AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-neuf octobre mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire de LAROSIERE de CHAMPFEU, les observations de la société civile professionnelle Jean-Jacques GATINEAU et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL;
Statuant sur le pourvoi formé par : - X... Bernard,
- Z... Jean-Claude,
- LA SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE Z... ET
X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 9ème chambre, en date du 14 juin 1995, qui, pour fraudes fiscales, a condamné Bernard X... à 1 an d'emprisonnement avec sursis et 50 000 francs d'amende, Jean-Claude Z... à 1 an d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende, a ordonné l'affichage et la publication de la décision, et a prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile;
Sur le pourvoi en tant qu'il est formé par la société civile professionnelle Z... et X... :
Attendu que la société civile professionnelle Z... et X..., faute d'avoir la qualité de partie dans la présente procédure, n'est pas recevable à se pourvoir en cassation contre l'arrêt attaqué;
Sur le pourvoi en tant qu'il est formé par Bernard X... et Jean-Claude Z... :
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L. 228, alinéa 1, et R. 228-2 du Livre de procédures fiscales, 591 et 593 du Code de procédure pénale;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité soulevée par Jean-Claude Z... et Bernard X... du chef de la nullité de la plainte déposée par l'administration fiscale;
"aux motifs que les premiers juges ont rappelé avec pertinence que les prescriptions des articles L. 228 et R. 288-2 du Livre des procédures fiscales étaient seules prescrites à peine de nullité, les contribuables ayant régulièrement été informés de la saisine de la CIF et invités selon les formes prévues par ces textes à communiquer leurs observations éventuelles; qu'ils ont également rappelé à bon droit que la mention sur les avis de la CIF de l'autorité ministérielle ayant saisi la Commission, se trouve authentifiée par la signature de son président, et que, dans ces conditions, les exigences légales ont été respectées ;
que, par ailleurs, en ce qui concerne les trois avis de la CIF, concernant, d'une part, la SCP Rivet-Benezet, et à travers elle, Jean-Claude Z... et Bernard X..., en qualités d'associés, et d'autre
part, Jean-Claude Z... et Bernard X..., à titre personnel, les premiers juges ont relevé opportunément que ce n'est qu'ensuite que les plaintes ont été remises par l'administration des Impôts entre les mains du ministère public, et que les citations ont été délivrées contre les prévenus, personnes physiques, seules susceptibles d'être alors poursuivies pour le délit de fraude fiscale;
"alors que la saisine par le ministre de l'Economie et des Finances de la commission des infractions fiscales, laquelle ne peut se saisir d'office, étant le premier acte nécessaire au déclenchement des poursuites, l'Administration doit justifier de l'existence et de la régularité de la décision qui l'a saisie, et dont le contribuable est fondé à contester la légalité devant le juge judiciaire; qu'en jugeant que la mention, dans l'avis de la commission, que cet avis était conforme "à la proposition du ministre délégué, chargé du Budget, de déposer plainte", suffisait à attester de l'existence et de la régularité de la saisine de la commission par l'autorité compétente, la cour d'appel a violé les textes susvisés";
Attendu que, pour rejeter l'exception prise de ce que le dossier ne comporterait pas la décision du ministre saisissant la Commission des infractions fiscales, les juges relèvent que les avis rendus dans la présente procédure par cette Commission contiennent les indications permettant de connaître l'autorité qui l'a saisie;
Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'il appartenait aux prévenus, demandeurs à l'exception, de démontrer l'inexactitude des mentions de documents administratifs auxquelles, par nature, se trouve attachée une présomption d'authenticité, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué;
Que le moyen ne saurait, dès lors, être admis ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 12, 256, 1741 et 1750 du Code général des impôts, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motif et manque de base légale;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Claude Z... et Bernard X... coupables des faits visés par la poursuite et les a condamnés, en répression, à une peine de 1 an d'emprisonnement avec sursis et à des peines d'amendes, et dit qu'ils seraient solidairement tenus avec la société civile professionnelle au paiement des impôts fraudés et des pénalités;
"aux motifs propres et adoptés que, bien qu'ayant accepté le principe du redressement qui a été notifié, les prévenus contestent le caractère intentionnel des minorations de déclarations constatées ;
