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23/11/1995 | FRANCE | N°94-85302

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 23 novembre 1995, 94-85302


AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CULIE, les observations de la société civile professionnelle VIER et BARTHELEMY et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Z... Bernard, contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 3ème chambre, en date du 13 janvier 1994, qui, p

our fraude fiscale et omission d'écritures comptables, l'a condamné à 50 000 fra...

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-trois novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de M. le conseiller CULIE, les observations de la société civile professionnelle VIER et BARTHELEMY et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Z... Bernard, contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, 3ème chambre, en date du 13 janvier 1994, qui, pour fraude fiscale et omission d'écritures comptables, l'a condamné à 50 000 francs d'amende, a ordonné l'affichage et la publication de la décision, et a prononcé sur les demandes de l'administration des Impôts, partie civile ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1741 et 1743 du Code général des Impôts, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de fraude fiscale, et a reçu l'administration fiscale en sa constitution de partie civile ;

"aux motifs qu'il n'appartient pas au juge pénal, juge de la fraude, de déterminer si, au vu des anomalies qu'elle déclare avoir constatées, l'administration fiscale pouvait rejeter une comptabilité qu'elle reconnaît régulière en la forme, pour procéder à une reconstitution extra-comptable du chiffre d'affaires de la société "Le Castel" ;

que ceci est de la compétence exclusive du juge administratif, juge de l'impôt ;

"qu'il appartient au juge pénal de dire si le prévenu, au-delà des tolérances légales, s'est volontairement soustrait au paiement de l'impôt, en l'espèce en minorant, en connaissance de cause, le chiffre d'affaires de sa société pour les exercices 1986 et 1987 ;

"1 ) sur l'élément matériel :

"que le choix fait par l'administration fiscale des éléments servant de base à la reconstitution du chiffre d'affaires de sa société ne peut valablement être critiqué par le prévenu ;

"qu'en effet, ces données qu'il s'agisse des achats, de l'évaluation des stocks, de la détermination du nombre des entrées à partir de l'examen complet de la billetterie pour ces années, permettant d'établir le prix de vente moyen pondéré des consommations, sont tirées de la comptabilité de la société ;

"qu'en ce qui concerne la répartition entre les quantités d'alcool vendu au verre et à la bouteille, le relevé fait sur trois années des consommations du mois de décembre constitue un échantillon représentatif, que le prévenu est mal venu à le critiquer puisqu'il s'agit des seules périodes pour lesquelles il a pu fournir l'intégralité des bandes de caisse ;

"qu'en définitive, l'essentiel de la contestation du prévenu porte sur l'évaluation de la quantité d'alcool servie dans chaque verre ;

"que l'administration des Impôts a, sur ce point, en l'absence de doseur, retenu une quantité de 5 puis de 6 cl, se fondant sur les indications de la carte (4 cl) et les déclarations que lui avait faites Gilbert Y... ;

"que cette dernière estimation a été reconnue comme valable par la commission départementale des impôts directs et de la TVA où siégeaient des représentants de ce secteur d'activité ;

"que le prévenu produit un écrit de son ex-employé, Gérard Y..., dans lequel celui-ci se vante d'avoir induit en erreur sur ce point l'agent vérificateur et indique que la quantité réelle d'alcool servie par verre était de 8 cl environ ;

"qu'il a réitéré ces propos lors de son audition par les enquêteurs en expliquant que cette quantité élevée correspondait à la classe de l'établissement ainsi qu'au prix relativement élevé des consommations ;

"qu'en l'absence d'éléments discordants, il convient effectivement de retenir le chiffre dont se prévaut le prévenu ;

"qu'en ce qui concerne le pourcentage de l'abattement pour casse ou consommations offertes, l'administration des Impôts a retenu celui avancé par le prévenu et la commission ad-hoc ;

"que, compte tenu de ce nouvel élément, la reconstitution réalisée par l'agent vérificateur doit être ainsi corrigée ;

"qu'en conséquence, l'insuffisance cumulée de déclaration du chiffre d'affaires est de :

1 083 780 francs ;

"que le prévenu soutient également que l'insuffisance de déclaration s'explique par le détournement d'un certain nombre de bouteilles d'alcool (3236 pour les exercices 1986 et 1987 selon son mémoire à la juridiction administrative) ;

"que sur ce point, il sera tout d'abord relevé que dans sa lettre du 28 septembre 1988 et dans sa plainte contre X... du lendemain il n'accusait précisément aucun des employés de la discothèque ;

