AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-neuf novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller SIMON, les observations de Me Le PRADO , Me BARADUC-BENABENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Le FOYER de COSTIL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- A... Alain, - LE X... Mireille, épouse A...,
parties civiles, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de ROUEN du 8 décembre 1994 qui, dans l'information suivie contre Laurence Y..., épouse GUILLEMETTE du chef d'homicide involontaire, a confirmé l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 319 ancien du Code pénal, R. 11-1, R. 14 et R. 19 du Code de la route, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit n'y avoir pas lieu à suivre en l'état contre Laurence Y... pour homicide involontaire ;
"aux motifs que le témoignage de Mme Z... est incertain et peu probant, l'intéressée ayant hésité sur la position du cycliste avant l'accident et expliqué qu'elle avait dû regarder sur sa droite afin de pouvoir s'engager dans la voie de raccordement et qu'en se retournant, elle avait vu le choc se produire ;
qu'elle a inexactement indiqué que le vélo se trouvait sur la droite de la voiture et qu'il avait heurté celle-ci par l'arrière ;
que, par ailleurs, elle a successivement déclaré qu'elle avait, puis qu'elle n'avait pas, elle-même dépassé le véhicule des personnes âgées qui la précédait ;
que, dès lors, il est pour le moins permis de douter de sa version selon laquelle la voiture conduite par Laurence Y... n'aurait regagné sa voie de circulation qu'à l'endroit de l'accident ;
que les vérifications de distances sur les lieux et les explications fournies par Laurence Y... au cours de l'exécution du dernier supplément d'information rendent crédible sa thèse selon laquelle elle avait achevé le dépassement des deux voitures qui la précédaient et réintégré la voie médiane dès la jonction de la voie de raccordement ;
que les éléments d'appréciation recueillis sur les conditions dans lesquelles elle avait entrepris le dépassement et les précautions qu'elle a prises pour revenir sur sa droite n'appellent aucune critique particulière ;
que rien ne contredit son affirmation selon laquelle elle circulait à une vitesse non supérieure à celle de 80 km/heure autorisée au lieu de l'accident ;
qu'elle a toujours soutenu depuis l'ouverture de l'information que le cycliste progressait sur la partie gauche de la voie de raccordement et qu'il avait fait un écart au dernier moment vers la voie médiane qu'elle occupait ;
que le seul témoignage de Mme Z... n'est pas de nature à établir que le cycliste ait circulé, préalablement à l'écart allégué par Laurence Y..., sur la droite de la voie médiane, et que ni l'expertise judiciaire ni l'expertise de la compagnie d'assurance de la victime ne sont susceptibles d'exclure formellement l'éventualité d'un tel écart ;
que si le cycliste occupait la partie gauche de la voie de raccordement lorsque Laurence Y... se rapprochait de lui par la voie médiane, elle pouvait légitimement s'attendre à ce qu'il lui cède la priorité de passage dont il était débiteur avant de s'engager lui-même sur la voie médiane ;
que, si un écart du cycliste sur la gauche n'était pas totalement imprévisible pour la conductrice de la voiture, l'ampleur de cet écart pouvait l'être ; qu'il n'est pas invraisemblable que la soudaineté de ce changement de position du cycliste et la proximité immédiate de la voiture aient privé Laurence Y... de tout temps de réaction et rendu impossible avant le choc, tout début de freinage et toute manoeuvre d'évitement ; que, dans de telles circonstances, il ne peut être imputé à Laurence Y... un défaut de maîtrise de son véhicule, et il ne saurait être tiré un argument décisif du fait qu'elle a estimé entre 60 et 70 centimètres l'écart du cycliste (ce qui ne semble pas traduire de sa part, une tendance à l'exagération) pour lui reprocher de n'avoir pas respecté une distance minimale d'un mètre sur sa droite avant d'entreprendre la dépassement de la bicyclette ;
que l'existence de dégâts plus importants sur la partie arrière gauche de la bicyclette peut signifier tout aussi bien une légère orientation de celle-ci de la droite vers la gauche en raison de l'écart du cycliste qu'une "dynamique de rabattement de la gauche vers la droite" de la voiture, et qu'il n'est donc pas utile d'ordonner un examen visuel de la bicyclette par la Cour ou une audition des experts de la compagnie d'assurance de la victime ;
que la seule analyse littérale des déclarations successives de Laurence Y... qui ont pu varier sur les détails, omis ou précisés selon la forme des questions qui lui étaient posées, mais qui s'avèrent globalement concordantes sur l'essentiel ne saurait suffire à démontrer qu'elle n'était pas attentive à sa conduite ou qu'elle regardait trop dans son rétroviseur et pas assez devant elle ;
