AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le trente et un janvier mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller Jean SIMON, les observations de Me CHOUCROY, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DINTILHAC ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- A... Jacques, contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 5ème chambre, du 2 juin 1994, qui, pour infractions au Code de la construction et de l'habitation, l'a condamné à 8 mois d'emprisonnement avec sursis et à 30 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 261-10, L. 261-12, L. 261-15, L. 261-17 et L. 261-18 du Code de la construction et de l'habitation, 408 de l'ancien Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jacques A... coupable d'avoir exigé un versement avant la signature d'un contrat de vente à terme de maison individuelle et ayant reçu des acomptes à l'occasion de ventes d'immeubles à construire, détourné ces sommes en refusant de les restituer bien que l'opération de construction n'ait pas été réalisée ;
"aux motifs que les investigations effectuées en cours d'information ont révélé que le prévenu dirigeait, outre son entreprise de construction, une agence immobilière à la tête de laquelle il avait placé sa concubine et que dans la plupart des cas, le client qui contractait directement avec lui, s'engageait également à acquérir un terrain par l'intermédiaire de l'agence immobilière ;
qu'il en est ainsi notamment pour les parties civiles qui ont déposé plainte à son égard pour n'avoir pu récupérer, après l'échec du projet envisagé, les acomptes à lui versés et qui l'ont toujours considéré comme dirigeant de l'agence immobilière ;
"que ces éléments de fait démontrent que Jacques A... procurait à ses cocontractants, directement ou indirectement un terrain, que c'est donc en méconnaissance de la législation particulièrement stricte en la matière qu'il était censé connaître en sa qualité de professionnel, qu'il a fait signer à ses clients des contrats de construction de maisons individuelles alors qu'il aurait dû leur faire signer des contrats conformes aux articles L. 261-2 et L. 261-3 du Code de la construction et de l'habitation ;
qu'en réalité il apparaît que le prévenu a entendu tourner les exigences légales ;
"que les contrats passés avec les parties civiles étant manifestement nuls pour n'avoir pas respecté les dispositions légales, Jacques A... aurait dû leur restituer les acomptes versés en pure perte ; qu'il tombe incontestablement sous le coup des dispositions de l'article L. 261-18 ;
"alors que, d'une part, si aux termes de l'article L. 261-10 du Code de la construction et de l'habitation, celui qui s'oblige, comme l'a fait le demandeur, à édifier ou faire édifier un immeuble ou une partie d'immeuble à usage d'habitation doit, lorsqu'il procure directement ou indirectement le terrain, conclure à peine de nullité, un contrat conforme aux dispositions des articles 1601-2 et 1601-3 du Code civil, la violation de ces dispositions n'est pas pénalement sanctionnée ni par l'article L. 261-17 ni par l'article L. 261-18 dudit Code qui interdisent seulement l'exigence ou l'acceptation de versements non conformes aux dispositions des articles L. 261-12 et L. 261-15 pour le premier de ces textes, et le détournement des sommes versées dans le cadre d'une vente d'un immeuble à construire pour le second ;
que, dès lors, en entrant en voie de condamnation à l'encontre du demandeur sur le fondement de ce dernier texte, sous prétexte que le prévenu n'avait pas restitué les acomptes qui lui avaient été versés en exécution de ventes d'immeubles en état futur d'achèvement frappées de nullité parce que non conformes aux dispositions de l'article L. 261-10, les juges du fond ont violé l'article L. 261-18 dont ils ont prétendu faire application, le détournement visé par ce texte ne pouvant résulter que de l'emploi, non allégué, en l'espèce, des fonds reçus à une autre fin que celle convenue entre les parties ;
"alors, d'autre part, que l'article L. 261-17 du Code de la construction et de l'habitation ne sanctionnant que l'exigence ou l'acceptation de versements effectués en violation des articles L. 261-12 et L. 261-15 dudit Code et ce dernier texte prévoyant que la vente en état futur d'achèvement peut être précédée d'un contrat préliminaire en exécution duquel l'acquéreur verse un dépôt de garantie en contrepartie de la réservation qui lui est consentie par le vendeur, la Cour a privé sa décision de toute base légale au regard de ce texte en se contentant d'invoquer le versement de fonds par un client du prévenu avant même la signature d'un contrat de vente, pour entrer en voie de condamnation" ;
