AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le dix-huit septembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire VERDUN, les observations de la société civile professionnelle BORE et XAVIER et la société civile professionnelle CELICE et BLANCPAIN, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GALAND ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Michel,
- Z... Jean Henri, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, du 28 octobre 1994, qui a condamné le premier à 15 000 francs d'amende pour exercice illégal de la pharmacie, le second à 8 000 francs de la même peine pour complicité de ce délit et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu le mémoire ampliatif produit commun aux demandeurs et le mémoire en défense ;
Sur le premier moyen de cassation commun aux demandeurs pris de la violation des articles 34 de la Constitution, 6 et 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 4 du Code pénal, L. 111-2 et L. 111-3 du nouveau Code pénal, L. 511 et L. 512 du Code de la santé publique, 485 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que X... a été déclaré coupable du délit d'exercice illégal de la pharmacie et Z... complice de cette infraction ;
"au motifs que nombre de plantes proposées à la vente dans les magasins de la société "la Maison des Plantes" étaient inscrites à la pharmacopée et non autorisées, a priori, à la vente hors pharmacie, qu'il s'agisse de plantes médicinales "en l'état" ou de gélules ;
qu'en effet, la moitié des plantes vendues "en l'état" et les 3/4 des plantes présentées sous forme de gélules étaient inscrites à la pharmacopée ;
que les plantes non visées dans les 34 exceptions prévues par le décret du 15 juin 1979 doivent être considérées comme ayant un usage médical ;
que le fait qu'un autre usage, alimentaire, condimentaire ou hygiénique s'ajoute à l'usage médical ne saurait constituer une exception à la règle ;
que, dès lors, la vente de plantes telles que le bouleau, la pensée, le sureau, qui ne figurent pas au décret du 15 juin 1979, doit être considérée comme contraire à la loi ;
qu'il résulte des éléments du dossier que d'autres plantes, libéralisées ou non, étaient proposées sous forme de gélules et, pour certaines, mélangées entre elles ;
qu'elles n'entraient donc pas dans la définition du décret du 15 juin 1979 permettant une vente hors pharmacies ;
que, pour ce qui est de la vente du "yumel", ce produit, d'origine mexicaine, est présenté sous forme de gélules, dans des tubes très semblables à une préparation de gélules, dans des tubes très semblables à une préparation pharmaceutique qui peut prêter à confusion ;
que, surtout, ce produit n'a pas fait l'objet d'une étude des services de santé et son innocuité n'est pas garantie ; que la plupart des produits présentés à la vente dans les magasins "Maison des plantes" correspondant à ce qui est considéré comme des médicaments par présentation, c'est-à -dire des substances ou compositions présentées comme possédant des propriétés curatives ou préventives des maladies humaines ou animales ;
que la Cour de justice a estimé qu'il fallait tenir compte de l'apparence, même implicite mais certaine aux yeux d'un consommateur moyennement avisé que le produit a, en raison de sa présentation, un effet thérapeutique ;
que chacun des produits incriminés, en l'espèce, était présenté avec des propriétés curatives (par exemple, le complexe fumeterre qui "purifie le sang, élimine la cellulite, vide la vésicule biliaire, nettoie les intestins et clarifie la peau") ;que les plantes dont Michel X... louait les propriétés curatives dans ses écrits ou ses émissions télévisées correspondent à la définition des médicaments par présentation ;
que dans ces conditions, les plantes médicinales conditionnées et vendues par les sociétés en cause doivent être fabriquées et vendues par des établissements pharmaceutiques (article L. 596 du Code de la santé publique) et dispensées au public dans des officines pharmaceutiques (L. 568) pour répondre aux exigences de l'article L. 512 du Code de la santé publique ;
"1 ) alors que toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, c'est-à -dire établie en conformité avec l'ensemble des règles de droit interne et internationale applicables en la cause ;
que la loi fixe les règles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables ;
qu'il incombe donc au législateur de définir les éléments constitutifs des infractions en termes clairs et précis ;
que le Code de la santé publique réserve aux pharmaciens la vente des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée, sous réserve de dérogations établies par décret, et érige en délit la réalisation, par des personnes qui ne réunissent pas les conditions exigées pour l'exercice de la pharmacie, d'opérations réservées aux pharmaciens ;
que la pharmacopée est rédigée par arrêté ministériel ; qu'ainsi, l'élément légal du délit d'exercice illégal de la pharmacie n'est pas défini précisément par la loi mais par un règlement ;
d'où il suit qu'en prononçant une condamnation du chef de ce délit, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"2 ) alors que l'inscription d'une plante à la pharmacopée ne lui confère pas de ce fait la qualité de médicament ;
qu'en retenant cependant que les plantes non visées dans les exceptions établies par le décret du 15 juin 1979 devaient être considérées comme ayant un usage médical, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"3 ) alors que les plantes dont l'usage est principalement alimentaire, condimentaire ou hygiénique ne présentent pas le caractère de plantes médicinales, même si, accessoirement, elles sont réputées être bénéfiques pour la santé ;
qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"4 ) alors que le principe de légalité des délits et des peines implique que les éléments constitutifs d'une infraction soient définis en termes clairs et précis, avant la commission des faits incriminés ;
que la loi réserve aux pharmaciens la préparation des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine, ainsi que leur vente ;
que la "notion" de médicament n'est pas suffisamment claire et précise pour permettre au prévenu de savoir qu'il méconnaît la loi pénale ;
qu'en retenant cependant, à l'appui de sa décision de condamnation, que les plantes litigieuses correspondaient à la définition des médicaments par présentation, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"5 ) alors que la présentation d'une substance sous forme de gélules ne suffit pas à établir qu'il s'agit d'un médicament ;
