AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-deux novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CARLIOZ, les observations de la société civile professionnelle ANCEL et COUTURIER-HELLER, de Me Le PRADO et de Me VINCENT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général AMIEL ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR PUBLIC, partie intervenante, contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle, du 8 février 1994 qui, dans la procédure suivie contre Jean Dominique A... pour blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 464 du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, 1er et suivants de l'ordonnance du 7 janvier 1959 ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a accordé à Mme Z..., agent de l'Etat victime, une provision de 70 000 francs à valoir sur la réparation définitive de son préjudice corporel, soumis à recours ;
"aux motifs que, au titre de l'incapacité temporaire totale et de l'incapacité temporaire partielle, Mme Z... a subi une perte de revenus dont il est justifié par le centre local de traitements ; qu'elle s'élève à 130 408,92 francs et ce, indépendamment de revenus des organismes sociaux" ;
"alors que l'indemnité provisionnelle qui peut être accordée à la victime doit s'imputer, par priorité, sur la réparation de son préjudice purement personnel ;
"alors en tout état que la Cour qui relevait que l'expert avait déposé son rapport en concluant à l'existence d'un préjudice personnel pour Mme Z..., ne pouvait s'abstenir de se prononcer sur la réparation de cette part de préjudice dont elle constatait la réalité" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que Jean Dominique A... a été déclaré entièrement responsable des conséquences dommageables d'un accident ayant causé des blessures à Mme B..., épouse Z..., laquelle a demandé le versement d'une nouvelle provision en raison de l'impossibilité dans laquelle elle se serait trouvée de "déterminer l'intégralité de son préjudice" ;
que le premier juge a fait droit à cette demande ;
Attendu que, devant la juridiction du second degré, saisie de l'appel de l'agent judiciaire du Trésor, celui-ci, tout en concluant au sursis à statuer dans l'impossibilité de chiffrer le montant de ses prestations, a sollicité la réformation du jugement entrepris en prétendant que la victime ne démontrait pas que l'indemnité réparant les chefs de préjudice de caractère personnel "excéderait le montant cumulé des provisions à elle précédemment allouées" ;
Attendu que, pour rejeter cette prétention, et confirmer le jugement entrepris, la cour d'appel, après avoir relevé qu'un nouvel expert avait déposé son rapport et conclu à l'existence d'un "pretium doloris" et d'un préjudice esthétique, se fonde sur la perte de revenus subie par Mme Z... à la suite de son incapacité de travail totale, puis partielle ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors qu'elle n'était, en l'état, saisie d'aucune demande tendant à la liquidation du préjudice à caractère personnel de la victime, la cour d'appel - qui n'était pas en mesure d'apprécier l'importance des prestations dues par l'Etat, et a, en conséquence, conformément à l'article 4 de l'ordonnance du 7 janvier 1959, sursis à statuer et accordé une indemnité provisionnelle - a donné une base légale à sa décision, sans encourir les griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Mais sur le second moyen de cassation pris de la violation de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné l'agent judiciaire in solidum avec l'auteur de l'accident et son assureur à payer à son agent victime la somme de 2 000 francs au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
"alors que, aux termes de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, seul peut être condamné à paiement envers la partie civile, l'auteur de l'infraction ;
d'où il résulte que l'agent judiciaire, intervenant au nom de l'Etat pour obtenir le remboursement des prestations versées à la victime, ne pouvait être condamné sur le fondement de ce texte" ;
Vu ledit article ;
Attendu que, selon l'article 475-1 du Code de procédure pénale, seul l'auteur de l'infraction peut être condamné à payer à la partie civile, lorsqu'il paraît inéquitable de laisser à la charge de celle-ci les sommes exposées par elle et non comprises dans les frais et dépens, l'indemnité que le juge détermine ;
Attendu qu'en condamnant, sur son appel, l'agent judiciaire du Trésor, partie intervenante, à verser à la partie civile une somme correspondant aux frais non recouvrables qu'elle a dû exposer, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de la règle ci-dessus rappelée ;
Que l'arrêt encourt la cassation de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE par voie de retranchement l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'ANGERS en date du 8 février 1994, mais seulement en ce qu'il a condamné l'agent judiciaire du Trésor à verser à Mme Z... une somme de 2 000 francs en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, toutes autres dispositions dudit arrêt étant expressément maintenues ;
DIT n'y avoir lieu à RENVOI ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Angers, sa mention en marge où à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Simon conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Carlioz conseiller rapporteur, MM. Y..., X..., D..., E...
F... conseillers de la chambre, Mmes C..., Verdun conseillers référendaires, M. Amiel avocat général, Mme Arnoult greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;