AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-sept janvier mil neuf cent quatre-vingt-seize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller ALDEBERT, les observations de la société civile professionnelle BORE et XAVIER, de la société civile professionnelle Le BRET et LAUGIER, et de la société civile professionnelle CELICE et BLANCPAIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général PERFETTI ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- LA MUTUELLE ASSURANCE DES TRAVAILLEURS MUTUALISTES (MATMUT), partie intervenante, contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 8ème chambre, du 13 janvier 1995, qui, dans la procédure suivie contre Adel A... et Khaleb Y..., pour blessures involontaires et infractions au Code de la route, a statué sur l'action publique et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 1er de la loi du 5 juillet 1985, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Adel A... exclusivement responsable des conséquences de l'accident du 12 mai 1992 ;
"aux motifs que les motifs des premiers juges imputant à Khaleb Hamrit son stationnement dangereux masquant un feu rouge, doivent être infirmés ;
qu'en effet, à supposer même que la bétonneuse ait masqué ce feu, la présence du carrefour ne pouvait échapper à un conducteur attentif à raison des feux de rappel, des feux tricolores rétrovisuels et du marquage sur la chaussée d'un passage pour piétons annonçant l'imminence d'un croisement ;
que la visibilité était totale sur la gauche d'où provenait le véhicule de la victime ;
que l'accident n'est dû qu'à l'imprudence d'Adel A... qui a abordé sans précaution et à vitesse excessive un carrefour dont la présence ne pouvait échapper à son attention ;
"alors que se déterminant par ces motifs qui n'excluent pas que la bétonneuse irrégulièrement stationnée et dont le procès-verbal de gendarmerie a constaté qu'elle masquait intégralement le feu tricolore situé dans le couloir d'Adel A... ait joué un rôle dans l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés" ;
Attendu que l'assureur du prévenu, déclaré coupable de blessures involontaires et tenu d'indemniser la victime sur le fondement de l'article 2 de la loi du 5 juillet 1985, n'est pas recevable à opposer à celle-ci le fait d'un coprévenu définitivement relaxé ;
Que le moyen ne peut dès lors être accueilli ;
Mais sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 1134 du Code civil, L 113-3 du Code des assurances, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré la Matmut, assureur d'Adel A..., tenue de garantir les conséquences de l'accident de la circulation survenu le 12 mai 1992 ;
"aux motifs que la police souscrite le 16 avril 1992 subordonnait la garantie à la "réserve, en cas de remise de chèque, que le paiement n'en soit pas refusé par l'organisme sur lequel il a été tiré" ;
que le chèque remis lors de la conclusion du contrat a effectivement été rejeté faute de provision ;
que cependant le contrat a été régulièrement formé par la rencontre des volontés le 16 avril 1992 ;
que le défaut de paiement du chèque ne pouvait entraîner la résolution du contrat conclu mais seulement justifier la mise en oeuvre de l'article L 113-3 du Code des assurances ;
que la Matmut n'a pas judiciairement sollicité la résolution du contrat ;
"1 alors que les parties au contrat du 16 avril 1992 avaient expressément subordonné la prise d'effet de la garantie à l'encaissement du chèque ;
qu'en imposant à la Matmut de couvrir le sinistre nonobstant l'absence constatée, imputable à Adel A..., de paiement de ce chèque faute de provision, la cour d'appel, qui a méconnu les stipulations contractuelles faisant la loi des parties, a violé les textes susvisés ;
"2 alors subsidiairement qu'en ne recherchant pas si, en présence de cette stipulation expresse, la délivrance consciente d'un chèque sans provision par le souscripteur ne trahissait pas l'absence de rencontre des consentements, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision ;
que l'insuffisance ou la contradiction de motifs équivaut à leur absence ;
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué, que, le 16 avril 1992, Adel A... a souscrit, auprès de la Mutuelle Assurance des Travailleurs Mutualistes (Matmut), un contrat d'assurance automobile qui stipulait que la garantie n'était accordée que "sous réserve, en cas de remise de chèque, que le paiement n'en soit pas refusé par l'organisme sur lequel le chèque a été tiré" ;
Que, le 12 mai 1992, le véhicule conduit par Adel A... a été impliqué dans un accident de la circulation ;
que, le même jour, l'assureur lui a dénié sa garantie en faisant valoir que la prime ne lui avait pas été payée, le chèque remis étant sans provision ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de non-garantie de la Matmut, la cour d'appel relève que le contrat d'assurance a été valablement formé par la rencontre des volontés de la Matmut et d'Adel A... le 16 avril 1992 et que, si cette dernière entendait dénier sa garantie pour non-paiement de la prime, elle était tenue de se conformer aux prescriptions de l'article L 113-3 du Code des assurances ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que la garantie stipulée au contrat d'assurance était en réalité subordonnée à la condition suspensive de l'encaissement de chèque afférent à la première prime, la cour d'appel, qui s'est ainsi contredite, a méconnu les textes et le principe ci-dessus énoncés ;
Que la cassation est dès lors encourue ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE, en ses seules dispositions civiles, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 13 janvier 1995, et pour qu'il soit jugé à nouveau, conformément à la loi, dans la limite de la cassation prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Aldebert conseiller rapporteur, MM. Jean Z..., Blin, Carlioz, Grapinet conseillers de la chambre, Mmes X..., Verdun conseillers référendaires, M. Perfetti avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;