AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le huit novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller CARLIOZ, les observations de la société civile professionnelle ROUVIERE et BOUTET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Luc, - X... Jean, contre l'arrêt de la cour d'appel d'AMIENS, chambre correctionnelle, du 1er février 1994 qui, pour infractions aux articles 106, L. 232-5 et L. 232-8 du Code rural, les a condamnés à une amende, le premier de 70 000 francs, le second de 40 000 francs et a statué sur les intérêts civils ;
Vu l'arrêt de la Cour de Cassation, chambre criminelle, du 29 janvier 1992 portant désignation de juridiction ;
Vu les mémoires ampliatif et complémentaire produits, communs aux demandeurs ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 4 du Code pénal, 98, 106, 107, L. 232-5, L. 232-8 du Code rural, 46-I, 46-IV de la loi n 92-3 du 3 janvier 1992, 6, 485 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean et Luc X... coupables des faits qui leur étaient reprochés et a prononcé des condamnations pénales et civiles à leur encontre, sur le fondement des articles 98, 106, 107, L. 232-5 et L. 232-8 du Code rural ;
"alors que la loi n 92-3 du 3 janvier 1992 ayant expressément abrogé l'article 106 du Code rural, les juges du fond ne pouvaient condamner les prévenus poursuivis sur le fondement d'un texte abrogé, ce qui entachait de nullité les citations délivrées ;
qu'à tout le moins et dès lors que les nouvelles dispositions législatives définissent notamment la notion d'ouvrage, il appartenait aux juges du fond de rechercher et préciser si l'article 106 abrogé, demeurait, aux termes de l'article 46 IV de la loi de 1992, applicable jusqu'à la parution des décrets d'application ;
qu'ainsi, les condamnations prononcées n'ont pas de fondement légal et sont entachées de nullité absolue" ;
Attendu, d'une part, qu'il ne résulte, ni des mentions de l'arrêt attaqué, ni d'aucunes conclusions que les prévenus aient invoqué, devant les juges d'appel, l'exception de nullité des citations prise de l'abrogation prétendue de la loi pénale ;
Que, d'autre part, les prévenus ne sauraient se faire un grief de l'abrogation de l'article 106 du Code rural, dès lors que les faits poursuivis, entrant tant dans les prévisions de cet article que dans celles de la loi du 3 janvier 1992, demeuraient soumis aux dispositions pénales, moins sévères, du premier de ces textes ;
D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, en application de l'article 385 du Code de procédure pénale, ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 98, 106, 107, L. 232-5, L. 232-8 du Code rural, 8, 9, 10 de la loi n 92-3 du 3 janvier 1992, 427, 485 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables des faits qui leur étaient reprochés et les a, en répression condamnés chacun à une peine d'amende ainsi qu'à des sanctions civiles, tout en ordonnant une expertise aux fins de déterminer les travaux nécessaire à assurer la mise en état du cours d'eau et sa remise en valeur piscicole et de chiffrer le montant des travaux ;
"aux motifs que les premiers juges ont correctement présenté et analysé les faits de la cause tels qu'ils résultent des pièces de la procédure et des débats ;
que par des motifs pertinents auxquels la Cour se réfère ils ont, à juste titre, déclaré Jean et Luc X... coupables des infractions visées à la citation ; que la Cour ajoute, pour répondre aux conclusions des prévenus que l'économie des textes visés à la citation et le but poursuivi est le maintien d'un débit minimal du cours d'eau litigieux garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces le peuplant ;
que l'interprétation du mot "ouvrage" par rapport à celui de "construction" est sans intérêt ; qu'en effet, le terme "ouvrage" comprend les travaux d'approfondissement particulièrement importants effectués par les prévenus pour l'irrigation de leur terre, comme le démontrent le procès-verbal dressé par les gardes-pêche relevant de l'administration de l'Agriculture DDAF et des photos ;
que les travaux en question qui aboutissent à un approfondissement sur sept mètres de profondeur, ne peuvent s'analyser comme un curage normal prévu pour l'entretien d'un cours d'eau ; que les prévenus ont creusé des excavations destinées à assurer la création d'une réserve d'eau pour l'alimentation de stations de pompage ;
qu'elles constituent bien un ouvrage construit non en élévation mais en profondeur par des moyens mécaniques, ouvrage qui a provoqué la désorganisation du régime des eaux en totale contravention avec les textes visés à la prévention ;
que les constatations des gardes-pêche et les photos jointes au dossier prouvent que les opérations, qualifiées de curage par les prévenus, avaient, pour fin essentielle de faciliter l'alimentation de la réserve d'eau créée par approfondissement ;
que le rapport de la chambre d'agriculture de l'Aisne sur la situation du ru en question est sans valeur probante, n'ayant pas été dressé contradictoirement ;
que si les prévenus ont rempli des formulaires destinés à calculer les redevances pour modifications du régime des eaux et pour prélèvement d'eaux, ils ne justifiaient pas d'un quelconque règlement ni d'une autorisation de l'Administration, au sens de l'article 106 du Code rural, d'effectuer les ouvrages litigieux ;
qu'il convient en conséquence de confirmer la décision des premiers juges qui ont déclaré établie la prévention ;
que la Cour estime devoir porter à 70 000 francs l'amende prononcée à l'encontre de Luc X... et à 40 000 francs celle concernant Jean X... ;
qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions civiles, l'expertise ordonnée s'avérant indispensable pour déterminer et chiffrer les travaux nécessaires à la remise en état d'eau litigieux ;