"que, mieux encore, dans la lettre susvisée qu'il adressait à Gilbert Y..., et où il l'informait de la "disparition" des dirigeants de la société de l'intéresser aux bénéfices à hauteur de 0,9 % sur le total des recettes de l'établissement ;

"que ce n'est qu'ensuite, sans qu'il s'en explique, qu'il se prétendait, le 30 novembre 1988, aux services de police pour mettre en cause nommément :

Gilbert Y... (D 293) ;

"que ces soupçons s'étendront d'ailleurs ensuite à un autre employé : Gilles X... ;

"que sa plainte sera classée sans suite le 28 avril 1989 ;

que, de plus, le prévenu a conservé Gilbert Y... à son service de 1983 à 1988 ;

"que, si Gilbert Y... passait les commandes et visait les factures à réception de la marchandise, il n'avait pas pour autant la responsabilité de la gestion de l'établissement ainsi qu'il résulte de l'enquête de police (D 205, feuillet 4) ;

"que le prévenu reconnaît d'ailleurs que son employé lui rendait compte toutes les semaines (D 201, feuillet 2) ;

"que, dès lors, d'autant plus que la comptabilité de la société était gérée au siège de sa principale entreprise "Giffard-Manutention", le prévenu ou ses collaborateurs n'ont pas manqué de s'apercevoir de la discordance entre les évolutions respectives du montant des commandes et du chiffre d'affaires, sur trois années (durée de la période vérifiée) ;

"qu'enfin, l'évolution du chiffre d'affaires pendant la période de redressement judiciaire et celui de la SARL (New Castel) pendant la seule années 1992 ne sauraient être considérés comme probants, d'une part du fait du changement de la verrerie à partir de 1988, d'autre part, en raison de l'absence d'indication sur les achats consommés pour parvenir à ces résultats ;

"qu'il résulte que l'élément matériel des infractions reprochées est constitué ;

"2 ) sur l'intention ;

"que le prévenu, seul gérant de la discothèque, était rompu aux affaires puisqu'il dirigeait, parallèlement et à titre principal, une société anonyme de manutention dont il est le principal actionnaire ; qu'il gérait également une société de location de véhicules (LOCALEV) ;

qu'en décembre 1987, il avait acheté une participation dans une autre discothèque "L'Excelsior", à Nantes, et entendait poursuivre son exploitation (D 190) ;

"que le prévenu assurait la gestion de l'établissement puisque, notamment, selon ses propres dires, Gilbert Y... lui en rendait compte hebdomadairement et qu'il fréquentait assidûment les lieux ;

"qu'il sera également rappelé que la comptabilité de la société était tenue au siège de sa principale entreprise et qu'il était donc à même de suivre régulièrement l'évolution des paramètres lui permettant d'en apprécier la rentabilité ;

"qu'il ne pouvait donc ignorer l'évolution très négative du coefficient de marge brute entre 1985 et 1987 (6,22 - 6,15 - 4,81) et ceci alors que le coefficient multiplicateur pour les ventes d'alcool, source principale des recettes, était de 10 ;

"qu'il en résulte que l'insuffisance entre les chiffres d'affaires déclarés et reconstitués résulte d'une minoration volontaire de la part du prévenu ;

"alors que, d'une part, les poursuites pénales du chef de fraude fiscale et la procédure administrative tendant à la fixation de l'assiette et de l'étendue des impositions, étant, par leur nature et par leur objet, différentes et indépendantes l'une et l'autre, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, en déduisant l'existence de dissimulation des seules évaluations de l'Administration ;

"alors que, d'autre part, la cour d'appel ne pouvait refuser de se prononcer sur l'incidence de la régularité parfaite de la comptabilité reconnue expressément par l'Administration et qui a conduit le tribunal administratif à décider par jugement du 24 janvier 1995 de décharger la société Le Castel de tout complément d'impôt sur les sociétés la TVA et pénalités ; qu'en effet, le demandeur soulignait dans ses conclusions d'appel auxquelles la Cour a omis de répondre que selon le Conseil d'Etat, le fait pour une comptabilité régulière en la forme de dégager des taux de marge brute anormalement bas et variables d'une année à l'autre n'était pas suffisant pour l'écarter ;

