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28/11/1995 | FRANCE | N°93-15659

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 28 novembre 1995, 93-15659


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

I - Sur le pourvoi n S 93-15.659 formé par M. Christian A..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 16 mars 1995 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre A) , au profit :

1 / de M. D... Guler, demeurant ...,

2 / de Mme Huguette X..., demeurant ...,

3 / de Mme Marinéla F..., demeurant ...,

4 / de la commune de Lorient, prise en la personne de son maire en exercice, domicilié en cette qualité à l'Hôtel de Ville, 56100 Lorient,

5 /

de la société SOGIMOR, dont le siège est ...,

6 / de M. C..., pris en sa qualité de représentan...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

I - Sur le pourvoi n S 93-15.659 formé par M. Christian A..., demeurant ..., en cassation d'un arrêt rendu le 16 mars 1995 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre A) , au profit :

1 / de M. D... Guler, demeurant ...,

2 / de Mme Huguette X..., demeurant ...,

3 / de Mme Marinéla F..., demeurant ...,

4 / de la commune de Lorient, prise en la personne de son maire en exercice, domicilié en cette qualité à l'Hôtel de Ville, 56100 Lorient,

5 / de la société SOGIMOR, dont le siège est ...,

6 / de M. C..., pris en sa qualité de représentant des créanciers de la société SOGIMOR, demeurant ... de Lôme, 56100 Lorient,

7 / de M. Michel E..., pris en sa qualité d'administrateur du redressement judiciaire de la société SOGIMOR, demeurant ...,

8 / de la compagnie La Concorde, société anonyme, dont le siège est ..., défendeurs à la cassation ;

II - Sur le pourvoi n Y 93-15.734 formé par :

1 / la société SOGIMOR,

2 / M. C..., ès qualités de représentant des créanciers de la société SOGIMOR,

3 / M. Michel E..., ès qualités d'administrateur du redressement judiciaire de la société SOGIMOR, en cassation du même arrêt rendu au profit :

1 / de M. D... Guler,

2 / de Mme Huguette X...,

3 / de Mme Marinéla F...,

4 / de M. Christian A...,

5 / de la commune de Lorient, prise en la personne de son maire,

6 / de la société La Concorde, société anonyme, défendeurs à la cassation ;

Le demandeur au pourvoi n S 93-15.659 invoque, à l'appui de son recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Les demandeurs au pourvoi n Y 93-15.734 invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, en l'audience publique du 17 octobre 1995, où étaient présents : M. Lemontey, président, Mme Delaroche, conseiller rapporteur, M.

Fouret, Mmes B..., Marc, M. Aubert, conseillers, M. Z..., Mme Catry, conseillers référendaires, Mme Le Foyer de Costil, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme le conseiller Delaroche, les observations de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. A..., de la SCP Vier et Barthélémy, avocat de la société SOGIMOR, de M. C... et de M. E..., ès qualités, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de la commune de Lorient, de Me Odent, avocat de M. Y..., de Mme X... et de Mme F..., de la SCP Bret et Laugier, avocat de la compagnie La Concorde, les conclusions de Mme Le Foyer de Costil, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Joint en raison de leur connexité les pourvois n S 93-15.659 et Y 93-15.734 ;

Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que la commune de Lorient, à laquelle avaient été concédés par l'Etat l'aménagement et l'exploitation d'un port de plaisance, a conçu le projet de réaliser un ensemble immobilier, comprenant notamment une galerie commerciale ;

qu'en vue de cette réalisation, elle a, par délibération du 20 octobre 1986, donné mandat à la société SOGIMOR Construction de rechercher des preneurs de baux de longue durée sur le terrain concédé et à la société SOGIMOR Promotion d'édifier et de vendre par lots des locaux professionnels et commerciaux ;

que par acte sous seing privé du 27 octobre 1986 un contrat préliminaire a été signé entre la SOGIMOR Promotion et les époux F..., acte qui a été régularisé en la forme authentique par M. A..., notaire, les 16 et 20 mars 1987 ;

que deux autres contrats préliminaires ont été conclu avec Mme X... et avec M. Y..., respectivement les 30 janvier et 17 février 1987 ;

que ces actes consistaient en un contrat de réservation portant sur la sous-location d'une parcelle de terrain pour une durée de 35 ans et l'acquisition d'une surface commerciale dans la galerie ;

que ces trois acquéreurs ont effectué des versements et souscrit des emprunts pour le solde des paiements ;

qu'à ce stade de l'opération de commercialisation les parties ont été confrontées aux contraintes de la domanialité publique et au caractère inaliénable des constructions réalisées ;

qu'invoquant la nullité des contrats Mme F..., M. Y... et Mme X... ont assigné la société SOGIMOR Promotion aux fins de constatation de cette nullité et d'indemnisation de leur préjudice ;

que cette société a assigné le notaire Le Gluher en garantie ;

