AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par :
1°/ M. Marc Z..., demeurant ...,
2°/ Mme Odile D..., épouse X..., demeurant Ermitage Blanche Rose, ...,
3°/ Mme Andrée Y..., épouse Z...,
4°/ M. Christophe Z...,
5°/ M. Jacques Z..., demeurant tous trois ...,
6°/ M. Jean-Claude Z..., demeurant ...,
7°/ Mme Oriane Z..., demeurant ...,
8°/ Mme Jacqueline Z..., épouse A..., demeurant ...,
9°/ Mme Françoise B..., demeurant ...,
10°/ M. Michel C..., gérant de tutelle de M. Bernard Z... pour le compte de qui il agit, demeurant CHS de Perray-Vaucluse, 91360 Epinay-sur-Orge,
11°/ Mme Geneviève E..., demeurant ...,
12°/ M. Yves G..., demeurant ...,
en cassation d'un arrêt rendu le 17 mars 1993 par la cour d'appel de Paris (15e chambre, section A), au profit :
1°/ de la société Thoraval, dont le siège est ...,
2°/ de la société Royale Pierre, société à responsabilité limitée, dont le siège est ...,
3°/ de la compagnie Union des assurances de Paris (UAP), dont le siège est ...,
défenderesses à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt;
LA COUR, en l'audience publique du 13 février 1996, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Fouret, conseiller rapporteur, Mmes Lescure, Delaroche, M. Sargos, Mme Marc, MM. Aubert, Cottin, Bouscharain, conseillers, M. Laurent-Atthalin, Mme Catry, conseillers référendaires, Mme Le Foyer de Costil, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre;
Sur le rapport de M. le conseiller Fouret, les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, avocat des consorts Z..., de Mmes X..., B..., E... et de MM. G... et C..., ès qualités, de Me Odent, avocat de la société Thoraval et de la compagnie Union des assurances de Paris (UAP), les conclusions de Mme Le Foyer de Costil, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que, depuis le 1er octobre 1976, la société Joubert et André, devenue la société Thoraval (la société), avait reçu un mandat des consorts Z..., propriétaire indivis d'un immeuble comportant plusieurs locaux commerciaux, pour administrer celui-ci; qu'un bail de ces locaux avait été consenti à M. F... par l'auteur des mandants; que, soupçonnant ce locataire de sous-louer les locaux sans respecter les conditions du bail, la société lui a fait délivrer un congé avec refus de renouvellement et d'indemnité d'éviction pour le 1er janvier 1977; qu'un second congé, délivré pour le 1er janvier 1989, a été validé par un arrêt du 23 décembre 1991 qui a commis un expert pour évaluer le préjudice résultant pour les bailleurs des sous-locations irrégulières et condamné M. F... à leur payer une provision de 300 000 francs; qu'imputant à la société des négligences dans l'exécution de sa mission, les consorts Z... l'ont assignée en réparation des préjudices résultant de l'absence de réévaluation du loyer, demeuré au même montant depuis 1976, de la non-application des dispositions de l'article 21, alinéa 3, du décret du 30 septembre 1953, enfin de la résiliation, irrégulière selon eux, du mandat par la mandataire; que les consorts Z... ont, en outre, demandé a être garantis par la société des sommes dues par M. F... en exécution de l'arrêt du 23 décembre 1991 ;
qu'ils ont été déboutés de ces demandes par l'arrêt confirmatif attaqué (Paris, 17 mars 1993);
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que les consorts Z... font grief à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leur action en responsabilité, alors que, d'une part, en affirmant que l'intervention d'un avocat, dont il avait été constaté qu'elle avait eu lieu à la requête du gérant, avait cantonné ce dernier à un simple rôle d'auxiliaire, sauf pour les actes de gestion courante, sans indiquer les documents lui ayant permis de relever un tel fait, contesté par les mandants, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard des articles 1991 et 1992 du Code civil; alors que, d'autre part, en décidant que le mandataire n'avait commis aucune faute bien que s'étant abstenu de procéder pendant plus de dix ans à la révision triennale du loyer et d'exiger les augmentations de celui-ci prévues par l'article 21, alinéa 3, du décret du 30 septembre 1953, sans préciser en quoi ses initiatives excédaient les actes de gestion courante, la cour d'appel aurait encore privé sa décision de base légal au regard des mêmes textes; alors que, enfin, il n'aurait pas été répondu aux conclusions invoquant la carence du mandataire au sujet de l'entretien de l'immeuble;