"alors, enfin, qu'en application de l'article L. 227 du Livre des procédures fiscales, les juges qui prononcent une condamnation sur le fondement de l'article 1741 du Code général des Impôts ne peuvent se borner à analyser les éléments matériels de la prévention, mais doivent également caractériser à la charge de chacun des prévenus l'élément personnel de mauvaise foi exigé par ce texte et dont la preuve incombe au ministère public et à l'administration fiscale ;

qu'en l'espèce, la Cour ne s'est aucunement prononcée sur l'existence de cet élément intentionnel de l'infraction de la qualité de gérant du demandeur de la discothèque rompu aux affaires, de ce que celui-ci ne pouvait ignorer l'évolution négative du coefficient de marge brute entre 1985 et 1987 alors que le coefficient multiplicateur pour les ventes d'alcool source des recettes était de 10 pour affirmer l'existence d'une minoration volontaire du chiffre d'affaires déclaré alors que la comptabilité était parfaitement régulière ;

qu'ainsi, la cour d'appel a présumé la volonté délictueuse du prévenu et a privé sa décision de base légale au regard des textes visés au moyen" ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1743 du Code général des Impôts, 8 et 9 du Code de commerce, L. 227 du Livre des procédures fiscales, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré le prévenu coupable d'omission de passation d'écritures comptables au livre journal et au livre d'inventaire et a reçu l'administration fiscale en sa constitution de partie civile ;

"aux motifs, d'une part, qu'il n'appartient pas au juge pénal, juge de la fraude, de déterminer si, au vu des anomalies qu'elle déclare avoir constatées, l'administration fiscale pouvait rejeter une comptabilité qu'elle reconnaît régulière en la forme, pour procéder à une reconstitution extra-comptable du chiffre d'affaires de la SARL Le Castel ;

d'autre part, que l'insuffisance entre les chiffres d'affaires déclarés et reconstitués résulte d'une minoration volontaire de la part du prévenu ;

que l'importance de cette minoration déterminée à partir des éléments fournis ou avancés (dose d'alcool) par le prévenu étant incompatible avec une simple négligence de gestion qui n'apparaît nullement constitué au terme de la procédure ;

qu'il en va de même pour l'infraction à l'article 1743 du Code général des Impôts ;

"alors que le délit d'omission de passation d'écritures n'est constitué que si la preuve du caractère intentionnel, soit de la soustraction, soit de la tentative de se soustraire à l'établissement et au paiement des impôts est rapportée par le ministère public et l'Administration ;

qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait omettre de se prononcer sur la régularité de la comptabilité constatée par l'Administration et déduire un manque de sincérité de cette comptabilité en se fondant sur des motifs propres à l'infraction de fraude fiscale ; qu'ainsi la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes visés au moyen" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il est reproché à Bernard Z..., gérant d'une société exploitant une discothèque, une fraude à la TVA et à l'impôt sur les sociétés par minoration volontaire des déclarations, ainsi que l'omission des écritures comptables correspondant à la dissimulation du chiffre d'affaires ;

Attendu que, pour le déclarer coupable dans les termes de la prévention, la cour d'appel, après avoir constaté la faiblesse anormale de la marge brute, qui ne cessait de s'amenuiser, et corrigé, compte tenu des objections du contribuable, la reconstitution du chiffre d'affaires opérée par l'agent vérificateur, relève notamment que Bernard Z... ne saurait expliquer l'insuffisance résiduelle de déclaration de 1 million de francs par les détournements qu'il a imputés tardivement à certains de ses employés, sa plainte de ce chef, postérieure à la vérification fiscale, ayant d'ailleurs été classée sans suite par le parquet ;

Attendu que la juridiction du second degré retient encore qu'une telle évolution négative de la rentabilité ne pouvait échapper au chef d'entreprise, et que l'insuffisance entre les chiffres d'affaires déclarés et ceux reconstitués à partir des éléments fournis ou avancés par Bernard Z... lui-même étant, en raison de son importance, "incompatible avec une simple négligence de gestion", il en résulte que la minoration est volontaire, de même que l'omission des écritures comptables ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause soumis au débat contradictoire, et dès lors que les poursuites exercées sur le fondement des articles 1741 et 1743 du Code général des impôts sont indépendantes par leur nature et leur objet de la procédure administrative concernant l'assiette de l'impôt, la cour d'appel a caractérisé en tous leurs éléments, matériels et intentionnels, les délits dont elle a déclaré Bernard Z... coupable ;

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Gondre conseiller doyen, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Culié conseiller rapporteur, MM. Roman, Schumacher, Martin, Farge conseillers de la chambre, MM. de Mordant de Massiac, de Larosière de Champfeu conseillers référendaires, M. Amiel avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 94-85302
Date de la décision : 23/11/1995
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 3ème chambre, 13 janvier 1994


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 23 nov. 1995, pourvoi n°94-85302


Composition du Tribunal
Président : Président : M. GONDRE conseiller

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:1995:94.85302
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