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09/07/1996 | FRANCE | N°95-81058

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 09 juillet 1996, 95-81058


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf juillet mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, de la société civile professionnelle PEIGNOT et GARREAU et de la société civile professionnelle NICOLAY et de LANOUVELLE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DINTILHAC;

Statuant sur les pourvois formés par :

-

B... Monique,

- Y... Roger, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le neuf juillet mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller SCHUMACHER, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIE, de la société civile professionnelle PEIGNOT et GARREAU et de la société civile professionnelle NICOLAY et de LANOUVELLE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DINTILHAC;

Statuant sur les pourvois formés par :

- B... Monique,

- Y... Roger, partie civile,

contre l'arrêt de la cour d'appel de LIMOGES, chambre correctionnelle,

en date du 25 janvier 1995, qui, pour escroqueries, a condamné Monique B... à 5 ans d' emprisonnement, dont 2 ans avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans, à 5 ans d'interdiction des droits civiques, civils et de famille, et, après relaxe de la prévenue du chef d'escroquerie au préjudice de Roger Y..., a débouté celui-ci de sa demande;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

I - Sur le pourvoi de Monique B... : Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 405 de l'ancien Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Monique B... coupable d'escroquerie commise au préjudice des consorts G... et l'a condamnée à leur payer divers dommages-intérêts;

"aux motifs que, entendue par les services de gendarmerie après avoir déposé plainte par lettre du 5 mai 1993, Anne G... a expliqué que Monique B..., professeur d'accordéon de sa petite fille s'était, au cours du mois de septembre 1991, présentée à son domicile en pleurant et lui aurait révélé qu'elle allait prochainement voir mourir sa petite fille, son gendre puis par la suite sa fille, lui proposant, toutefois, ses services pour conjurer ce mauvais sort; qu'elle était revenue le lendemain accompagnée d'Irène Z..., trésorière du club d'accordéon et avait, en présence de sa fille et de son gendre, procédé à un désenvoûtement, utilisant un pendule pendant qu'Irène Z... lançait du sel dans les pièces et annonçant finalement que c'était tellement grave qu'il fallait qu'elle aille à Lourdes;

qu'une semaine plus tard, elle était revenue et lui avait donné des représentations de la vierge, des médailles et des cierges et lui avait demandé 75 000 francs pour le service rendu et que la prévenue a bien usé de prédictions et de mises en scène afin de persuader de l'existence d'un pouvoir imaginaire, en l'espèce celui de lever le mauvais sort;

"alors qu'il se déduit des motifs de l'arrêt que la remise n'a été déterminée ni par des mises en scène, ni par l'espérance de bénéficier du pouvoir imaginaire de la prévenue mais librement consentie et que dès lors, les faits n'étaient pas punissables en vertu des dispositions de l'article 405 de l'ancien Code pénal";

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation de l'article 405 de l'ancien Code pénal, des articles 463, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Monique B... coupable d'escroqueries commises au préjudice des époux A..., de Marie-Thérèse E..., de Didier E..., des époux D... et des époux F... et la condamnée à leur verser divers dommages-intérêts; "aux motifs que, lors de leur dépôt de plainte, les époux A..., Marie-Thérèse E..., Didier E..., les époux D..., Magali D... et les époux F... sont venus expliquer comment Monique B... qu'ils connaissaient en qualité de professeur d'accordéon, leur avait fait part de prédictions malheureuses généralement relatives au décès d'un ou de plusieurs membres de leur famille très proche et avait ensuite proposé ses services et ses pouvoirs surnaturels afin de lever le mauvais sort planant sur leur maison, précisant qu'après avoir accepté que Monique B... procède à leur domicile aux séances de désenvoûtement, ils avaient été amenés à lui verser souvent en plusieurs fois des sommes importantes;

que les déclarations des victimes, aussi bien lors de l'enquête, qu'à l'audience de la Cour font apparaître un mode d'opérer parfaitement identique et correspondant en tous points à celui également décrit par la famille G..., notamment en ce qui concerne les séances de désenvoûtement (épandage de sel, utilisation d'un pendule constitué par une chaîne en or au bout de laquelle il y avait une montre, remise de médaille, prières);

que les remises de fonds alléguées par ces victimes sont établies en ce qui concerne les époux D..., Didier E... et les époux E... par les copies des chèques établis par ceux-ci et dont l'enquête démontre qu'il ont été encaissés par Monique B... directement sur son compte ou par l'intermédiaire du compte de son père ainsi que par un mandat carte envoyé par Marie-Thérèse E... à Monique B...;

que, s'agissant des époux A... et des époux F..., les retraits en espèce que font apparaître les livrets de caisse d'épargne des intéressés, viennent corroborer leurs déclarations relatives à ces remises de fonds;

