'un ouvrage" est responsable de plein droit envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage des dommages...
qui compromettent sa solidité ou qui l'affectent dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement le rendant impropre à sa destination"; que la cour d'appel relève que la centrale hydroélectrique est un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil, que les désordres affectant l'installation de production d'électricité sont dûs à une faute de conception de la société Minergie, que le bâtiment a pour destination de permettre l'exploitation d'une installation de production industrielle d'électricité; que la cour d'appel constate encore que selon l'expert la centrale est inutilisable, et sa fermeture définitive, inévitable, que la cour d'appel en conclut qu'il y a ruine totale de l'ouvrage; qu'en l'état de ces énonciations et constatations dont il résulte que les désordres affectant l'installation de production d'électricité rendaient l'ouvrage impropre à sa destination et partant relevaient de la garantie décennale, la cour d'appel, qui a décidé que les vices affectant cette installation ne peuvent mettre en jeu la présomption de responsabilité édictée à l'article 1792 du Code civil, a violé cet article; 2°) que, dans ses conclusions, la société MDG se référant au rapport de l'expert, faisait valoir que la centrale était inutilisable, que sa fermeture devait être envisagée, que les désordres étaient dûs à une mauvaise conception de la centrale, que le défaut de conception rendait l'ouvrage incapable de remplir son office, que la distinction que l'UAP prétend faire entre l'immeuble et l'installation industrielle n'a pas de sens puisqu'il s'agit d'un ouvrage unique; qu'en affirmant que la société MDG se plaignait de dommages de deux ordres, d'une part, les malfaçons affectant le bâtiment et les ouvrages périphériques et, d'autre part, une insuffisance de production d'électricité et en statuant séparément sur les (soi-disant) deux ordres de dommages la cour d'appel a dénaturé les conclusions de la société MDG et le rapport de l'expert auquel cette société se référait, violant ainsi l'article 1134 du Code civil; 3°) que tout en constatant que le bâtiment avait pour destination de permettre l'exploitation d'une installation de production industrielle d'électricité, la cour d'appel, qui a décidé que les machines turbines et alternateurs, feraient-elles indissociablement corps avec les ouvrages du bâtiment dans lesquels elles sont situées, ne constituaient pas des éléments d'équipement au sens de l'article 1792-2 du Code civil, a violé cet article; 4°) que la victime de désordres doit être replacée dans la situation où elle se serait trouvée si l'ouvrage avait été construit sans vices; que tout en constatant que les désordres affectant le bâtiment tant dans le gros oeuvre que dans les ouvrages de génie civil périphériques relèvent de la présomption de responsabilité instituée par l'article 1792 du Code civil, qu'à ce titre l'UAP doit sa
garantie à la société MDG et en relevant qu'il y a ruine totale de l'ouvrage, la cour d'appel, qui a débouté la société MDG de ses demandes tendant à la réparation par l'UAP de son préjudice, a violé l'article 1792 du Code civil, ainsi que l'article L. 242-1 du Code des assurances; 5°) qu'aux termes des conditions particulières de la police souscrite auprès de l'UAP par la société Minergie (art.1 du chap.II) les garanties portent sur l'ensemble des opérations de construction dont la déclaration d'ouverture de chantier est postérieure à la date d'effet de la présente police" et (art. 1 du chap.II) la garantie est accordée automatiquement à concurrence de la valeur de chaque opération de construction dont le coût total est inférieur à 40 000 000 de francs; que l'opération de construction désignée est la "construction d'une microcentrale hydroélectrique lieudit "Le Moulin"; que tout en constatant que les désordres affectant le bâtiment tant dans le gros-oeuvre que dans les ouvrages de génie civil périphériques relevaient de la garantie décennale et qu'il y avait ruine totale de l'ouvrage, la cour d'appel, qui a débouté la société MDG de toutes ses demandes en réparation, a violé l'article 1134 du Code civil; 6°) qu'aux termes des conditions particulières de la police (art.2 du chap. III), "Garantie des dommages immatériels après réception", la garantie est limitée à 10 % de l'opération de construction sans pouvoir excéder pour toute la durée de cette garantie la somme de 500 000 francs et que selon l'article 4 des conditions générales la garantie du présent contrat porte sur les dommages immatériels subis par le propriétaire ou l'occupant de la construction et résultant directement d'un risque garanti en vertu des articles 2 et 3 (art. 2 : dommages matériels à la construction engageant la responsabilité de l'assuré au titre des articles 1792 et 1792-2 du Code civil); qu'en déboutant la société MDG de sa demande en réparation des dommages immatériels, savoir les loyers payés aux bailleurs de fonds et la perte d'exploitation, tout en relevant que les désordres affectant le bâtiment et les ouvrages périphériques de génie civil relevaient de la garantie décennale et qu'il y avait ruine totale de l'ouvrage, ce dont il résulte que les dommages immatériels invoqués résultaient directement d'un risque garanti en vertu de l'article 2 des conditions générales et que la garantie de l'UAP portait également sur ces dommages immatériels, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil";
Mais attendu qu'ayant, sans dénaturation, constaté que les préjudices allégués consistaient, d'une part, en des désordres affectant des ouvrages de génie civil extérieurs et le bâtiment abritant la salle des machines, d'autre part, dans l'insuffisance de la production de courant par rapport aux prévisions du contrat, et ayant retenu, d'une part, que la société MDG demandait seulement le remboursement de travaux de conservation du site, inutilement engagés selon l'expert et la reconstruction de la centrale, ce que ne pouvait faire un assureur, d'autre part que la non-conformité contractuelle de la production électrique ne relevait pas de la couverture de la police "garantie décennale" en l'absence de vice de fonctionnement de l'installation, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société du Moulin de Gargilesse aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Troisième chambre civile , et prononcé à l'audience publique du six novembre mil neuf cent quatre-vingt-seize par Mlle Fossereau, conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile.