AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par M. Y..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 24 mars 1993 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre, section B), au profit de la société civile immobilière et agricole Carloz, dont le siège est chez M. de X..., ..., défenderesse à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 30 octobre 1995, où étaient présents : M. Lemontey, président, Mme Delaroche, conseiller rapporteur, M. Fouret, conseiller, M. Sainte-Rose, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Delaroche, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. Y..., de la SCP Guiguet, Bachellier et Potier de La Varde, avocat de la société civile immobilière et agricole Carloz, les conclusions de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les trois moyens réunis, pris en leurs diverses branches, tels qu'ils figurent au mémoire en demande et sont reproduits en annexe au présent arrêt :
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que M. Y..., notaire, a prêté son concours à la société Carloz, propriétaire de divers terrains, en établissant pour le compte de celle-ci trois actes, le premier, en date des 21 juin et 26 juillet 1985, portant vente des terrains au profit de la société Styl Provence (société SP) qui devait y réaliser 15 villas, moyennant la somme de 3 600 000 francs, payable selon certaines modalités au plus tard le 30 novembre 1985, ce délai étant par la suite prorogé jusqu'au 30 août 1986, le deuxième, en date des 10 avril et 20 mai 1986 portant revente des terrains au profit de la société civile, en formation, "Les Jardins du Mont Agel" (la société JMA) au prix de 3 600 000 francs, outre paiement de la somme de 600 000 francs correspondant à une facture de travaux et stipulant que la société SP opérait délégation de sa créance contre la société JMA au profit de la société Carloz qui l'a ainsi déchargée de toutes ses obligations à son égard, le troisième, en date du 31 mai 1986 consistant en une procuration donnée par le gérant de la société Carloz à l'effet de céder l'antériorité des inscriptions de privilège de vendeur que cette société s'était jusque là réservée, au profit de la banque qui consentait à la société JMA un prêt de 3 000 000 francs ; que, devant la défaillance de cette dernière, la banque a fait procéder à la vente par adjudication des terrains, le produit de cette adjudication étant absorbé par sa créance ;
que, reprochant au notaire Y... divers manquements à son devoir de conseil, la société Carloz l'a assigné en paiement de la somme de 3 600 000 francs représentant la perte par elle subie ;
que, retenant que le notaire avait commis des fautes lors de l'établissement de l'acte de revente et de la procuration, mais qu'il ne pouvait être tenu responsable de l'économie générale de l'opération qui résultait d'un choix et de conventions arrêtées sans son concours, l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 mars 1993) l'a condamné à payer à la société Carloz la somme de 1 500 000 francs ;
Attendu que la cour d'appel a retenu que l'acte constatant la revente des terrains par la société SP à la société JMA avec acceptation par la société Carloz de la substitution du nouvel acquéreur aux obligations de la société SP, aboutissait, en raison de son effet novatoire, à constituer la société Carloz seulement créancière d'une société en formation ne présentant aucune garantie particulière de solvabilité ;
qu'elle a par ailleurs retenu que par la procuration contenant mandat de consentir à la cession d'antériorité du privilège de vendeur, la société Carloz, qui acceptait ainsi de laisser primer ses inscriptions par l'hypothèque d'une banque créancière d'une somme équivalente au montant du prix de vente, abandonnait toute garantie de ce prix en cas de défaillance de l'emprunteur ;
que, sans inverser la charge de la preuve, la cour d'appel, qui a aussi considéré que l'absence des capitaux et les difficultés financières auxquelles s'était heurtée jusqu'alors l'exécution du projet immobilier rendaient le risque probable, a pu déduire de ces constatations et énonciations que le notaire avait manqué à son devoir de conseil en s'abstenant d'appeler l'attention de la société Carloz, tant sur les risques inhérents à la perte de son débiteur primitif, que sur les conséquences de sa renonciation à la priorité de ses inscriptions ;
que, par ces seuls motifs, sa décision est légalement justifiée ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y..., envers la société civile immobilière et agricole Carloz, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du douze décembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
1944