"1 - alors qu'il ne résulte pas des énonciations de l'arrêt que les remises de fonds aient été déterminées par les manoeuvres;

"2 - alors que dans ses conclusions régulièrement déposées, Monique B... sollicitait un supplément d'information aux fins de rechercher si, comme l'attestaient les doubles des factures, contradictoirement versés aux débats par elle devant les premiers juges, elle avait bien vendu aux consorts E... le 7 avril 1992 du matériel sono pour un montant de 48 550 francs ;

que ce chef de conclusions était péremptoire et qu'en se bornant à refuser dans le dispositif de sa décision le complément d'information demandé sans s'expliquer spécialement sur ce point, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision";

Sur le troisième moyen, pris de violation des articles 405 de l'ancien Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Monique B... coupable d'escroquerie commise au préjudice de Monique Y...;

"aux motifs que le 7 avril 1992, Roger Y... a déposé plainte auprès de la brigade de gendarmerie de Saint-Flour en indiquant que son épouse se trouvait sous l'emprise d'une femme dont il ignorait l'identité mais qui se disant voyante prédisait des évènements malheureux pour la famille et obtenait la remise de sommes importantes;

que l'enquête a permis d'identifier Monique B... comme étant celle à qui Monique Y... téléphonait pratiquement tous les jours, voir plusieurs fois par jour et d'établir qu'elle avait reçu de cette dernière 2 mandats cartes de 3 000 francs chacun les 21 et 30 mai 1991;

qu'avec beaucoup de réticence, Monique Y... admettait l'envoi de ces 2 mandats ainsi que la remise d'autres petites sommes à Monique B...;

que de son côté, après avoir nié être bénéficiaire de quelconques sommes, Monique B... entendue le 6 mai 1993, devait reconnaître avoir été destinataire des 2 mandats des 21 et 30 mai 1991 et avoir reçu lors de déplacement dans le Cantal d'autres sommes variant entre 1 500 francs et 4 000 francs ainsi que des victuailles en remerciement des services qu'elle rendait à Monique Y... en l'écoutant au téléphone et en la consolant de ses malheurs;

que Christiane X..., épouse Y..., devait révéler avoir prêté 20 000 francs à sa belle-soeur Monique Y... qui lui avait demandé cette somme afin de la verser à une nommée Monique qui devait arrêter les mauvais sorts jetés sur la famille et empêcher que son fils Eric n'ait un accident;

que de même, Laurence Y..., tant lors de ses dépositions aux services de gendarmerie que lors de son audition par la Cour, a fait état des prédictions malheureuses faites à sa mère par Monique B... et des sommes versées à celle-ci pour chasser le mauvais sort, précisant même, qu'une fois sa mère lui avait demandé de retirer 4 000 francs sur son compte bancaire afin de les donner à Monique B...;

"alors que même s'il a entraîné la remise d'une somme d'argent, le mensonge en tant que tel n'est pas punissable en application de l'article 405 de l'ancien Code pénal dès lors que, comme en l'espèce, il ne s'y joint ni acte extérieur lui donnant force et crédit, ni mise en scène, ni intervention d'un tiers et que dès lors l'arrêt attaqué, qui n'a relevé de la part de la prévenue que des coups de fil au cours desquels celle-ci se disait voyante, prédisait des évènements malheureux, écoutait la victime au téléphone et la consolait de ses malheurs, ne pouvait légalement entrer en voie de condamnation à l'encontre de Monique B... du chef d'escroquerie"; Les moyens étant réunis ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué, partiellement reproduites au moyen et du jugement qu'il confirme mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance et de contradiction, a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs, tant matériels qu'intentionnel, les délits d'escroquerie dont elle a déclaré la prévenue coupable;

D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause ainsi que de la valeur des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis;

