AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatre octobre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller MASSE, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de
l'avocat général LIBOUBAN ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Eric, contre l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de COLMAR en date du 11 mai 1995 qui l'a renvoyé devant la cour d'assises du BAS-RHIN sous l'accusation de meurtre et délaissement de mineur de 15 ans ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 105 et 77 du Code de procédure pénale, 3 1 de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
"en ce que la chambre d'accusation a refusé d'annuler l'ensemble de la procédure à la suite du procès-verbal dressé le 23 janvier 1994 par le commissaire Marx et notamment les auditions de X... des 8 et 9 février 1994 ainsi que toute la procédure subséquente ;
"aux motifs qu'au moment de son audition par les services de police, les 8 et 9 février 1994, il n'existait pas contre Eric X... des indices graves et concordants d'avoir commis un assassinat, puisqu'il existait des incertitudes sur les causes mêmes du décès ;
que les vérifications étaient indispensables avant la mise en examen qui a été opérée dès le lendemain de ses auditions ;
"alors, d'une part, que les auditions en garde à vue et sous serment de X... se sont déroulées en exécution d'une commission rogatoire internationale visant expressément les soupçons qui pesaient sur lui de meurtre et éventuellement d'assassinat, et qui sollicitait son arrestation éventuelle, laquelle avait déjà été demandée précédemment ;
que dès lors, il existait, aux yeux des autorités helvétiques des indices graves et concordants de culpabilité de X... ;
que doit être assimilée à l'ouverture d'une information en France l'existence d'une information à l'étranger pour l'exécution de laquelle la commission rogatoire avait été délivrée ;
que dès lors, X... ne pouvait être entendu comme témoin, et après avoir prêté serment, de telles auditions portant nécessairement atteinte aux droits de sa défense ;
"alors, d'autre part, que nommément désigné comme suspect du crime, X... ne pouvait en toute hypothèse être entendu comme témoin par les autorités judiciaires françaises ;
"alors, en outre, que, à supposer inapplicable l'article 105 du Code de procédure pénale en l'espèce, l'audition de X... sous serment, par le police judiciaire, en exécution d'une commission rogatoire internationale le désignant nommément comme possible coupable des faits, ne pouvait que porter atteinte aux droits de sa défense, et préjudicier à la recherche de la vérité ;
qu'ainsi, la chambre d'accusation devait annuler les auditions critiquées et la procédure subséquente ;
"alors, de surcroît, que la présomption d'innocence interdit que la personne suspectée d'un crime ou d'un délit puisse être contrainte de rapporter des éléments de preuve contre elle-même ;
qu'en entendant X... sous serment, en qualité de témoin, nonobstant les termes clairs du mandat qu'il exécutait et qui faisaient état des larges soupçons des autorités helvétiques à son encontre, l'officier de police judiciaire -et à sa suite la chambre d'accusation- ont violé le principe susvisé ;
"alors, au surplus, que l'audition de X... en qualité de témoin a eu pour effet de le priver de la possibilité de connaître la cause et les motifs de la procédure engagée contre lui par les autorités helvétiques, nonobstant les soupçons émis par ces dernières à son encontre, et de le faire entendre sans qu'il ait été préalablement informé de ces soupçons ;
qu'ainsi, la chambre d'accusation a violé l'article 6-3 c de la Convention européenne ;
"alors, enfin, que la chambre d'accusation ne pouvait sans contradiction, d'une part affirmer que la mise en examen de X... nécessitait des investigations complémentaires, et, d'autre part, reconnaître que cette mise en examen était intervenue immédiatement à la suite de ses auditions, c'est-à -dire sans aucune investigation complémentaire" ;
Attendu que pour rejeter l'argumentation reprise au moyen, l'arrêt attaqué énonce qu'au moment de l'interpellation d'Eric X... et de son audition par les services de police, agissant sur commission rogatoire des autorités judiciaires helvétiques à la suite du décès dans ce pays de Cornélia X... épouse du mis en cause, il n'y avait pas contre lui des indices graves et concordants d'avoir commis un assassinat ;
que les juges relèvent qu'il existait des incertitudes sur les causes mêmes du décès de la victime ;
Attendu que par ailleurs, il résulte des pièces de la procédure et notamment de la demande d'entraide judiciaire suisse en date du 11 janvier 1994 adressée au parquet de Strasbourg, que ce document qui ne faisait état que de soupçons de meurtre à l'encontre de l'intéressé, prescrivait, aux fins de vérifications, des investigations que les juges ont estimées indispensables avant la mise en examen d'Eric X... ;