Attendu que, pour déclarer Jacques A... coupable des infractions poursuivies, la juridiction du second degré retient, d'une part, que le prévenu s'est fait remettre par le souscripteur d'un contrat de "vente à terme d'une maison individuelle" la somme de 20 040,90 francs, avant la signature du contrat et que, d'autre part, il a fait signer à onze acquéreurs, qui tous s'engageaient à acheter également un terrain par son intermédiaire, des contrats de construction de maison individuelle alors qu'il aurait dû leur faire souscrire des conventions conformes aux prescriptions des articles L. 261-2 et L. 261-3 du Code de la construction et de l'habitation relatifs aux ventes d'immeubles à construire ;
Que les juges énoncent qu'après l'échec des projets envisagés ces personnes n'ont pu obtenir restitution des acomptes "versés en pure perte" ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance la cour d'appel, a, contrairement aux allégations du demandeur, fait l'exacte application des textes visés au moyen qui, dès lors, doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 47 de la loi du 25 janvier 1985, 2 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a sursis à statuer sur les demandes formées par Mmes D... et E... et par MM. C..., F...
Z... Silva et Y... à l'encontre du prévenu et sur la recevabilité du recours de celui-ci relativement aux condamnations civiles prononcées à leur profit jusqu'à la mise en cause de Me X..., liquidateur judiciaire à la liquidation judiciaire de Jacques A... ;
"au motif que le jugement déféré a prononcé condamnation de Jacques A... alors en liquidation judiciaire (et donc dessaisi en application de l'article 152 de la loi du 25 janvier 1985) au profit de Mme D..., MM. C..., F...
Z... Silva, Mme E... et M. Y..., sans que le liquidateur judiciaire (il n'a pas été soutenu en l'occurrence que la liquidation judiciaire ait été définitivement clôturée), ait été appelé en cause pour soutenir l'appel relatif à l'action civile et pour défendre à l'action des parties civiles susvisées alors surtout que sa présence s'avérait et s'avère encore nécessaire aux débats en application de l'article 48 de la loi du 25 janvier 1985 ;
"alors qu'aux termes de l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985, le jugement d'ouverture du redressement judiciaire interdit toute action judiciaire des créanciers dont la créance a son origine antérieurement au jugement et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, en sorte qu'à compter du jugement d'ouverture, aucune demande de paiement ne peut être introduite devant les juridictions répressives par une partie civile ;
que, dès lors, en l'espèce, où il résulte des constatations des juges du fond que les parties civiles se sont constituées à l'audience du tribunal plusieurs années après la mise en redressement judiciaire du prévenu suivie d'une procédure de liquidation judiciaire, la Cour a violé le texte susvisé ainsi que l'article 48 de la même loi dont elle a fait une fausse application en ne déclarant pas irrecevables les actions en paiement de dommages-intérêts introduites par les parties civiles après l'ouverture des procédures collectives" ;
Attendu que, pour infirmer le jugement qui avait fait droit aux demandes des parties civiles, les juges d'appel relèvent que Jacques A..., déclaré en liquidation judiciaire, est dessaisi de ses droits en application de l'article 152 de la loi du 25 janvier 1985 et qu'il y a lieu de surseoir à statuer sur les demandes des parties civiles jusqu'à la mise en cause du liquidateur judiciaire ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors qu'en cas de redressement ou de liquidation judiciaire de la personne poursuivie, la constitution de partie civile demeure recevable en ce qu'elle tend seulement à ce que soit fixé le montant du préjudice découlant des infractions poursuivies pour lequel le créancier doit déclarer, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Jean Simon conseiller rapporteur, MM. Blin, Aldebert, Grapinet, Challe, Mistral conseillers de la chambre, Mmes B..., Verdun conseillers référendaires, M. Dintilhac avocat général, Mme Arnoult greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;