II - Sur le pourvoi de Roger Y... : Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 405 du Code pénal, abrogé postérieurement à la commission des faits, 313-1 alinéa 1 et 2, 313-7, 313-8, 131-26, 131-27, 131-31, 131-35 du Code pénal, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a débouté Roger Y... de l'ensemble de ses demandes dirigées contre Monique B... et Irène Z...;

"aux motifs qu'aucun élément recueilli au cours de l'enquête et des débats n'est venu établir que Roger Y... ait remis directement ou indirectement une somme quelconque à Monique B...;

que le délit d'escroquerie ne peut donc être constitué à son égard; que Monique B... et Irène Z... ont été relaxées pour les infractions qui leur étaient reprochées d'avoir commis au préjudice de Roger Y...;

que le fait que ce dernier soit commun en bien avec son épouse Monique Y..., ne saurait lui conférer la qualité de victime directe de l'infraction commise au préjudice de celle-ci;

"alors que le délit d'escroquerie est constitué non seulement lorsque l'escroc s'est fait remettre directement par la victime des fonds, meubles, obligations, dispositions, billets, promesses, quittances ou décharges, mais encore lorsque cette remise est obtenue indirectement en conséquence de la réussite de la machination frauduleuse mise en oeuvre;

que dès lors, en l'espèce, il importait peu, pour que les infractions fussent constituées, que les somme en litige remises en conséquence de manoeuvres frauduleuses des prévenues, ne l'eussent pas été directement par Roger Y...;

qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen";

Vu lesdits articles, ensemble les articles 2 et 3 du Code de procédure pénale;

Attendu que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention, appartient à tous ceux qui en ont personnellement et directement souffert;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que Monique B..., qui avait prédit à Monique Y... des événements malheureux devant l'atteindre, elle ou des membres de sa famille, a proposé, moyennant rémunération, de mettre à son service les pouvoirs surnaturels dont elle prétendait disposer pour "chasser le mauvais sort";

qu'avec l'assistance d'une amie, Irène Z..., elle s'est livrée à une séance de désenvoûtement et a prescrit à la victime divers actes rituels à accomplir;

que Monique Y... a remis à Monique B..., en plusieurs versements, la somme totale de 70.000 francs;

Attendu que le tribunal correctionnel, après avoir condamné Monique B... pour escroquerie et Irène C... pour complicité de ce délit au préjudice des époux Y..., a alloué à Roger Y..., qui s'était seul constitué partie civile, diverses sommes à titre de dommages-intérêts;

Attendu que, pour relaxer les prévenues du chef d'escroquerie et complicité de ce délit au préjudice de Roger Y... et débouter celui-ci de ses demandes, les juges du second degré énoncent que les sommes escroquées ont été remises par l'épouse du plaignant et qu'il n'est établi par aucun élément de la procédure que ce dernier ait lui-même versé une somme quelconque aux prévenues, de sorte qu'il ne saurait invoquer un préjudice résultant directement de l'infraction;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'elle avait relevé que les époux Y... étaient communs en biens et qu'il n'était pas contesté que les fonds remis provenaient de la communauté, la cour d'appel a méconnu les textes et principe susvisés;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs,

I - Sur le pourvoi de Monique B... :

Le REJETTE ;

II - Sur le pourvoi de Roger Y... :

CASSE ET ANNULE l' arrêt de la cour d' appel de Limoges, en date du 25 janvier 1995, mais en ses seules dispositions civiles concernant ce demandeur, et pour qu'il soit jugé à nouveau conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Poitiers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Limoges, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus;

Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Jean Simon conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Schumacher conseiller rapporteur, MM. Martin, Aldebert, Grapinet, Challe conseillers de la chambre, Mmes Verdun, de la Lance conseillers référendaires;

Avocat général : M. Dintilhac ;

Greffier de chambre : Mme Nicolas ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 95-81058
Date de la décision : 09/07/1996
Sens de l'arrêt : Cassation rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

(Sur le pourvoi de R. B.) ACTION CIVILE - Recevabilité - Escroquerie - Epoux communs en bien - Fonds remis provenant de la communauté.


Références :

Code de procédure pénale 2 et 3
Code pénal 313-1

Décision attaquée : Cour d'appel de Limoges, chambre correctionnelle, 25 janvier 1995


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 09 jui. 1996, pourvoi n°95-81058


Composition du Tribunal
Président : Président : M. Jean SIMON conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1996:95.81058
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