AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Le Centre d'éducation spécialisée pour déficients auditifs La Providence, dont le siège est ..., en cassation d'un arrêt rendu le 19 mars 1992 par la cour d'appel de Caen (1re chambre, section civile et commerciale, 1re section), au profit :
1 / de la compagnie d'assurances Le Groupe azur, dont le siège est ...,
2 / de la compagnie Les Assurances générales de France (AGF), prise en la personne de son agent, M.
Toninello, demeurant ..., dont le siège est ...,
3 / de M. Xavier X..., pris en sa qualité de liquidateur de la liquidation des biens de la société MTN, aux lieu et place de M. Lize, demeurant ...,
4 / de M. Di Y..., pris en sa qualité de liquidateur de la liquidation des biens de la société Bruneau, demeurant ..., défendeurs à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 30 octobre 1995, où étaient présents : M. Lemontey, président, Mme Marc, conseiller rapporteur, M. Fouret, Mmes Lescure, Delaroche, MM. Sargos, Aubert, conseillers, M. Laurent-Atthalin, Mme Catry, conseillers référendaires, M. Sainte-Rose, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Marc, les observations de Me Foussard, avocat du Centre d'éducation spécialisée pour déficients auditifs La Providence, de Me Parmentier, avocat de la compagnie d'assurances Le Groupe azur, de Me Vuitton, avocat de la compagnie Les Assurances générales de France (AGF), les conclusions de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte au Centre d'éducation spécialisée pour déficients auditifs La Providence de son désistement de pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la compagnie Les Assurances générales de France ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que par contrat du 31 juillet 1985 le Centre d'éducation spécialisé pour déficients auditifs La Providence (centre La Providence) a confié la construction d'une salle polyvalente de gymnastique à la société Maisons traditionnelles normandes (MTN) qui a souscrit, le 10 décembre 1985, pour la réalisation de ces travaux une police d'assurances "dommages-ouvrages" auprès du groupe d'Assurances mutuelles de France, devenu le Groupe Azur ;
que la société MTN s'est adressée à la société Bruneau pour la fourniture de la charpente ;
que les travaux ont été réceptionnés le 21 mai 1986 ;
qu'à la suite de désordres apparus dans le bâtiment et après expertise prescrite en référé, le centre La Providence a assigné le Groupe Azur, le liquidateur de la société MTN, le liquidateur de la société Bruneau et l'assureur de cette dernière, la compagnie Assurances générales de France en réparation de son préjudice ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que le centre La Providence fait grief à l'arrêt attaqué (Caen, 19 mars 1992) d'avoir fixé à 154 773 francs le montant de la somme que lui devait le Groupe Azur compte tenu de l'application de l'article L. 121-12, alinéa 2, du Code des assurances, alors, selon le moyen, de première part, que l'article 41, alinéa 2, de la loi du 13 juillet 1967, relatif au règlement judiciaire, est inapplicable en cas de liquidation des biens ;
qu'il s'ensuit qu'en déclarant éteintes les créances du centre La Providence sur les sociétés MTN et Bruneau, tout en constatant que ces sociétés avaient été déclarées en liquidation des biens, la cour d'appel a violé les articles 41, alinéa 2, de la loi précitée et L. 121-12 du Code des assurances ;
alors, de deuxième part, qu'en retenant que le centre La Providence n'avait pas produit ses créances entre les mains des syndics des liquidations des biens des sociétés MTN et Bruneau, sans rechercher si le Groupe Azur, en tant qu'assureur, n'avait pas lui-même la faculté de produire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 40 de la loi du 13 juillet 1967 et L. 121-12, alinéa 2, du Code des assurances ;
alors, de troisième part, qu'il appartient à l'assureur, qui prétend que la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en sa faveur, de prouver qu'il a subi un préjudice effectif ;
qu'en statuant comme elle l'a fait, tout en constatant l'existence d'une incertitude quant aux résultats de l'action subrogatoire, si celle-ci avait pu être exercée, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, violant ainsi l'article 1315 du Code civil ;
