AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le sept novembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller GUERDER, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DINTILHAC ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
X..., partie civile, contre l'arrêt de la cour d'appel de SAINT-DENIS DE LA REUNION, chambre correctionnelle, en date du 6 mai 1993, qui, dans la procédure suivie contre Jean-Paul Y..., du chef de diffamation publique envers un corps constitué, a annulé la plainte avec constitution de partie civile initiale ainsi que tous les actes subséquents, renvoyé le prévenu des fins de la poursuite, et condamné le X... à lui verser une indemnité sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;
I- Sur l'action publique :
Attendu qu'aux termes de l'article 2 alinéa 2,5 de la loi du 3 août 1995, sont amnistiés, lorsque, comme en l'espèce ils sont antérieurs au 18 mai 1995, les délits prévus par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ;
qu'ainsi l'action publique s'est trouvée éteinte à l'égard du prévenu dès la publication de ce texte ;
Attendu cependant que, selon l'article 21 de la loi précitée, la juridiction de jugement saisie de l'action publique reste compétente pour statuer sur les intérêts civils ;
II- Sur l'action civile :
Vu l'arrêt de la Cour de Cassation, en date du 7 février 1990, portant désignation de juridiction ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 29, 30, 42, 43, 50 de la loi du 29 juillet 1881, 93-3 de la loi n 82-652 du 29 juillet 1982, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a annulé la plainte avec constitution de partie civile du Z... de La Réunion, déposée du chef de diffamation contre Y..., à raison de propos tenus publiquement par celui-ci, et retransmis lors d'un journal télévisé ;
"aux motifs qu'il incombait impérativement au Z... de La Réunion de viser dans sa plainte l'article 93-3 de la loi n 82-652 du 29 juillet 1982, puisqu'il s'agissait d'une diffamation par communication audiovisuelle, qu'à défaut, la plainte est nulle par application de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 ;
"alors, d'une part, que la diffamation reprochée à Y..., qui ne s'était pas exprimé directement à la télévision, et dont les propos publics avaient seulement été rapportés dans le journal télévisé, n'avait pas été commise par un moyen de communication audiovisuelle ;
que l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 était donc inapplicable à l'espèce ;
"alors, d'autre part, et en toute hypothèse, que l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881 n'exige, à peine de nullité de l'acte de poursuite, que l'articulation des faits, objet de cette poursuite, leur qualification et la précision du texte édictant les pénalités ;
qu'il n'exige pas que soit visé le texte définissant les responsables de l'infraction susceptibles d'être poursuivis ;
que l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 se borne à définir les personnes qui seront poursuivies comme auteur principal ou comme complice d'une diffamation par moyen de communication audiovisuelle ;
que l'article 50 n'exige nullement que l'acte de poursuite vise ce texte ;
qu'ainsi, la plainte ne pouvait être annulée pour défaut de visa d'un tel texte" ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que, selon l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, le réquisitoire introductif qui constitue l'acte initial de la poursuite doit préciser, outre l'articulation et la qualification des faits, le texte de ladite loi édictant la peine dont l'application est demandée ;
qu'il n'est pas dérogé à ces prescriptions d'ordre public par l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle ;
Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, par lettre du 13 décembre 1989, le X... a porté plainte avec constitution de partie civile contre Jean-Paul Y..., du chef de diffamation publique envers un corps constitué, en articulant des propos tenus par celui-ci le 14 septembre précédent dans une conférence de presse retransmise par la télévision locale, et en visant les articles 30 et 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Qu'après avoir reçu matériellement cette plainte, le juge d'instruction l'a communiquée au procureur de la République, qui a présenté requête en désignation de juridiction ;
que, devant la chambre d'accusation désignée pour instruire, le procureur général a requis l'ouverture de l'information par réquisitoire introductif du 26 novembre 1990, visant les articles 30 de la loi du 29 juillet 1881 et 679 et suivants du Code de procédure pénale ;
que, par arrêt du 8 septembre 1992, devenu définitif, la chambre d'accusation a renvoyé Jean-Paul Y... devant le tribunal correctionnel, sur le fondement des articles 29 et 30 de la loi du 29 juillet 1881 ;
que les premiers juges ont déclaré le prévenu coupable ;
Attendu que, pour infirmer ce jugement et renvoyer Jean-Paul Y... des fins de la poursuite, la cour d'appel relève que les faits dénoncés ont été commis à l'aide d'un moyen de communication audiovisuelle ;
qu'elle énonce qu'en pareil cas, l'article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 prévoit la poursuite du directeur de la publication lorsque le message incriminé a fait l'objet d'une fixation préalable à sa communication au public, ou à défaut, de l'auteur ;
qu'elle retient qu'il n'est nullement établi que le "message émis par l'appelant" Jean-Paul Y... "ait fait l'objet d'une fixation préalable avec RFO-Réunion" et que la plainte n'était pas dirigée contre le directeur de cet organisme ou l'un quelconque de ses agents ;
que l'arrêt en déduit "qu'il incombait impérativement au X... de viser dans le corps de sa plainte du 13 décembre 1989 l'article 93-3" précité, en application de l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, et que l'omission de ce visa a entraîné la nullité de la plainte et des actes subséquents ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'article 93-3 précité n'édicte aucune peine et n'entre pas dans la catégorie des textes dont le visa est imposé par l'article 50 de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel qui a, de surcroît, méconnu les règles de la poursuite applicables à l'infraction dénoncée, n'a pas donné une base légale à sa décision ;
Que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
DECLARE l'action publique ETEINTE ;
CASSE ET ANNULE, en ses seules dispositions concernant l'action civile, l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, en date du 6 mai 1993, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Milleville conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Guerder conseiller rapporteur, MM. Pinsseau, Joly, Pibouleau, Mmes Simon, Chevallier, M. Farge conseillers de la chambre, Mmes Batut, Fossaert-Sabatier conseillers référendaires, M. Dintilhac avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;