AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le pourvoi formé par Mme Ghislaine X..., séparée de M. Yves Y..., en cassation d'un arrêt rendu le 10 mai 1993 par la cour d'appel d'Amiens (1re chambre civile, 1re section), au profit de M. Yves, Jean Y..., défendeur à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 4 juillet 1995, où étaient présents : M. Thierry, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président et rapporteur, MM. Renard-Payen, Lemontey, Chartier, Gélineau-Larrivet, Mme Gié, M. Ancel, conseillers, M. Savatier, Mme Bignon, conseillers référendaires, M. Roehrich, avocat général, Mme Collet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Thierry, les observations de Me Cossa, avocat de Mme X..., de la SCP Boré et Xavier, avocat de M. Y..., les conclusions de M. Roehrich, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que les époux Y.../X... se sont mariés en juin 1972, sous le régime de la séparation de biens ;
que, le 30 juin 1975, Mme X... a acquis de ses parents le domaine agricole du Prieuré, sis à Rethondes ;
que, pour le paiement du solde du prix, elle a signé le 17 novembre 1975 une reconnaissance de dette de 1 088 940 francs, avec stipulation d'intérêts au taux de 6 % l'an ;
que, par acte ultérieur du 19 janvier 1979, elle s'est reconnue également débitrice d'une somme de 574 000 francs, montant de divers prêts que lui avaient consentis ses parents ;
que, le 23 avril 1986, M. Y... a assigné sa femme pour faire constater qu'une société de fait existait entre les époux, en vue de l'exploitation de ce domaine agricole ;
que, par un premier arrêt du 25 janvier 1989, la cour d'Amiens a reconnu l'existence de cette société de fait, en a prononcé la dissolution à la date du 28 décembre 1985, et a nommé un liquidateur ;
que, dans son rapport, ce dernier a indiqué que le passif social était susceptible de varier, selon que la créance de M. Robert X... à l'encontre de sa fille serait retenue pour le montant figurant au bilan arrêté au 30 juin 1985 (558 707 francs) ou pour celui énoncé dans un acte sous seing privé passé le 31 décembre 1985 entre le père et sa fille (982 000 francs) ;
qu'un jugement du 31 octobre 1989 a prononcé le divorce des époux Y.../X... ;
que l'arrêt attaqué (Amiens, 10 mai 1993) a retenu le chiffre de 558 707 francs comme montant en principal du passif envers M. Robert X..., rejeté la demande de Mme X..., sa fille, tendant à l'inscription à ce passif du montant des intérêts demeurant contratuellement dûs, fixé à 951 008 francs la part d'actif net revenant à M. Y..., et condamné Mme X... à lui payer cette somme ;
Sur le premier moyen :
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'avoir fixé le montant du passif de la société envers M. Robert X..., en principal, à la somme de 558 707 francs figurant au bilan arrêté au 30 juin 1985, alors, selon le moyen, qu'en écartant l'acte sous seing privé du 31 décembre 1985 par lequel créancier et débiteur avaient fixé le montant de la dette de Mme X... à cette date, au motif que les conditions d'établissement de cet acte ne lui étaient pas connues, sans énoncer les raisons pour lesquelles il conviendrait de ne pas y ajouter foi, ni davantage caractériser sa fausseté qui n'était d'ailleurs pas alléguée par M. Y..., et en faisant prévaloir sur cet acte les énonciatons d'un simple document comptable dont la finalité n'était pas d'établir l'existence et le quantum de la dette, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que, c'est dans l'excercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel a estimé que le chiffre à retenir était celui arrêté au 30 juin 1985 ;
Qu'il s'ensuit que le premier moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1832 du Code civil ;
Attendu que, pour rejeter la demande de Mme X... tendant à l'inscription au passif de la société d'intérêts contractuels dûs à M. Robert X..., l'arrêt attaqué se borne à énoncer que l'acte de prêt du 19 janvier 1979 ne contient aucune stipulation d'intérêts ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si ne devaient pas être inscrits au passif social des intérêts dûs à M. Robert X... au titre du prêt par lui consenti le 17 novembre 1975, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi :
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande d'inscription au passif du montant des intérêts demeurant contractuellement dûs, l'arrêt rendu le 10 mai 1993, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne M. Y..., envers Mme X..., aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ordonne qu'à la diligence de M. le procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit sur les registres de la cour d'appel d'Amiens, en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile , et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.
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