qu'en cause d'appel, ce dernier a appelé en intervention forcée et déclaration d'arrêt commun la commune de Lorient ;

que par l'arrêt attaqué (Rennes, 16 mai 1993), au vu du déclinatoire de compétence élevé par le préfet du Morbihan et de l'exception d'incompétence soulevée par la commune, la cour d'appel s'est déclarée incompétente sur l'appel en intervention forcée, et a renvoyé le notaire à mieux se pourvoir ;

qu'après avoir constaté la nullité des actes, elle a retenu la responsabilité de la société SOGIMOR, et a dit que celle-ci était fondée pour partie en son appel en garantie dirigé contre M. A..., la responsabilité étant partagée par moitié entre eux ;

qu'il a enfin fixé les préjudices subis ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches du pourvoi formé par la société SOGIMOR Promotion :

Attendu que cette société fait grief à l'arrêt d'avoir déclaré son appel en garantie partiellement fondé alors, selon le moyen, d'une part, que le notaire est responsable de ses erreurs de droit ;

qu'il engage sa responsabilité, même à l'égard du professionnel immobilier négociateur de l'acte, lorsqu'il omet de rechercher si les conditions requises pour l'efficacité de cet acte sont réunies et de l'informer de tout obstacle juridique à sa réalisation ;

que la cour d'appel, qui a constaté que la complexité de l'affaire au regard des règles de la domanialité publique et de la concession portuaire dépassait les compétences professionnelles de la société Sogimor et avait échappé au notaire, lequel l'avait ainsi confortée dans la poursuite et la réalisation d'une opération immobilière juridiquement insusceptible de produire effet, n'a pu sans violer l'article 1382 du Code civil débouter pour moitié la société Sogimor de son appel en garantie ;

et alors d'autre part, qu'en l'état de ces constatations qui atténuaient considérablement la responsabilité encourue par la société Sogimor, la juridiction du second degré n'a pas justifié que l'appel en garantie, accueilli à hauteur de 75 % par les premiers juges, soit ramené à 50 % ;

Mais attendu que la cour d'appel a pu considérer qu'en tant que promoteur-constructeur immobilier, la société Sogimor avait commis une faute en ne s'assurant pas que les contrats qu'elle proposait étaient exempts de vice, alors qu'elle avait connaissance des dispositions du cahier des charges et des avenants de la concession portuaire ;

qu'elle a ainsi retenu que cette société n'aurait pas dû ignorer les contraintes de la domanialité publique ;

qu'elle a aussi relevé que cette société, qui n'a pas contesté avoir été informée d'une réunion, tenue le 8 avril 1987 à la mairie, au cours de laquelle les vices juridiques de l'opération avaient été dénoncés, s'est abstenue d'en aviser immédiatement ses cocontractants, les incitant, tout au contraire à aménager les locaux qu'ils avaient acquis "livrés brut de béton" ;

qu'ayant, par ailleurs, caractérisé la faute du notaire, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation qu'elle a fixé, compte tenu des fautes respectivement commises, la proportion dans laquelle M. A... devait sa garantie ;

d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucun de ses griefs ;

Sur le premier moyen, du pourvoi formé par M. A... :

Attendu qu'il est reproché à la cour d'appel de s'être déclarée incompétente sur l'appel en intervention forcée dirigée contre la commune, alors, selon le moyen, que les décisions des juges civils n'ont autorité de la chose jugée à l'égard d'une personne publique qu'à la condition qu'elle ait été partie à l'instance à l'issue de laquelle cette décision a été rendue ;

que l'assignation en intervention forcée et en déclaration d'arrêt commun formée par le notaire contre la ville de Lorient ne modifiait en rien la nature du litige et avait pour seul objet de rendre opposable à cette dernière l'autorité de la chose jugée s'attachant à la décision que devait rendre la cour d'appel sur une question relevant de sa compétence ;

qu'en se déclarant incompétente, alors qu'aucune demande dont la connaissance aurait échappé à la compétence des juridictions civiles n'était formée contre la commune, la cour d'appel a violé les articles 331, alinéa 2, et 555 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'intervention forcée invitait la commune à prendre position sur la responsabilité de la société Sogimor et sur celle du notaire ;

que la cour d'appel, qui a relevé qu'il était en réalité reproché à la commune d'avoir conçu un montage juridique portant sur l'occupation du domaine public, a énoncé, à bon droit, que ce contentieux ressortit par nature au juge administratif en application de l'article L. 84 du Code du domaine de l'Etat ;

que la décision, ainsi justifiée, n'encourt pas le grief du moyen ;

Sur les deuxième et troisième moyens du même pourvoi, pris en leurs diverses branches, tels qu'ils figurent au mémoire en demande et sont reproduits en annexe au présent arrêt :

