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24/10/1996 | FRANCE | N°95-85817

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 octobre 1996, 95-85817


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire de la LANCE, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de la société civile professionnelle PEIGNOT et GARREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL;

Statuant sur les pourvois formés par : - Y... Bernard,

- MEMET A...,

- C

HAMBRAS Bernard,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, en date d...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire de la LANCE, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, et de la société civile professionnelle PEIGNOT et GARREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL;

Statuant sur les pourvois formés par : - Y... Bernard,

- MEMET A...,

- CHAMBRAS Bernard,

contre l'arrêt de la cour d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, en date du 10 octobre 1995, qui, après relaxes partielles, les a condamnés, le premier, pour ingérence et recel d'abus de confiance, à 18 mois d'emprisonnement avec sursis et 5 ans d'inégibilité, les deux autres, pour complicité d'abus de confiance, à 6 mois d'emprisonnement avec sursis, et tous trois solidairement, à des réparations civiles;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi de Bernard Chambras :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit à l'appui du pourvoi ;

II - Sur les pourvois des autres demandeurs :

Vu les mémoires produits ;

Sur le premier moyen de cassation présenté par Bernard Y... pris de la violation des articles 175 du Code pénal abrogé, applicable au moment des faits, 432-12 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Bernard Y... coupable du délit d'ingérence (prise illégale d'intérêts) et a prononcé, en conséquence, des condamnations pénales et civiles à son encontre;

"aux motifs que c'est pour couvrir divers débits et en particulier celui de la SARL "le Journal de la Dordogne", dont il était le gérant de fait puisqu'il était au moins hebdomadairement tenu informé de la marche du journal par les gérants de droit, que Bernard Y..., en sa qualité de président du Conseil général de la Dordogne, a fait inscrire à l'ordre du jour du bureau du 18 mars 1991 le vote d'une attribution supplémentaire de subvention de 535 000 francs en faveur de la fédération départementale Léo B...; qu'en procédant ainsi à l'occasion d'un acte dont il avait la surveillance, Bernard Y... a mis en place le lien matériel dont il espérait ensuite tirer avantage; que le délit d'ingérence est dès lors constitué dès le vote du 18 mars 1991, l'intervention de Michel Belin, président de la fédération, qui a consisté à céder la créance, n'ayant nullement tendu à parfaire en ses éléments matériels la prise illégale d'intérêts, mais seulement visé à en assurer l'exécution;

"alors, d'une part, que la fédération départementale Léo B... pouvait légalement prétendre à l'attribution d'une subvention supplémentaire, puisqu'un fonds de réserve de 570 000 francs avait été constitué dans ce but dès le 14 décembre 1990; qu'il s'ensuit que ce n'est pas le vote, le 18 mars 1991, de la subvention de 535 000 francs qui était irrégulier, mais le fait de couvrir le découvert du compte du "Journal de la Dordogne" au moyen d'une partie de cette subvention ;

que cette affectation irrégulière n'a été rendue possible que par la cession de créance intervenue en avril 1991, acte auquel, selon les propres énonciations de la cour d'appel, Bernard Y... n'a pas participé; que, dès lors, c'est à tort que la cour d'appel a estimé que le délit d'ingérence était constitué à son égard;

"alors, d'autre part, que le délit d'ingérence suppose une prise d'intérêts; qu'en se bornant, pour affirmer que Bernard Y..., simple associé minoritaire du "Journal de la Dordogne", avait un intérêt à voir couvrir le découvert du compte du journal dès lors qu'il était le "gérant de fait" et "véritable patron" de la société éditrice du journal, à énoncer qu'il était hebdomadairement informé de la marche du journal, sans préciser en quoi Bernard Y... disposait de pouvoirs effectifs de gestion et de contrôle, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision";

Attendu que, pour déclarer Bernard Y... coupable d'ingérence, en tant que président du conseil général de la Dordogne, et de recel d'abus de confiance au préjudice de la fédération départementale Léo B..., l'arrêt attaqué énonce que, dans le but d'apurer des comptes débiteurs au Crédit Mutuel du Sud-Ouest, et en particulier celui de la SARL "le Journal de la Dordogne", dont il était associé et dirigeant de fait, il a fait inscrire à l'ordre du jour du bureau du 18 mars 1991 le vote d'une subvention supplémentaire de 535 000 francs en faveur de la fédération précitée, sachant que ces fonds étaient en réalité destinés pour partie à combler le découvert bancaire du journal relevant de son obédience politique; que, la prise illégale d'intérêts étant constituée dès le vote du 18 mars 1991, il n'importe que l'opération dissimulée derrière ce vote n'ait pu aboutir qu'en vertu de la cession de créance consentie ultérieurement sur la subvention, à hauteur de 260 000 francs, par le président de la fédération, au profit de la SARL "le Journal de la Dordogne";