alors, enfin, qu'en relevant l'existence d'une extrême incertitude quant à la réussite qu'aurait eue une éventuelle action subrogatoire et le fait qu'aucun des créanciers chirographaires de la société MTN n'avait été payé, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant ainsi l'article L. 121-12 du Code des assurances ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel qui, par motifs propres, a relevé que la société MTN et la société Bruneau avaient été mises en liquidation judiciaire, a, par motifs adoptés, précisé que la liquidation judiciaire de la société MTN avait été prononcée par jugement du 18 juillet 1986 et retenu que, faute par le centre La Providence d'avoir, dans les délais prévus par l'article 53, alinéa 2 et 3, de la loi du 25 janvier 1985, déclaré ses créances ou demandé le relevé de forclusion, son droit d'agir à l'encontre de ces sociétés était éteint ;
d'où il suit qu'en sa première branche le moyen, qui se borne à invoquer des dispositions de la loi du 13 juillet 1967, inapplicable en l'espèce, et dont la cour d'appel n'avait pas à faire application, est sans fondement ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'il ne résulte ni des conclusions, ni de l'arrêt attaqué, que le centre La Providence ait soutenu devant la cour d'appel que le Groupe Azur avait, en tant qu'assureur, la possibilité de produire ;
que la cour d'appel n'avait donc pas à faire la recherche prétendument omise ;
Attendu, en troisième lieu, qu'ayant constaté qu'il n'apparaissait pas que les sociétés MTN et Bruneau aient été, pour le chantier litigieux, garanties au titre d'une assurance-responsabilité décennale et qu'ayant relevé que le centre La Providence avait laissé s'éteindre ses actions en responsabilité contre lesdites sociétés de telle sorte que la subrogation ne pouvait plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur "dommages-ouvrages", la cour d'appel n'a pas inversé la charge de la preuve en retenant que ce dernier était fondé à invoquer les dispositions de l'article L. 121-12, alinéa 2, du Code des assurances ;
Attendu, enfin, qu'ayant retenu que la subrogation ne pouvait plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a décidé de décharger, pour moitié, l'assureur de son obligation à garantie envers l'assuré ;
D'où il suit qu'en aucune de ses branches, le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que le Centre La Providence fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande formée contre le Groupe Azur et tendant à l'indemnisation des dommages immatériels liés aux vices dont la construction était affectée alors, selon le moyen, d'une part, que la cour d'appel, qui a retenu l'existence d'une faute commise par le Groupe Azur pour avoir méconnu les règles définies par le Code des assureurs en vue de permettre l'indemnisation et la réparation rapide des désordres mais qui a, sans autre précision, écarté l'application de l'article 1382 du Code civil, a privé sa décision de base légale ;
alors, d'autre part, que la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale pour n'avoir pas recherché si, à la supposer établie, la faute éventuellement commise par le Centre La Providence, dès lors qu'elle ne constituait pas un événement de force majeure, ne faisait pas tout au plus obstacle à une réparation intégrale ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la police en cause ne couvrait pas les dommages immatériels, la cour d'appel a retenu à la charge du Centre La Providence, et non pas à celle du Groupe Azur, l'existence d'une faute commise pour non-respect des règles prévues par le Code des assurances en vue de permettre une réparation rapide des désordres ;
qu'elle en a déduit que le Centre La Providence était mal fondé à réclamer au Groupe Azur, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à titre de préjudice complémentaire, l'indemnisation de ses dommages immatériels ;
qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision sans encourir les griefs du moyen ;
Sur les demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que le Centre La Providence réclame au Groupe Azur une somme de 10 000 francs sur le fondement de ce texte ;
Mais attendu que seule la partie supportant les dépens peut être condamnée en application de ce texte ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Rejette la demande formée par le Centre La Providence sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Condamne le Centre La Providence à payer à la compagnie Assurances générales de France une somme de 10 000 francs, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Le condamne également, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du douze décembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
1927