que si quelques anomalies regrettables affectent certaines pièces du dossier et donnent l'impression désagréable que certaines diligences n'ont pas été accomplies avec tout le soin que requéraient l'importance de l'affaire et la gravité particulière de ces conséquences, les erreurs commises ont pu être décelées et rectifiées en cours de procédure et leur incidence finale à l'appréciation des faits est négligeable ;
qu'à l'issue de l'instruction et des suppléments d'information exécutés, il apparaît qu'il n'existe pas contre Laurence Y... charges suffisantes d'avoir contrevenu aux dispositions des articles R. 11-1, R. 14 et R. 19 ou de tout autre article du Code de la route, ou d'avoir commis une faute de maladresse, d'imprudence, d'inattention, de négligence ou d'inobservation des règlements en relation causale avec l'accident mortel de la circulation dont fut victime le cycliste M. A... le 28 juillet 1991 à Dieppe ;
que, dans ces conditions, et dans la mesure où les faits d'homicide involontaires qui lui sont reprochés ne sont susceptibles d'aucune autre qualification pénale, il n'y a pas lieu à suivre en l'état contre Laurence Y..." ;
"alors que, les arrêts de la chambre d'accusation sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas de motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif ;
"alors, en premier lieu, qu'ayant constaté que l'automobiliste avait, selon ses propres déclarations, affirmé avoir aperçu le cycliste à environ 80km/h, elle n'avait ni freiné, ni fait un écart à gauche pour l'éviter, la chambre aurait dû en conclure qu'il existait contre l'inculpée des charges suffisantes d'avoir commis une faute d'imprudence en relation avec l'accident dont le cycliste a été victime, notamment par suite d'un défaut de maîtrise et qu'en statuant comme elle l'a fait, la chambre d'accusation a violé les articles 319 du Code pénal et R. 11-1 du Code de la route ;
"alors, d'autre part, qu'en admettant les déclarations de Laurence Y... affirmant que la victime avait fait un écart à gauche de 60 à 70 cm sur sa voie de circulation bien que les services de police avaient situé le point de choc à proximité immédiate de la ligne séparative des deux voies de circulation, la chambre d'accusation a entaché sa décision de contradiction de motifs ;
"alors, par ailleurs, qu'en émettant diverses hypothèses sur le comportement du cycliste pour exonérer l'automobiliste de toute responsabilité, la chambre d'accusation a entaché son arrêt d'un grave défaut de motifs ;
"alors, encore, et en tout état de cause, que les époux A... faisaient valoir, dans leur mémoire d'appel, que même si le cycliste avait fait un écart de 60 à 70 cm, Laurence Y... disposait, compte tenu de la largeur de son véhicule et de la largeur de sa voie de circulation, d'1,70 mètres sur sa gauche pour éviter le choc et qu'en s'abstenant de s'expliquer sur la possibilité ou l'impossibilité pour l'inculpée de tenter une manoeuvre d'évitement, la chambre d'accusation a omis de répondre à une articulation essentielle du mémoire de la partie civile ;
"alors, qu'en outre, qu'ayant constaté que le cycliste avait fait un écart de 60 à 70 cm et que l'automobiliste n'avait pas évité le choc, la chambre d'accusation aurait dû en déduire que l'automobiliste n'avait pas respecté les dispositions de l'article R. 14 du Code de la route qui impose à tout automobiliste lors du dépassement d'un cycliste, de respecter une distance de sécurité de 1 mètre et qu'en statuant comme elle l'a fait, elle a violé tant l'article 319 du Code pénal que l'article R. 14 du Code de la route ;
"et alors, enfin, que la chambre d'accusation a dit n'y avoir pas de charges suffisantes contre Laurence Y... d'avoir contrevenu aux dispositions de l'article R. 19 du Code de la route, sans donner aucun motif et qu'elle a ainsi entaché sa décision de défaut de motifs" ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu entreprise, la chambre d'accusation, après avoir analysé l'ensemble des faits dénoncés dans la plainte des parties civiles, a, contrairement aux allégations de celles-ci, répondu sans insuffisance aux articulations du mémoire prétendument délaissées et énoncé les motifs dont elle a déduit qu'il n'éxistait pas charges suffisantes, contre Laurence Y... ,d'avoir commis l'infraction reprochée ;
Attendu que le moyen proposé qui, revient à discuter des motifs de fait et de droit retenus par les juges, ne contient aucun des griefs que l'article 575 du Code de procédure pénale autorise la partie civile à formuler à l'appui de son pourvoi contre un arrêt de la chambre d'accusation en l'absence de pourvoi du ministère public ;
qu'il est, dès lors, irrecevable et qu'il en est de même du pourvoi en application du texte précité ;
DECLARE le pourvoi IRRECEVABLE ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Simon conseiller rapporteur, MM. Aldebert, Grapinet, Farge conseillers de la chambre, Mme Ferrari conseiller référendaire, M. le Foyer de Costil avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;