Attendu qu'en l'état de ces motifs procédant de son appréciation souveraine des faits de la cause, la cour d'appel a justifié la condamnation de Bernard Y... du chef d'ingérence;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Attendu que la peine et le principe de la responsabilité civile étant justifiés par la déclaration de culpabilité du chef d'ingérence, il n'y a pas lieu d'examiner le deuxième moyen de cassation proposé par ce demandeur;

Sur le troisième moyen de cassation présenté par Bernard Y... pris de la violation des articles 2 et 593 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, défaut de motifs, manque de base légale, méconnaissance du principe de la réparation intégrale des préjudices;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Bernard Y..., solidairement avec Michel X..., Bernard Z... et Christian C..., à payer à la fédération Léo B... la somme de 535 000 francs, en réparation de son préjudice matériel;

"aux motifs qu'il y a lieu de faire droit à la prétention de la partie civile visant à la condamnation des prévenus à lui verser la somme de 535 000 francs, montant de la subvention détournée;

"alors qu'il résulte des propres constatations du jugement confirmé par l'arrêt attaqué (jugement p. 9) que l'EURL "le Grand Verre" avait pour actionnaire unique la fédération départementale Léo B..., et que la subvention de 535 000 francs attribuée à cette fédération a été employée à combler le découvert du compte de la société "le Journal de la Dordogne" à hauteur de 260 000 francs, le solde ayant servi à combler le déficit de l'EURL "le Grand Verre", c'est-à-dire a été employé dans l'intérêt de la fédération; qu'il s'ensuit que celle-ci ne pouvait prétendre qu'à une réparation à hauteur de 260 000 francs; qu'en allouant à la fédération Léo B... une réparation de 535 000 francs, la cour d'appel a procédé à une réparation excédant le préjudice de la partie civile, en violation du principe de la réparation intégrale des préjudices" ;

Attendu que, pour condamner Bernard Y..., solidairement avec ses co-prévenus Michel X..., Christian D... et Bernard Z... déclarés définitivement coupables d'abus de confiance et de complicité de ce délit par détournement de la subvention de 535 000 francs, au paiement de ladite somme, à titre de dommages-intérêts, à la fédération Léo B..., partie civile, l'arrêt attaqué relève que la solidarité doit être étendue au receleur en raison de la connexité entre l'infraction par laquelle les deniers ont été détournés et le recel de ces mêmes deniers, fût-il partiel;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que les juges du fond disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation pour déterminer, dans les limites des conclusions des parties, le montant de l'indemnité due à la partie civile pour réparer le préjudice causé par l'infraction, la cour d'appel n' a violé aucun des textes invoqués;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le premier moyen de cassation présenté par Christian C..., pris de la violation de la loi des 16 et 24 août 1790, de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale;

"en ce que la Cour s'est déclarée compétente pour statuer sur l'action civile engagée par la fédération Léo B... à l'encontre de Christian D..., directeur général des services du département de la Dordogne et l'a ainsi condamné à lui verser, solidairement avec les autres prévenus, des dommages et intérêts;

"aux motifs que "Christian D..., directeur de services départementaux n'est pas à ce titre ordonnateur du département comme il est vrai les premiers juges l'ont relevé à tort et d'ailleurs de façon surabondante; qu'il est également exact, comme il le soutient encore à juste titre, qu'il n'est pas établi qu'il ait participé sous quelque forme que ce soit à la transmission de l'acte de cession de créance une fois celui-ci revêtu le 17 avril 1991 de la signature de Michel Belin, comme pourtant le tribunal semble l'avoir admis; qu'il n'en demeure pas moins que le prévenu, en étroite relation avec les responsables du CMSO, s'est chargé d'élaborer à l'usage de Michel Belin le mécanisme selon lequel ce dernier s'est rendu coupable de l'abus de confiance commis au préjudice de la fédération Léo B... et d'adapter ledit mécanisme après divers tâtonnements aux contraintes de la comptabilité publique; qu'il importe peu à cet égard que les modalités définitives retenues par lui fussent entachées d'irrégularités en regard des règles qui gouvernent la cession de créance Dailly, circonstance qui ne fait nullement disparaître le caractère délictuel de son action ;

qu'en effet, le prévenu a agi avec connaissance étant dès l'origine au fait du projet de détournement de la subvention votée à la fédération Léo B...";

"alors, d'une part, que la faute d'un agent public, même constitutive d'un délit, ne revêt pas nécessairement le caractère d'une faute personnelle seule justiciable de la juridiction judiciaire, de sorte qu'en se reconnaissant compétente pour statuer sur la responsabilité civile du directeur général des services du département de la Dordogne sans rechercher si la faute imputée à celui-ci présentait le caractère d'une faute personnelle détachable de la fonction, la Cour n'a pas donné de base légale à sa décision;