qu'ils invoquent qu'il y a eu, tout au plus, un décalage, l'impossibilité de constater les provisions ou de comptabiliser des frais à payer résultant du caractère non commercial de l'activité exercée faisant obstacle à ce que soit déclarée, au cours d'un seul exercice, la totalité des encaissements et notamment les avances sur frais ou provisions qui sont réclamées lors de l'ouverture d'un dossier dont la clôture n'interviendra qu'au cours des exercices futurs; qu'ils font valoir, que s'agissant des encaissements non déclarés pour l'année 1987, des régularisations au titre d'honoraires complémentaires sont intervenues au cours des deux exercices suivants à hauteur de 210 703 francs, soit pour la moitié du montant retenu par le vérificateur; que, toutefois, un "décalage" n'apparaît pas exclusif de l'intention frauduleuse, dans la mesure où il permet au contribuable de différer la déclaration d'une partie de son chiffre d'affaires et le règlement de la TVA en rattachant à des exercices ultérieurs les recettes qui auraient dû être déclarées dès leur encaissement; qu'il n'apparaît pas que cet argument puisse être soutenu; que l'hypothèse d'un décalage, qui suppose à tout le moins, que les encaissements soient demeurés, à juste titre, comptabilisés en compte client, est en effet exclue, s'agissant d'encaissements dont il a été constaté qu'au cours de l'exercice vérifié ils avaient été déjà virés au compte "étude" sans affecter les comptes de recettes et appréhendés par les associés, qui se sont évidemment gardés de les faire figurer sur les états 2035; que le caractère spontané d'une régularisation, opérée au titre des exercices 1988 et 1989 n'apparaît en l'espèce nullement démontré, eu
égard à la date d'avis de vérification reçue par la société civile professionnelle le 31 janvier 1989; que l'importance des recettes qui ont été perçues par les prévenus, soit 1 925 946 francs par rapport au bénéfice déclaré de l'exercice 2 719 091 francs confirme le caractère délibéré des minorations de recettes; que, s'agissant des charges estimées abusives, le vérificateur a relevé que les dépenses relatives aux frais de véhicule, transport et réceptions des deux associés ont atteint 969 740 francs en 1986 et 914 588 francs pour 1987, soit 142 % d'augmentation par rapport à l'exercice précédent; que ces frais n'ont été comptabilisés qu'à concurrence de 533 144 francs en 1986 et 814 588 en 1987, le reste venant augmenter de manière extra-comptable les charges figurant sur les déclarations de bénéfices non commerciaux 2035; que le mode de comptabilisation des dépenses à partir de la globalisation des relevés de cartes bancaires ne permettait pas de rapprocher les sommes comptabilisées des pièces justificatives produites; qu'enfin, lesdits justificatifs n'apparaissent pas probants soit en la forme (récépissés de carte bancaire non accompagnés de factures) soit au fond (dépenses Ted Y... de 100 000 francs par an, restaurants situés dans les environs des domiciles, résidences secondaires ou lieux de vacances des associés); que les prévenus, sans remettre en cause les constatations de vérificateur, se limitent à invoquer que l'activité de conseil et de gestion exercée les conduit à des fréquents déplacements tant à Paris qu'en province; que les pièces remises, qui correspondent pour l'essentiel à des relevés de carte bancaire, non appuyés par des factures et afférents à des dépenses les plus diverses, ou à des notes de restaurant et d'hôtel établies, pour certaines, tant au nom de l'associé qu'à celui de son conjoint, ne sont pas de nature à remettre en cause les constatations du vérificateur quant au caractère non probant des justificatifs produits; que l'absence de comptabilisation d'une partie de ces frais et leur importance excluent que les majorations de charges n'aient pas été délibérément opérées pour minorer le bénéfice de la société civile professionnelle et, par la même, le revenu imposable;
"1°) alors qu'en laissant sans réponse le moyen des demandeurs, qui faisaient valoir qu'à l'époque de leur perception par les associés, les sommes litigieuses, faute de règlement définitif des comptes-clients correspondants et du paiement des frais et débours éventuels, ne pouvaient qualifiées de recettes soumises à ce titre au paiement de la TVA et à l'impôt sur le revenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés;
"2°) alors que le juge répressif doit déduire l'intention frauduleuse d'éléments propres à la caractériser; qu'en déduisant l'élément intentionnel du délit de fraude fiscale de la seule énonciation que les recettes réintégrées par le vérificateur étaient "importantes", la cour d'appel a méconnu les textes susvisés;
"3°) alors qu'en déclarant les prévenus coupables de fraude fiscale au seul motif que certaines des charges professionnelles déduites étaient apparues excessives ou injustifiées au vérificateur, la cour d'appel n'a pas davantage justifié sa décision au regard des textes susvisés";
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les délits de soustraction frauduleuse à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu et de la taxe sur la valeur ajoutée dont elle a déclaré les prévenus coupables;
D'où il suit que le moyen, qui remet en discussion devant la Cour de Cassation l'appréciation souveraine par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ne saurait être accueilli;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
Par ces motifs,
I - Sur le pourvoi en tant qu'il est formé par la société civile professionnelle Z... et X... :
Le déclare IRRECEVABLE ;
II - Sur le pourvoi en tant qu'il est formé par Bernard X... et Jean-Claude Z... :
Le REJETTE ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Culié conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. de Larosière de Champfeu conseiller rapporteur, MM. Roman, Schumacher, Martin, Pibouleau, Blondet conseillers de la chambre, M. de Mordant de Massiac, Mme de la Lance conseillers référendaires;
Avocat général : M. Amiel ;
Greffier de chambre : Mme Nicolas ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;