AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mlle Claude X..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 16 novembre 1993 par la cour d'appel de Paris (25e chambre A), au profit de la société Hôtel Jouffroy, société à responsabilité limitée, dont le siège est ..., défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 7 novembre 1995, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Grégoire, conseiller rapporteur, M. Renard-Payen, conseiller, M. Roehrich, avocat général, Mlle Barault, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Grégoire, les observations de Me Roger, avocat de Mlle X..., de Me Boullez, avocat de la société Hôtel Jouffroy, les conclusions de M. Roehrich, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que, le 28 octobre 1991, Mlle X... a été victime d'une agression et d'un vol commis dans la chambre qu'elle occupait à l'Hôtel Jouffroy par un client de cet établissement, qui fut condamné, pour ces faits, pénalement ;
qu'elle a assigné la société Hôtel Jouffroy en réparation de son préjudice ;
que l'arrêt attaqué a déclaré la société Hôtel Jouffroy responsable, renvoyé Mlle X... devant les premiers juges pour l'indemnisation de son préjudice corporel, rejeté la demande en réparation du préjudice matériel correspondant à la perte de certains objets dont elle avait signalé la disparition un mois après les faits, et alloué à la victime 10 000 francs en réparation de son préjudice moral ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mlle X... fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande en réparation de ses préjudices, alors, selon le moyen, qu'il n'incombe pas au client de rapporter la preuve d'une faute de l'hôtelier mais de justifier seulement de la matérialité du dépôt, qu'ainsi, en retenant qu'il n'était pas établi que la disparition des objets fût imputable à la société Hôtel Jouffroy, la cour d'appel a violé les articles 1315, 1952 et 1953 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la société Hôtel Jouffroy ne contestait pas avoir manqué à l'obligation de sécurité lui incombant, l'arrêt retient que si Mlle X... a déclaré aux services de police, un mois après les faits, s'être rendue compte de la disparition de certaines affaires, elle n'en a pas alors précisé la nature, qu'elle n'en a pas fait état lors de sa constitution de partie civile et qu'elle n'a adressé aucune réclamation à l'hôtel avant l'assignation, que la cour d'appel a ainsi fait ressortir, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que la preuve de la réalité du dépôt n'était pas rapportée et qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision rejetant la réclamation de Mlle X..., de ce chef ;
Sur le troisième moyen, tel qu'il est énoncé au mémoire en demande et reproduit en annexe :
Attendu que sous le couvert de griefs non fondés de méconnaissance par la cour d'appel de l'étendue de ses pouvoirs et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par les juges du fond de l'évaluation du préjudice moral ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article 562 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la dévolution s'opère pour le tout lorsque l'appel n'est pas limité à certains chefs ;
Attendu que pour renvoyer Mlle X... devant la juridiction du 1er degré pour l'indemnisation de son préjudice corporel, la cour d'appel retient que le tribunal demeure saisi de ce chef de demande sur laquelle il a sursi à statuer ;
Qu'en statuant ainsi alors que par l'effet dévolutif de l'appel elle était saisie de l'entier litige, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en ce que la cour d'appel a renvoyé Mlle X... devant la juridiction du 1er degré pour l'indemnisation de son préjudice corporel, l'arrêt rendu le 16 novembre 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Rejette la demande présentée par la société Hôtel Jouffroy sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne la société Hôtel Jouffroy, envers Mlle X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Paris, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile , et prononcé par M. le président en son audience publique du dix-neuf décembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
1993