qu'en jugeant cependant que le "yumel" relevait du monopole pharmaceutique car ce produit était présenté sous forme de gélules, dans des tubes très semblables à une préparation pharmaceutique qui peut prêter à confusion, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés ;
"6 ) alors que le médicament "par présentation" est une substance présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou animales ;
qu'en se bornant à relever que les plantes litigieuses étaient présentées "avec des propriétés curatives" (arrêt attaqué p. 10 2) sans justifier qu'elles aient été présentées pour guérir des maladies déterminées, la Cour a entaché sa décision d'une violation des textes susvisés" ;
Attendu, d'une part, que, contrairement aux allégations des demandeurs, les articles L. 511 et L. 512 du Code de la santé publique contiennent une définition précise des médicaments et des plantes dont la vente est réservée aux pharmaciens ;
que la mise en oeuvre de ces textes, qui permettaient aux prévenus de connaître exactement la nature et la portée des accusations retenues contre eux, n'est contraire ni au principe de la légalité des délits et des peines ni aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu, d'autre part, que, pour décider que les produits mis en vente par les sociétés "la Maison des Plantes", "Compagnie de la Grande forme", "Vitamine Systèm" et "Herbier de Provence" entraient dans les prévisions de ces textes, les juges retiennent que ces produits étaient présentés comme ayant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines et que leurs vertus étaient en outre vantées dans des articles de presse ou des émissions télévisées ;
Que les juges précisent que le produit dénommé "Yumel", à base de plantes mexicaines, était vendu dans des tubes semblables à ceux utilisés pour des préparations pharmaceutiques et qu'il était présenté comme ayant une vertu amaigrissante et réductrice du cholestérol ;
Qu'ils relèvent, par ailleurs, que la plupart des plantes mises en vente étaient, soit mélangées entre elles, soit conditionnées en gélules en comprimés, capsules ou granulés ;
Attendu qu'en cet état, abstraction faite des motifs erronés mais surabondants justement critiqués par le moyen en ses deuxième et troisième branches, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les autres griefs allégués ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation proposé par Michel X... pris de la violation des articles L. 512 et L. 517 du Code de la santé publique, 485 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que X... a été déclaré coupable du délit d'exercice illégal de la pharmacie ;
"aux motifs que Michel X... a pris un rôle actif dans la diffusion et la vente des produits en cause, tant par ses publications et émissions que par sa participation active comme actionnaire des sociétés incriminées ;
qu'il ne saurait arguer de l'ignorance de la législation en vigueur alors qu'il s'affirme spécialiste des plantes médicinales dont il vante les mérites depuis de longues années ;
"alors que seules la préparation et la vente de produits soumis au monopole pharmaceutique peuvent caractériser le délit d'exercice illégal de la pharmacie ;
que ni une information sur les produits en cause ni une participation minoritaire dans la société "la Maison des Plantes" (sans intervention dans la gestion de cette société) ne permettent d'établir la préparation ou la vente de produits monopolistiques ; qu'en fondant cependant sa décision sur ces seuls éléments de preuve, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"alors que le demandeur faisait valoir, dans ses conclusions d'appel, que l'élément intentionnel du délit n'était pas caractérisé, notamment parce que la société "la Maison des Plantes" avait été créée et était gérée par un pharmacien, Pierre Y... ;
qu'en ne répondant pas à ce moyen pertinent, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés" ;
Attendu que, pour déclarer Michel X... coupable d'exercice illégal de la pharmacie, la juridiction du second degré retient qu'il n'a pas la qualité de pharmacien et qu'il a pris un rôle actif dans la vente et la diffusion des produits tant comme responsable de la société "la Maison des Plantes" ou d'autres sociétés de distribution ou de ventes par correspondance que par sa participation à des publications ou à des émissions télévisées ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance la cour d'appel, qui a répondu comme elle le devait aux conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le troisième moyen de cassation proposé pour Jean-Henri Z... (ou propre à Jean-Henri Z...) pris de la violation des articles 60 du Code pénal, L. 512 et L. 517 du Code de la santé publique, 485 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que Z... a été déclaré coupable de complicité du délit d'exercice illégal de la pharmacie ;
"aux motifs que Jean Z..., en sa qualité de gérant de la "Compagnie de la Grande Forme", durant une année, et alors que des produits litigieux continuaient à être vendus par ladite société, ne peut non plus échapper à sa responsabilité pénale ;
"alors que dans ses conclusions d'appel, Z... avait soutenu que les faits litigieux étaient antérieurs au 14 mai 1984, date à laquelle il fut nommé gérant de la "Compagnie de la Grande Forme" pendant une année ;
que la direction de la pharmacie et du médicament a porté plainte le 14 mai 1984, si bien que la prévention ne peut concerner des faits postérieurs à cette date ;
qu'en condamnant Z..., au seul motif que les produits avaient continué à être vendus après cette date, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Attendu que, pour déclarer Jean Henri Z... coupable de complicité d'exercice illégal de la pharmacie, les juges d'appel retiennent qu'il a été gérant de la société "Compagnie de la Grande Forme" durant une année alors que les produits décrits étaient toujours commercialisés par cette société ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs et dès lors que les faits retenus à la charge des prévenus comprennent notamment ceux commis en 1984 et en 1985, époque pendant laquelle Jean Henri Z... était gérant de la société précitée, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir le grief allégué ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Simon conseiller le plus ancien, faisant fonctions de président en remplacement du président empêché, Mme Verdun conseiller rapporteur, MM. Blin, Jorda, Aldebert, Grapinet conseillers de la chambre, Mme Ferrari conseiller référendaire, M. Galand avocat général, Mme Arnoult greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;