"alors, d'autre part, que la responsabilité personnelle d'un agent public ne peut être retenue par le juge judiciaire que si les faits reprochés sont détachables du service, c'est-à-dire commis dans une intention malveillante ou pour satisfaire un intérêt personnel étranger au service public, de sorte qu'en l'espèce, les faits reprochés au prévenu n'étant pas détachables des fonctions de directeur général des services du département de la Dordogne assumées par le prévenu, seule la responsabilité de la collectivité publique pouvait être engagée ;

qu'en le condamnant cependant à des dommages-intérêts, la Cour a violé les principes et textes susvisés";

Sur le second moyen de cassation présenté par Christian D..., pris de la violation des articles 59, 60, 406 et 408 du Code pénal, applicable au moment des faits, 121-7, 314-1 du nouveau Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt a déclaré Christian D... responsable des faits de complicité d'abus de confiance qui lui étaient reprochés et a prononcé à son encontre une condamnation à des dommages et intérêts;

"aux motifs que "Christian D..., directeur des services départementaux, n'est pas à ce titre ordonnateur du département comme il est vrai les premiers juges l'ont relevé à tort et d'ailleurs de façon surabondante; qu'il est également exact, comme il le soutient encore à juste titre, qu'il n'est pas établi qu'il ait participé sous quelque forme que ce soit à la transmission de l'acte de cession de créance une fois celui-ci revêtu le 17 avril 1991 de la signature de Michel Belin, comme pourtant le tribunal semble l'avoir admis; qu'il n'en demeure pas moins que le prévenu, en étroite relation avec les responsables du CMSO, s'est chargé d'élaborer à l'usage de Michel Belin le mécanisme selon lequel ce dernier s'est rendu coupable de l'abus de confiance commis au préjudice de la fédération Léo B... et d'adapter ledit mécanisme après divers tâtonnements aux contraintes de la comptabilité publique; qu'il importe peu à cet égard que les modalités définitives retenues par lui fussent entachées d'irrégularités en regard des règles qui gouvernent la cession de créance Dailly, circonstance qui ne fait pas disparaître le caractère délictuel de son action; qu'en effet le prévenu a agi avec connaissance étant dès l'origine au fait du projet de détournement de la subvention votée à la fédération Léo B...";

"et aux motifs adoptés que même s'il a longtemps soutenu que ce sont les responsables du CMSO qui ont pris l'initiative de lui proposer de procéder par voie de cession de créance, affirmation sur laquelle il est par ailleurs largement revenu et formellement démentie par les banquiers, il n'en est pas moins certain qu'il a signé dans un premier temps une acceptation de cession de créance afin de permettre la réalisation comptable du détournement et a transmis sous sa signature la cession de créance signée par Michel Belin, ses fonctions d'ordonnateur le mettant au coeur d'un processus de détournement, acte frauduleux dont il admet avoir eu une connaissance précise après le vote de la subvention;

"alors que les éléments constitutifs de la complicité exige que soit caractérisé un lien de causalité entre l'acte du complice et la perpétration du délit commis par l'auteur principal, de sorte qu'en l'espèce, la cour d'appel qui n'a pas établi le lien matériel entre le fait pour Christian C... de signer un acte nul en droit le 28 mars 1991 et l'abus de confiance commis le 17 avril 1991 par Michel Belin, sans lequel sa responsabilité ne pouvait être retenue, n'a pas donné de base légale à sa décision";

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour déclarer Christian D..., directeur général des services du département de la Dordogne, complice, par aide et assistance, de l'abus de confiance consistant dans le détournement de la subvention de 535 000 francs allouée à la fédération Léo B..., et le condamner de ce chef au paiement solidaire de dommages-intérêts, l'arrêt attaqué retient que, s'il n'était pas ordonnateur des dépenses du département et s'il n'est pas établi qu'il ait participé à la transmission de l'acte de cession de créance, le prévenu, en étroite relation avec les responsables du Crédit Mutuel du Sud-Ouest, s'est chargé d'élaborer le mécanisme selon lequel le président de la fédération s'est rendu coupable de l'abus de confiance et d'adapter ce mécanisme aux contraintes de la comptabilité publique; qu'il a agi en connaissance de cause, étant, dès l'origine, au fait du projet de détournement de la subvention;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, d'où se déduit le caractère détachable de la faute intentionnelle commise par Christian D..., des fonctions publiques qu'il exerçait, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, matériels et intentionnel, la complicité d'abus de confiance dont elle a déclaré Christian D... coupable et justifié l'obligation de réparation mise à sa charge;

D'où il suit que les moyens, qui, pour le surplus, manquent en fait et se fondent sur des motifs non repris des premiers juges, doivent être écartés;

Et attendu que l'arrêt est régulier en forme ;

REJETTE les pourvois ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Roman conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme de la LANCE conseiller rapporteur, MM. Schumacher, Martin, Pibouleau conseillers de la chambre, MM. de Mordant de Massiac, de Larosière de Champfeu conseillers référendaires;

Avocat général : M. Amiel ;

Greffier de chambre :Mme Mazard ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


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