Mais attendu, sur les deux premiers griefs, que l'arrêt attaqué a relevé qu'à la suite de la notification du premier congé, avec refus de renouvellement pour le terme du bail, M. F... avait fait trois propositions, dont celle d'un nouveau loyer, que la société avait transmises à ses mandants en indiquant que le nouveau loyer proposé était proche de celui indiqué dans le congé et supérieur au loyer résultant de l'application des indices; que les consorts Z... n'avaient pas donné suite à ces propositions; que, devant leurs hésitations, la société, après avoir fait constater les sous-locations consenties par M. F..., avait conseillé aux consorts Z..., en raison de la complexité du dossier, de s'adresser à un avocat; que les consorts Z... avaient acquiescé à cette idée et fait choix, en octobre 1977, d'un avocat, en lui demandant de diligenter toutes procédures utiles à leurs intérêts; que le mandat donné à cet avocat avait pris fin en 1990; que celui-ci avait écrit à la société qu'il lui paraissait contradictoire de demander la révision triennale du loyer après avoir notifié au locataire un congé avec refus de renouvellement; que le locataire s'était prévalu d'une lettre du 23 décembre 1991; que la cour d'appel a pu en déduire que la société n'avait pas commis les négligences qui lui étaient reprochées, sa décision étant ainsi légalement justifiée, abstraction faite du motif surabondant critiqué par le moyen;
Attendu, sur le troisième grief, que si les consorts Z... avaient soutenu devant la cour d'appel que l'état actuel de l'immeuble était imputable à la carence de l'administrateur de biens qui avait laissé le locataire principal tirer le plus grand profit des lieux sans jamais le contraindre à la réalisation des travaux nécessaires, ils avaient précisé, cependant, qu'ils avaient été contraints de se défendre devant la juridiction administrative pour éviter d'avoir à effectuer des travaux confortatifs onéreux dans un immeuble destiné à la vente et à la démolition; que la cour d'appel n'était pas tenue de répondre à ces conclusions inopérantes qui admettaient que les propriétaires de l'immeuble avaient eux-mêmes refusé d'engager les dépenses nécessaires à la réalisation des travaux dont ils avaient la charge;
Sur le deuxième moyen :
Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les mandants de leur demande de dommages-intérêts pour le préjudice causé par la brusque dénonciation du mandat par le mandataire, alors qu'en décidant que la société n'avait pas à respecter le préavis contractuel de trois mois, la cour d'appel aurait violé les articles 1134 et 2007 du Code civil;
Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt attaqué a relevé que la société avait résilié le mandat après avoir été assignée en responsabilité pour incompétence et mauvaise foi, en adressant sa lettre le 1er août 1990 pour le 30 septembre suivant; que la cour d'appel a pu en déduire que, bien qu'il n'ait pas respecté le préavis contractuel de trois mois, le mandataire, qui avait été dans l'impossibilité de poursuivre sa mission sans subir un préjudice n'avait commis aucune faute; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli;
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt déboute la société Thoraval de sa demande en garantie des sommes dues par M. F... en exécution de l'arrêt prononcé le 23 décembre 1991;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, alors que c'était les consorts Z... qui avaient demandé que la société Thoraval fût condamnée à leur payer les sommes dues par M. F... en exécution de l'arrêt précité, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé le texte susvisé;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté la société Thoraval de sa demande en garantie des sommes dues par M. F... en exécution de l'arrêt prononcé le 23 décembre 1991, l'arrêt rendu le 17 mars 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Paris; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée;
REJETTE les demandes formées tant en demande qu'en défense en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile , et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-six mars mil neuf cent quatre-vingt-seize.