Que par ces constatations et énonciations, la chambre d'accusation a justifié sa décision au regard de l'article 105 du Code de procédure pénale ;
Qu'ainsi le moyen, pour le surplus inopérant, en ce qu'il allègue la violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut qu'être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 3 et 4 de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, 92, 93, 101, 196, 197, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la chambre d'accusation a refusé d'annuler l'ensemble de la procédure à la suite du procès-verbal dressé le 23 janvier 1994 par le commissaire Marx, et notamment les auditions de X... des 8 et 9 février 1994 ainsi que toute la procédure subséquente ;
"aux motifs que, dans le cadre de l'entraide judiciaire internationale, les personnes venant du pays requérant peuvent assister à l'exécution des commissions rogatoires par la partie requise si celle-ci y consent ;
"alors que, si les autorités du pays requérant peuvent assister à l'exécution des commissions rogatoires, elles ne peuvent, sans excéder leurs pouvoirs ni leur compétence, y participer ;
qu'en s'abstenant de rechercher si les autorités helvétiques n'avaient pas activement participé aux mesures d'exécution litigieuses, la chambre d'accusation n'a pas donné de base légale à sa décision" ;
Attendu que s'il est vrai que certains actes d'exécution de la commission rogatoire internationale auxquels ont procédé les policiers français mentionnent la présence d'un magistrat et d'un policier suisses, il ne ressort nullement de ces procès-verbaux que, contrairement à ce qui est allégué, ces autorités étrangères aient pris une part active aux opérations diligentées en France ;
qu'en tous cas, le mémoire déposé au greffe de la chambre d'accusation ne sollicitait pas de vérification sur ce point ;
Que dans ces conditions, c'est à bon droit que, par les motifs exposés au moyen, les juges ont, sur le fondement de l'article 4 de la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, estimé régulière l'assistance à l'enquête desdites autorités requérantes ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 221-1, 221-8 et 221-9, 227-1 du Code pénal, 214, 215 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que la chambre d'accusation a renvoyé X... devant la cour d'assises des chefs de meurtre et de délaissement, en un lieu solitaire, de sa fille Mélissa âgée de moins de quinze ans ;
"alors que l'arrêt attaqué n'est que la reproduction littérale du réquisitoire aux fins de renvoi établi le 3 mai 1995 par le procureur général ;
qu'ainsi, les magistrats composant la juridiction d'instruction n'ont pas procédé, personnellement et effectivement, à l'examen des charges retenues contre le mis en examen à l'issue de l'information comme le prescrit l'article 211 du Code de procédure pénale" ;
Attendu qu'il ne saurait se déduire de la seule similitude des motifs de l'arrêt attaqué avec ceux du réquisitoire du procureur général, que la chambre d'accusation ait méconnu les dispositions de l'article 211 du Code de procédure pénale ;
Qu'au contraire pour renvoyer X... devant la cour d'assises du chef de coups mortels, la juridiction du second degré relate les circonstances dans lesquelles, après s'être disputé et battu avec son épouse, scènes au cours desquelles celle-ci l'avait mordu au doigt, il l'avait poussée dans sa chambre, la maintenant contre lui et "l'avait serrée très fort par derrière jusqu'à l'évanouissement, que l'ayant cru décédée il avait voulu maquiller la mort en suicide par pendaison" ;
que les juges précisent que les investigations médico-légales étaient concordantes pour dire que la pendaison était la cause de la mort ;
Qu'en cet état le grief n'est pas fondé ;
Qu'en effet les chambres d'accusation apprécient souverainement au point de vue des faits tous les éléments constitutifs des crimes qui leur sont déférés ;
que la Cour de Cassation n'a d'autre pouvoir que de vérifier si la qualification qu'elles ont donnée justifie le renvoi devant la cour d'assises ;
Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;
Et attendu que la chambre d'accusation était compétente ;
Qu'il en est de même de la cour d'assises devant laquelle le demandeur est renvoyé ;
que la procédure est régulière et que les faits objet de l'accusation principale, sont qualifiés crime par la loi ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Guilloux conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, M. Massé conseiller rapporteur, MM. Fabre, Mme Baillot, M. Le Gall, Mmes Simon, Chevallier, M. Farge conseillers de la chambre, M. Nivôse, Poisot conseillers référendaires,
M. Libouban avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;