Attendu, d'abord, que la cour d'appel a constaté que s'il n'était pas établi que le notaire ait eu connaissance du projet, en septembre 1986, lors du mandat donné par le conseil municipal à la société Sogimor, cet officier public était en possession des documents et notamment de l'état descriptif de division afférent à l'opération fin décembre 1986 ;

qu'elle a ainsi retenu qu'il avait prêté son concours à une opération dont le montage juridique était vicié en rédigeant un acte authentique en méconnaissance du caractère inaliénable des constructions en cause ; qu'ensuite le notaire n'est pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences personnelles de son client ; que, répondant aux conclusions invoquées en les écartant, la cour d'appel, qui a retenu que M. A... avait manqué à son obligation d'appeler l'attention de la société Sogimor sur les vices juridiques de l'opération et les difficultés qu'il serait nécessaire de vaincre pour les éluder, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

qu'enfin, le grief pris de ce que la société Sogimor aurait sciemment trompé ses cocontractants et commis un manquement à la bonne foi est nouveau, mélangé de fait et de droit, partant irrecevable ;

D'où il suit qu'aucun des moyens ne peut être accueilli ;

Sur le quatrième moyen du même pourvoi :

Attendu qu'il est enfin reproché à l'arrêt d'avoir statué ainsi qu'il a fait, alors, selon le moyen, que le notaire avait fait valoir dans ses conclusions qu'il n'existait pas de lien de causalité entre la faute qui lui était reprochée et l'absence de réalisation des chiffres d'affaires et des bénéfices économiques ainsi que la perte d'une chance d'exploitation de fonds de commerce et de le revendre, ces préjudices étant causés exclusivement par la domanialité publique des immeubles ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motif ;

Mais attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a retenu que la nullité des contrats privait les acquéreurs de perspectives professionnelles alors qu'ils avaient supporté un endettement important pour acheter des locaux dont ils ne pourraient négocier la revente ;

qu'elle a aussi relevé que ces acquéreurs avaient été victimes d'un défaut d'information auquel avait concouru l'officier public, et que ce défaut d'information avait été à l'origine de leur prise de possession des lieux et des travaux d'aménagement qu'ils y avaient entrepris ;

que, par ces motifs, la cour d'appel a caractérisé le lien de causalité entre la faute reprochée et les préjudices dont il était demandé réparation ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Attendu qu'en application de ce texte, et dans chacun des deux pourvois, la commune sollicite l'allocation d'une somme de 10 000 francs et les consorts F..., Y... et X... celle de 1 186 francs ;

Que la société Sogimor demande sur le même fondement que le notaire soit condamné à lui payer la somme de 11 860 francs ;

Mais attendu qu'en équité il y a lieu d'accueillir les seules demandes formées par les consorts F..., Y... et X... ;

Et attendu que les pourvois revêtent un caractère abusif ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

REJETTE les demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile dans chacun des deux pourvois par la commune de Lorient ainsi que la demande formée par la société Sogimor dans le pourvoi n 93-15.659 ;

Condamne, sur le même fondement, d'une part, la société Sogimor, MM. C... et E..., ès qualités, et, d'autre part, M. A..., chacun en ce qui le concerne, à payer à chacun des consorts F..., Y... et X... la somme de 1 186 francs ;

Condamne, d'une part, la société Sogimor, MM. C... et E..., ès qualités, et, d'autre part, M.

Le Gluher, au paiement d'une amende de 10 000 francs envers le Trésor public ;

Les condamne, également, envers M. Y..., Mmes X... et F..., la commune de Lorient et la compagnie La Concorde aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.

1810


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 93-15659
Date de la décision : 28/11/1995
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Civile

Analyses

(sur le pourvoi Sogimor) CONSTRUCTION IMMOBILIERE - Promoteur-constructeur - Responsabilité - Edification et vente par lots de locaux professionnels et commerciaux - Construction effectuée sur une surface concédée par l'Etat à une commune - Proposition à des tiers de contrats non exempts de vices qui ne pouvaient être ignorés - Rejet partiel de l'appel en garantie formé contre le notaire rédacteur de l'acte.

(sur le 1er moyen - pourvoi Le Gluher) SEPARATION DES POUVOIRS - Domaine public - Contrat portant occupation de ce domaine - Concession - Montage juridique conçu par le concessionnaire et portant sur l'occupation du domaine public - Action en intervention forcée contre la commune cessionnaire mettant en cause celle-ci.

(sur les 2° et 3° moyens - pourvoi Le Gluher) OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Notaire - Responsabilité - Concours à une opération de vente de locaux professionnels et commerciaux prévus dans le cadre d'une construction projetée sur des lieux concédés par l'Etat - Rédaction d'un acte authentique en méconnaissance du caractère inaliénable des constructions - Manquement au devoir de conseil en n'appelant pas l'attention de son client sur les vices juridiques de l'opération.


Références :

Code civil 1382

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes (1re chambre A), 16 mars 1995


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 28 nov. 1995, pourvoi n°93-15659


Composition du Tribunal
Président : Président : M. LEMONTEY

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1995:93.15659
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