AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Louise X., anciennement dénommée Yasmina Y., en cassation d'un arrêt rendu le 6 juillet 1993 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre A), au profit de Mme Michèle Y., divorcée Z., défenderesse à la cassation ;
Mme Y. a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 8 novembre 1995, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Grégoire, conseiller rapporteur, MM. Thierry, Renard-Payen, Chartier, Ancel, Durieux, conseillers, M. Savatier, conseiller référendaire, M. Roehrich, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Grégoire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme X., de la SCP Boré et Xavier, avocat de Mme Y., les conclusions de M. Roehrich, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que des relations de Mme Y. et de Michel X., est née, le 7 mars 1958, une fille prénommée A., qui a été reconnue par ses parents ;
que Michel X. est décédé le 25 septembre 1962 en laissant par lui succéder son père, sa mère et sa fille naturelle ;
que le partage de la succession a été réglé par un accord du 27 juin 1973, en exécution duquel Mme Y. a reçu, en qualité d'administratrice légale sous contrôle judiciaire des biens de sa fille mineure, une somme de 449 020, 09 francs, payée en deux versements ;
que Mme Y., qui n'avait pas sollicité d'autorisation judicaire et n'a rendu aucun compte au juge des tutelles ou à sa fille, a utilisé une partie de ces fonds pour acquérir en son nom personnel un appartement et une boutique ;
que, le 21 juillet 1989, Mme A. Y. l'a assignée en restitution de la somme précité et en paiement, sur le fondement de l'article 453 du Code civil, des intérêts à compter du 27 juillet 1973 ;
qu'elle a également demandé 100 000 francs de dommages-intérêts ; que l'arrêt attaqué (Rennes, 6 juillet 1993) a accueilli la première de ces prétentions, en fixant toutefois le point de départ des intérêts au 7 juin 1976, en application des articles 389-7 et 474 du Code civil, et a rejeté la demande de dommages-intérêts ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que Mme Y. fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à verser à sa fille la somme de 449 020, 09 francs, alors que toute action du mineur contre le tuteur se prescrit par cinq ans à compter de sa majorité et que le délai pour agir ne saurait commencer à courir à compter de la connaissance par le mineur, devenu majeur, du sort des biens à lui dévolus, lorsqu'il s'est abstenu pendant le délai légal de se renseigner auprès des membres de la famille susceptibles de l'informer ;
qu'ayant constaté qu'il aurait suffi à Mme A. Y. de "prendre l'attache de son oncle pour apprendre l'existence du protocole signé par Mme Y. en 1973 et du versement de fonds",
sans pourtant en déduire que l'intéressée n'était plus recevable, douze ans après sa majorité, à agir contre sa mère, faute d'avoir effectuée en temps voulu des démarches indispensables ne présentant pas de difficultés, la cour d'appel aurait violé l'article 475 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt relève que la situation frauduleuse créée et entretenue par Mme Y. n'a été connue de sa fille que par les renseignements fournis à celle-ci à la fin de l'année 1988 par des membres de la famille de son père qu'elle n'avait pas vus depuis l'âge de quatre ans ;
qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel a décidé à bon droit que Mme Y. ne pouvait pas se prévaloir du délai prévu par l'article 475 du Code civil ;
que le moyen ne peut donc être accueilli ;
Et sur le second moyen du pourvoi incident, pris en ses deux branches, tel qu'il est énoncé dans le mémoire en défense et reproduit en annexe :
Attendu que, sous couvert des griefs, non fondés, de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend, en réalité, qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine de la cour d'appel qui a estimé que Mme A. Y. ne rapportait pas la preuve d'un préjudice ;
d'où il suit qu'en aucune de ses branches le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le moyen relevé d'office après application de l'article 1015 du nouveau Code de procédure civile :
Vu l'article 384, 1 , du Code civil ;
Attendu que, selon ce texte issu de la loi n 74-631 du 5 juillet 1974, le droit de jouissance légale cesse lorsque l'enfant a seize ans accomplis ;
Attendu qu'en fixant le point de départ des intérêts de la somme de 449 020,09 francs trois mois après la majorité de Mme A. Y. alors que le droit de jouissance légale de Mme Y.
avait cessé du fait de l'entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 1974 abaissant l'âge de la majorité, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
Rejette le pourvoi principal ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé le point de départ des intérêts dus à Mme A. Y. au 7 juin 1976, l'arrêt rendu le 6 juillet 1993, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;
Laisse les entiers dépens à la charge de Mme Louise X. ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel de Rennes, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile , et prononcé par M. le président en son audience publique du dix-neuf décembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
2005