"alors, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait qualifier les travaux de curage effectués par les prévenus "d'ouvrage" au sens de la loi, sans rechercher si la nature desdits travaux correspondait à la notion "d'ouvrage" définie par les dispositions de la loi du 3 janvier 1992 ;
qu'ainsi l'arrêt est entaché d'une violation des textes visés au moyen ;
"alors, d'autre part, qu'à supposer que seul l'article 106 du Code rural soit applicable, la cour d'appel ne pouvait, sans le violer et dénaturer les documents de la cause, affirmer que les travaux de curage effectués par Jean et Luc X... constituaient un "ouvrage" au sens du texte ;
"alors, encore que la cour d'appel ne pouvait rejeter le rapport établi par la chambre d'agriculture de l'Aisne en raison de ce qu'il n'aurait pas été établi contradictoirement, la preuve en matière pénale étant libre, sauf à respecter la discussion contradictoire comme cela a été le cas en l'espèce ;
qu'ainsi, l'arrêt est entaché d'une violation des règles de la preuve ;
"alors, enfin, et à supposer les infractions établies, la cour d'appel ne pouvait, sans commettre un excès de pouvoir ordonner une expertise aux fins de déterminer les travaux à exécuter pour une remise en état et d'en chiffrer le montant, pour cette mesure relevant de la seule compétence de l'autorité administrative" ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué que Jean et Luc X... sont poursuivis, d'une part, pour avoir, dans le cours de l'année 1990, mis en place dans un cours d'eau non domanial, sans l'autorisation administrative requise, un barrage ou un ouvrage destiné à l'établissement d'une prise d'eau, d'autre part, pour avoir mis en place un ouvrage ne comportant pas de dispositif maintenant dans le lit de ce cours d'eau un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces peuplant les eaux au moment de son installation, infractions prévues et réprimées, la première par l'article 106 du Code rural, la seconde par les articles L. 232-5 et L.232-8 du même Code ;
Attendu que, pour les déclarer coupables de ces infractions et ordonner, sur la demande de la fédération départementale des associations agrées de pêche et de pisciculture de l'Aisne, partie civile, une expertise pour déterminer et évaluer les travaux de remise en état du cours d'eau et de remise en valeur piscicole, les juges du fond relèvent que, selon les constatations opérées le 30 août 1990 sur un cours d'eau non domanial traversant certaines parcelles du groupement foncier agricole exploité par les prévenus, il a été procédé, sur une distance de plusieurs centaines de mètres, à un véritable remodelage du cours d'eau "au point que la couche de craie a été atteinte" provoquant l'infiltration des eaux dans le sol ;
qu'en outre, des pompages pour irrigation ont été effectués à partir de trous forés jusqu'à la nappe phréatique ;
que ces travaux ont provoqué l'assèchement du cours d'eau en aval des parcelles concernées ;
Que les juges concluent que "ces travaux d'approfondissement particulièrement importants" effectués par les prévenus constituent un ouvrage, au sens de l'article 106, alinéa 1er, du Code rural, ayant "provoqué la désorganisation du régime des eaux" et dépourvu de tout dispositif destiné à assurer "le maintien d'un débit minimal du cours d'eau" dans les conditions fixées par les textes susvisés ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a, sans commettre d'excès de pouvoir, caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les infractions dont elle a déclaré les prévenus coupables ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le moyen de cassation complémentaire commun aux demandeurs et pris de la violation des articles 98, 106, 107, L. 232-5 et L. 232-8 du Code rural, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué infirmatif sur la répression a condamné Luc X... à une amende de 70 000 francs et Jean X... à une amende de 40 000 francs pour infraction à l'environnement ;
"aux motifs qu'il convient de confirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont déclaré la prévention établie ;
que l'amende prononcée en première instance est insuffisante pour assurer une répression efficace, eu égard à la gravité des faits ;
que la Cour estime devoir porter à 70 000 francs l'amende prononcée à l'encontre de Luc X... et à 40 000 francs celle concernant Jean X... ;
"alors que les premiers juges, ayant condamné Jean X... à une amende de 60 000 francs et son fils Luc X... à une amende de 30 000 francs, la cour d'appel ne pouvait sans contradiction affirmer vouloir aggraver les sanctions prononcées tout en diminuant l'amende infligée à Jean X... ;
qu'il apparaît en réalité que la cour d'appel a manifestement opéré une confusion entre les deux prévenus ;
qu'il en résulte que l'erreur commise doit entraîner la censure totale de l'arrêt dès lors qu'elle constitue une violation manifeste des droits de la défense et que la Cour de Cassation n'est pas en mesure d'exercer son contrôle sur la légalité de la sanction infligée" ;
Attendu, d'une part, qu'en portant, sur l'appel du ministère public, de 30 000 francs à 70 000 francs le montant de l'amende infligée à Luc X..., après avoir relevé que "l'amende prononcée en première instance est insuffisante pour assurer une répression efficace, eu égard à la gravité des faits", les juges du second degré n'ont fait qu'user de la faculté discrétionnaire dont ils disposent, quant à l'application de la peine, dans les limites permises par la loi et dont ils ne doivent aucun compte ;
Que, d'autre part, Jean X... est sans intérêt à se plaindre de la contradiction invoquée dès lors que celle-ci ne lui est pas préjudiciable ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Simon conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Carlioz conseiller rapporteur, MM. Blin, Aldebert, Grapinet conseillers de la chambre, Mme Verdun conseiller référendaire, M. Galand avocat général, Mme Ely greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;